a fête n’est pas finie, mais il y a clairement un coup de mou dans l’ambiance. Lors de la pose ce lundi 5 juin la première pierre du futur siège du Bureau National Interprofessionnel du Cognac (BNIC), son président, Christophe Veral, déclarait à la tribune avoir « conscience que le contexte actuel n’est pas le même qu’il y a un an ou deux. Après trois années record d’expéditions, nous voyons une situation de ralentissement. Cette cyclicité, dans le monde du Cognac, nous la connaissons, nous l’avons déjà vécue. Nos métiers consistent justement à l’anticiper et à la gérer. »


Entre dynamique modifiée et ralentissement relatif, cette baisse commerciale tient de l’« ajustement significatif depuis l’automne dernier. Ce n’est pas une surprise, on s’y attendait. Le marché américain est marqué par une forte inflation, il sera moins dynamique au moins jusqu’à la fin d’année. Actuellement, la reprise en Chine n’est pas facile à lire » esquisse Raphaël Delpech, le directeur du BNIC, qui note que s’« il n’y a pas de remise en cause du modèle », il y a un « enjeu de pilotage à court terme ». Moulinant les données de production/stock et les chiffres commerciaux/économiques, le Business Plan de Cognac pourrait proposer à terme des réductions du contingent de nouvelles autorisations de plantation (3 129 ha demandés cette année, comme la précédente), voire de rendements mis en stock (différent de celui commercialisé, qui prend en compte la dispersion liée aux aléas climatiques, et était fixé à 14,73 hectolitres d'alcool pur par hectare en 2022, pour une production constatée de 12,86 hl AP/ ha).
Cette maîtrise technico-économique du pilotage interprofessionnel est gage de sérénité pour Anthony Brun, le président de l’Union Générale des Viticulteurs pour l'AOC Cognac (UGVC), qui note qu’« à de nombreuses reprises les maisons confirment maintenir leurs volumes d’achat, ce qui est important quand la contractualisation est à 90 % dans notre région ». Pour le représentant du vignoble, l’essentiel face à ces difficultés est de ne pas surréagir : « en 2022, quand la reprise post-covid était à +10 % de ventes par rapport aux prévisions, nous n’avons pas revu le modèle à la hausse malgré les appels de certains. Ce pilotage est rassurant. » Et d’ajouter que la réserve climatique actuellement réduite à portion congrue pourra être reconstituée en cas de baisse des rendements mis en stock. Avec de premières tendances du Business Plan attendues pour la mi-juin (pour des arbitrages définitifs attendus après l'été), le vignoble charentais s’agite pourtant déjà, commençant à crier avant d’avoir mal.
« S’il y a une baisse du rendement à 10 hl AP cette année ou la suivante et pour les prochains millésimes, les réserves climatiques vont se remplir jusqu’à explosion. Et le discours agroécologique rassurant sur une baisse inévitable des rendements à 10 hl AP/ha pour améliorer l’impact environnemental oublie que la rentabilité du vignoble charentais repose sur un modèle industriel » s’alarme un bouilleur de cru, un "ancien" ayant connu la crise des années 1990. Un technicien viticole s’inquiète pour sa part de voir des polyculteurs des crus périphériques « qui plantent autant que possible et s’endettent sur de grosses installations et équipements sans anticiper les risques d’un retournement de marché. Il faut faire attention et préparer un plan B. Sinon ce qui se passe aujourd’hui à Bordeaux ne sera rien à côté de ce que l’on vivra ici, tellement on est montés haut. S’il n’y a plus de marché demain pour le Cognac, on vendra quoi : du bioéthanol et du vinaigre ? »


Mais là où certains opérateurs de la viticulture voient des signes inquiétants (baisse des prix records sur marché secondaire, négociant ne cherchant plus à acheter eaux-de-vie au-delà des contrats, réduction des achats de tracteurs en Charente…), des négociants estiment plutôt qu’il y a un retour à la normale et la fin d’une surchauffe (notamment la fin de l’euphorie sur des prix du marché libre très supérieurs aux niveaux fixés dans les contrats pluriannuels d’achat). Notant que le négoce continue d’acheter de la récolte et d’investir à Cognac, un acheteur charentais reconnaît que les interrogations vigneronnes sont normales, mais qu’il faut garder confiance dans le moyen/long terme : « on est dans la période de turbulence prévue, il ne faut pas surréagir. Il n’est pas problématique de faire une pause » indique-t-il. La crise covid ayant par exemple conduit à la réduction des rendements (visé à 10,77 hl AP/ha et fixé à 12,04 hl AP/ha avec la dispersion moyenne des potentiels de production) des nouvelles autorisations de plantation à Cognac (de 3 398 pour 2020 à 2 306 ha pour 2021).
La vendange 2023 sera le premier moment de vérité pour permettre à Cognac de se projeter vers l'avenir. Forcément incertain, comme l'ambiance qu'il pourra y avoir mi-2025 pour l'inauguration du nouveau siège des eaux-de-vie charentaises.