uin 1952-juin 2006. Il y a 70 ans naissait René Renou, disparu brutalement il y a 16 ans. Si le vigneron ligérien a laissé à la postérité des bouteilles de Bonnezeaux, toujours appréciées des amateurs de vins liquoreux, il a surtout légué des idées, somme toute révolutionnaires, qui peuvent encore nourrir les réflexions sur les déséquilibres français entre offre et demande de vin. Proposant une réforme des vins d’appellation d’origine lors de sa présidence de l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO), René Renou constatait que des appellations dites génériques ne se différenciaient plus de vins de pays en termes de valorisation et de positionnement. Aujourd’hui, ce rude constat est tout sauf daté. Il vient même d’être réaffirmé : « le bordeaux générique est devenu le vin de table du Bordelais » pouvait-on entendre cette semaine lors d’un débat vigneron sur les demandes de prime à l’arrachage en Gironde.
Entre stratification (comme les montées en grade du Beaujolais) et diversification (comme le blanchiment en Vallée du Rhône), les stratégies actuelles des vins AOC tentent de contourner par la bande le déséquilibre structurel qui constitue le socle des appellations d’origine. L’AOP étant paradoxalement une indication géographique se plaçant au sommet de la pyramide vitivinicole (en termes d’exigences et de prestige), mais loin d’être une pointe effilée, sa forme tient de la pointe boursouflée, écrasant la base de la construction collective (les 363 AOP viticoles françaises pesant pour 60 % de la production nationale de vin).
La restructuration de l’offre AOC proposée par René Renou passait par un niveau supplémentaire, l’appellation exceptionnelle, pour recréer une véritable pyramide. Depuis sa disparition, il semble que cette idée soit tombée dans l’oubli*, personne ne reprenant le flambeau, ni les risques de coups inhérents à une approche remettant en cause l’acquis social qu’est devenue l’AOC. Comment admettre pour des vignobles portant l’AOC comme un étendard d’envisager être relégué en deuxième division ? Si la ligue 1 est un sujet sensible à Bordeaux, le déclassement d’une partie de son vignoble est déjà criant, la rétrogradation étant déjà actée par des prix du foncier en repli sur les AOC dites génériques.
Visibles depuis des années en Gironde, les difficultés du tout-AOC n'ont pas de quoi réjouir les autres vignobles français (le souvenir de l'arrachage reste douloureux en Languedoc, où personne ne souhaite cette épreuve à un autre vigneron). Alors que des vendanges généreuses et précoces se dessinent, les réflexions sur la restructuration des AOP ne sont pas réservées à la seule Gironde. On peut imaginer des AOP d’excellence ou des AOP génériques devenant des IGP : dans tous les cas, il est nécessaire de réduire les charges pesant sur la production : quel est encore le sens de s’astreindre à des limitations de rendements, notamment, quand l’activité n’est plus rentable ?
C’est bien l’ensemble du vignoble français qui aurait besoin d’un nouveau René Renou pour redonner une vision de gamme et de la valorisation au travail des terroirs. En la matière, c’est un enjeu de pérennité du vignoble français dans son ensemble face à la compétition mondiale des boissons alcoolisées. « C'est une vérité qui ne peut être contestée que le meilleur terroir ne diffère en rien du mauvais s'il n'est cultivé » écrit Sébastien Le Prestre, marquis de Vauban dans son Projet d'une dîme royale en 1707.
* : Malgré des projets locaux, comme celui cru d’exception pour les Bordeaux Supérieurs.