uoi de mieux que le salon Prowein pour croiser des opérateurs de terrain d’outre-Rhin et y faire un point sur les tendances et attentes des consommateurs en Allemagne ? Après avoir longtemps été en charge des approvisionnements en vin du groupe de vente par correspondance Hawesko, Pierre Enjalbert est aujourd’hui gérant de Tesdorpf, filiale spécialisée dans les vins très haut de gamme de Hawesko. Il connaît sur le bout des doigts les spécificités du marché allemand des vins dont il a pu observer les évolutions. « Il y a un vrai fossé générationnel entre les personnes de plus de 60 ans, globalement très imprégnées de culture française et demandeurs de vins français, et les générations suivantes, plus marquées par les influences américaines et anglo-saxonnes. La consommation des vins reste globalement assez stable mais en forte évolution qualitative, avec une diminution de la place de la France dans le choix des vins », déroule-t-il.
Si la catégorie des vins très haut de gamme reste une chasse gardée des vins français, « c’est un segment sur lequel le marché est très conservateur », précise Pierre Enjalbert, il n’en va pas de même pour les autres tranches. Le renouveau des vins allemands s’affirme depuis une vingtaine d’années sur leur marché domestique, tiré par l’arrivée d’une nouvelle génération de vinificateurs qui séduit le public allemand. Le facteur prix reste un critère de choix pour les vins de cœur de gamme si bien que « les enseignes de discount comme Aldi sont les opérateurs et importateurs les plus importants sur le marché du vin allemand qui, dans sa globalité, se situe entre 6 et 7 milliards € », situe Pierre Enjalbert. Fabrice Marchive, agent commercial implanté en Allemagne pour des opérateurs de la plupart des régions de production françaises, situe les seuils de prix au-delà desquels l’acte d’achat devient plus difficile à 5 € en GD et 10€ dans le circuit traditionnel. « L’exemple des Crémants français est assez frappant. Ils fonctionnent bien mais uniquement grâce à une offre de prix bien positionnée. Le critère qualitatif passe largement après pour le consommateur de ce type de produits », tranche-t-il.
Pierre Enjalbert indique que le fossé générationnel ne se limite pas aux seules influences culturelles. Le goût prend également une place prépondérante. « Le consommateur allemand cherche de la souplesse et de la rondeur, en particulier des vins dont la teneur en sucres peut aller jusqu'à 20-30 g/l. Cette douceur est un critère essentiel pour des palais qui ont été formatés par la culture soda », explique-t-il. Même son de cloche chez Fabrice Marchive. « Quand un acheteur allemand demande du ‘fruité’ en dégustant un vin, il demande en fait du sucre. Ce qui n’est pas nécessairement bien compris par des producteurs français souvent réticents à cet ajout de sucre, alors que l’acheteur en attend, y compris pour les vins rouges et rosés. C’est un paramètre essentiel pour ce marché, où les vins secs produits en Allemagne peuvent contenir jusqu’à 9g/l de sucres », décrit cet agent basé à Düsseldorf.
Si le cahier des charges des AOP françaises les empêche de fournir ces profils sucrés, il n’en va pas de même pour les IGP et autres vins sans IG. « Ce sont ces profils IGP sucrés qui correspondent aux attentes du marché de la GD allemand », poursuit Fabrice Marchive. Comme Pierre Enjalbert, il note un côté plus conservateur de la tranche de consommateurs plus âgée et au plus fort pouvoir d’achat, « mais ce n’est pas cette catégorie qui représente l’avenir de la consommation de vin allemande, qui est globalement en recul en volume et en valeur ». Alors que la consommation de vins rouges était majoritaire dans les périodes 90-2000, Fabrice Marchive indique que ce sont les vins blancs qui ont repris le leadership, notamment grâce aux retour sur le devant de la scène des vins domestiques et la génération de nouveaux producteurs. « Les vins rouges occupent 40% des volumes du marché mais sont globalement en décroissance, alors que les vins rosés ont progressé et dépassent à présent 10% des volumes », poursuit l’agent français.
Outre la nécessaire adaptation aux goûts ‘sucrés’ des allemands, Fabrice Marchive ajoute qu’il faut être créatif dans les propositions de produit pour aller vers les générations plus jeunes de consommateurs. « Les tendances de packaging sont très importantes, alors que la consommation de vins se fait de manière festive hors des repas. Il faut être innovant dans l’aspect marketing sans oublier de se tourner vers les nouvelles attentes du low-alcohol. Les préoccupations environnementales sont également bien marquées pour le consommateur allemand », termine l’agent d’importation français.