Et Mouton Cadet alors ? » interpelle dans les commentaires un lecteur de Vitisphere, apprenant les récentes condamnations du Bordeaux de Larrivet Haut-Brion pour « pratique commerciale trompeuse ». Si les vins de négoce étiquetant leur filiation à un cru classé dont ils ne sont pas issus défraient la chronique judiciaire bordelaise, la question de la première de ces marques, créée en 1930 par le Baron Philippe de Rothschild à partir de vignes du château Mouton-Rothschild (grand cru classé en 1855), suscite les interrogations dans la filière. Donnant l’occasion à certains de critiquer des attaques de l’administration à géométrie variable.
« Notre positionnement ne dévie pas sur la question des marques domaniales » répond fermement Nicolas Bordenave, le chef du service Vins et Signes de Qualité du pôle C (concurrence consommation fraudes) de la Direction Générale des Entreprises (Direccte Nouvelle-Aquitaine). L’administration attaque ainsi quand il y a une forme de privatisation d’une AOC dans la marque de négoce et qu’il y a une pratique commerciale trompeuse dans la mise en marché de vins ne venant pas de l’assiette foncière du domaine auquel ils s’affilient.


Pour Nicolas Bordenave, « la question ne se pose pas pour Mouton Cadet. Il n’y a pas d’utilisation d’AOC de manière privative dans son nom » et donc pas de « trouble à l’ordre public économique ». L’enquêteur rappelle que si la Direccte de Bordeaux s’intéresse aux marques alliant AOC et nom de crus classés depuis 2016, le cas de Mouton-Cadet a déjà été étudié par la justice au début des années 2000.
Le 26 février 2002, la chambre commerciale de la Cour de Cassation validait le jugement de la cour d'appel de Bordeaux du 4 novembre 1998 « constatant que la marque Mouton Cadet ne comportait aucun élément de nature à tromper le consommateur dès lors que l'étiquetage informait celui-ci de l'origine du produit ». Une grille de lecture partagée par la Commission Européenne, interrogée auparavant par la Répression des Fraudes et estimant validant la régularité de la marque Mouton Cadet en estimant que « si elle suggère un lien avec la marque Château Mouton Rothschild appartenant à la même famille, elle n'est pas apparue comme créant une confusion avec un lieudit au sens viticole du terme ni avec une appellation d'origine ».
Ces deux analyses juridiques confirment qu’aucun élément de tromperie ne peut actuellement être retenu contre Mouton Cadet résume Laurent Bordenave. Qui souligne maintenir la marque sous surveillance, cette approche ne valant tant que l’information au consommateur est assez claire.
« Mouton Cadet est un assemblage de plusieurs appellations de la région de Bordeaux plantées en cépages nobles (merlot, cabernet sauvignon et cabernet franc) issus d’une sélection exclusive de parcelles chez les vignerons partenaires » peut-on actuellement lire sur la contre-étiquette de la marque de « Baron Philippe de Rothschild SA, négociants à Pauillac ».


Si la Direccte estime que Mouton Cadet reste dans les clous, certains échos des linéaires de la grande distribution posent cependant la question de la définition du consommateur raisonnablement informé. En témoigne le journaliste Jacques Dupont, qui écrit dans Le vin et moi (2016, éditions Stock) : « encore aujourd’hui, nombreux sont ceux qui pensent boire le second vin de Mouton-Rothschild quand ils débouchent du Mouton-Cadet […]. Au moment du décès de Philippine de Rothschild, [on trouvait sur la Toile] : "en souvenir de cette grande dame, je vais ouvrir ce soir ma dernière bouteille de Mouton-Cadet 89." Était-ce de l’ironie ? Je ne le pense pas, juste le fruit d’une belle illusion. »
Si les dossiers des Bordeaux de Maucaillou, Larrivet Haut-Brion et Citran tissent progressivement un cadre de pratiques commerciales à bannir (malgré les appels), d’autres sont encore à venir indique Nicolas Bordenave, qui souligne que le Tribunal Administratif vient de confirmer la lecture par l’administration de ces questions de droit (un appel est en cours). « La jurisprudence crée un faisceau d’indices pour nourrir le guide des bonnes pratiques des marques domaniales initié par la Fédération des Grands Vins de Bordeaux (FGVB) » souligne Nicolas Bordenave.


Proposant en l’état des jugement des lignes rouges pour commercialiser une marque domaniale, le cabinet de conseil en Propriété Industrielle Inlex souligne que chaque marque est un cas particulier, dépendant de son histoire, de sa notoriété et de sa prudence. « C’est à chaque fois un faisceau d’éléments qui fait que l’on est d’un côté ou de l’autre de la barrière. L’environnement des étiquettes est majeur » résume Céline Baillet, la directrice du cabinet bordelais. Ajoutant que « Mouton Cadet ne crée pas de lien avec le château Mouton Rothschild. On sait que c’est une marque appartenant au même groupe, mais il n’y a pas les mêmes codes. A l’époque de la création de la marque il n’y avait pas de soucis sur la tromperie du consommateur, ils ont été malins avant l’heure. »
Contacté, le négoce Baron Philippe de Rothschild n’a pas répondu aux sollicitations de Vitisphere.