Pascale Guillier, de la maison familiale Vins Brunin-Guillier, porte un regard particulier sur le marché des vins car elle dispose de magasins à la fois dans le Nord de la France et en Belgique. Elle illustre les difficultés colossales subies, à la fois par le secteur du tourisme et celui de la restauration. « Dans nos deux boutiques de la Côte d’Opale, au Touquet et à Wimereux, nous avons fait 50 % de notre chiffre d’affaires en moins en novembre à cause du confinement et des restrictions dans les déplacements », déplore-t-elle.
Si son magasin à Tournai en Belgique et son activité de grossiste n’ont pas été impactés par la chute de la fréquentation touristique, ils ont, en revanche, été touchés par la fermeture de la restauration et la mise à l’arrêt de l’événementiel. « En tant que grossiste, nous avons perdu toute la partie événementielle. Nos ventes sur internet ont explosé, mais cela ne va pas compenser le chiffre perdu, c’est certain ». Néanmoins, la société a multiplié les initiatives pour surmonter la crise : « Nous avons fait beaucoup de livraisons à domicile pour les gens qui avaient peur de se déplacer, nous avons fait des stocks tampon pour les restaurateurs qui ont développé la vente à emporter et voulaient proposer des vins et au Touquet, nous avons participé à une initiative pour proposer des alliances vins avec des mets à emporter ».
Et les résultats sont au rendez-vous. « Nous avons bien ressenti un retour vers les commerces de proximité. Au lieu de faire de plus gros achats de vins "basiques" en grandes surfaces, les gens mettent un peu plus d’argent et achètent des bouteilles un peu plus chères. Le panier moyen est un peu plus élevé que d’habitude. Nos clients ont envie de se faire plaisir en achetant des vins dans les appellations qu’on vend surtout le weekend et pour les fêtes. Il y a une envie aussi de découvrir d’autres choses. Que ce soit en France ou en Belgique, faire partie des commerces dits essentiels, ce qui a fait grincer les dents à plus d’un, a été énorme pour nous ».
La tendance à la premiumisation n’a pas touché que les cavistes. Les distributeurs aussi ont constaté ce phénomène. « Ces derniers mois, nous avons observé un changement frappant dans le comportement d’achat de nos clients, une tendance qui devrait se confirmer au cours des dernières semaines de l’année : durant cette période de crise sanitaire, le consommateur est prêt à acheter des vins un peu plus chers qu’en temps normal », explique l’enseigne Colruyt, qui y voit un phénomène de « compensation » causé par la fermeture des restaurants et constate une hausse des ventes de vins tranquilles depuis le début de la crise. La premiumisation a également été observée par Delhaize, qui note aussi pour 2020, comme Colruyt, une forte progression des bag-in-boxes et une désaisonnalisation de la consommation de vins rosés. Ainsi, Colruyt annonce pour les rosés en 2020 « la plus forte progression jamais enregistrée dans l’assortiment des vins ».
Jeroen Tackx, spécialiste des vins, alcools forts et cocktails chez Metro, note que les acheteurs ont peur de constituer des stocks et achètent en plus petites quantités actuellement
Pour l’enseigne Metro, dont la clientèle est constituée à 80 % de restaurateurs, l’année a été beaucoup plus mitigée. « 2020 a été une année en dents de scie », explique Jeroen Tackx, spécialiste des vins, alcools forts et cocktails auprès de l’enseigne. « Nous avons fermé en mars, puis rouvert et avons enregistré une hausse de 15 % de nos ventes en juin et juillet. Pendant ce temps, les restaurateurs ont, soit acheté des vins un peu plus chers, entre 10 et 20 euros pour eux-mêmes, soit des vins moins chers, autour de 4 euros pour la revente avec des repas à emporter ».
Globalement, Jeroen Tackx estime que son rayon aura accusé une chute d’environ 50 % des ventes à travers la Belgique, avec environ -20 ou -30 % pour les vins. Les fêtes de fin d’année, en revanche, se montrent plutôt prometteuses. « Evidemment ce n’est pas comparable à l’an dernier, mais les clients sont là et achètent des vins et d’autres boissons ». Les ventes de Champagne, notamment les grandes marques et les marques du distributeur se portent bien, sans doute parce que beaucoup de Belges n’auront pas fait le trajet pour faire leurs emplettes directement en France. « L’un des problèmes que nous avons rencontré pendant cette période concerne la sélection des produits », précise-t-il. « Normalement, nous réunissons tous les sommeliers en magasin pour déguster les vins et faire nos choix. Comme tout le monde travaille à la maison, cela n’a pas été possible donc notre gamme est restée statique, sauf quelques références que nous avons liquidées, faute de ventes suffisantes ».
L’acheteur espère utiliser les nouvelles technologies en début d’année, pour que « les restaurateurs soient armés avec des nouveautés quand ils rouvrent ». Si, à ce titre, aucune date n’a encore été fixée en Belgique, Jeroen Tackx veut déjà préparer le terrain. « Ce qui est positif, c’est que, quand les restaurants ont rouvert en juin, tout le monde voulait y être et les ventes ont bondi. Je suis donc plutôt convaincu que, s’ils rouvrent, notre activité reprendra. Nous devons donc être prêts ».