0 CMR, 100 % HVE
La future norme environnementale du négoce des vins de Bordeaux ?

Le syndicat bordelais des négociants met à disposition de ses membres une charte de bonnes pratiques. Facultatif, l’outil est déjà incitatif, pour en finir avec le Bordeaux bashing sur les phytos.
À Bordeaux, le négoce a dans le collimateur la réduction des résidus de phytos. Et plus particulièrement la disparition au vignoble des pesticides classés Cancérigènes Mutagènes et Reprotoxiques (CMR). Ces derniers étant également la cible de choix des articles de l’UFC Que Choisir en 2013 et 2017, ainsi que des reportages à charge de Cash Investigation en 2016 et 2018. Pour mettre un terme à ce traitement médiatique, pour ne pas dire acharnement (seul le vignoble girondin étant ciblé), la filière girondine a pris depuis 2016 le chemin de l’exemplarité avec son « plan pour accélérer la réduction de l’usage des pesticides ». Si des mesures agroenvironnementales vont intégrer les cahiers des charges des principales appellations bordelaises*, ce cap est désormais celui du négoce, l’Union des Maisons de Bordeaux (UMB) venant de valider une charte environnementale pour les approvisionnements en vins de ses adhérents volontaires.
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En matière de pesticides, cette charte vise dès ce millésime l’arrêt des CMR supposés pour l’homme (CMR de catégorie 1b). Les pesticides CMR suspectés pour l’homme devant être supprimés du vignoble en 2022 (CMR de catégorie 2). Entre 2022 et 2024, les négociants adoptant cette démarche ne devront plus acheter que des lots certifiés Haute Valeur Environnementale (HVE). Mise en place par un groupe de travail technique de l’UMB, cette charte s’inscrit dans la lignée du cahier des charges de Baron Philippe de Rothschild pour sa marque Mouton Cadet (300 apporteurs pour 1 500 hectares sous contrat), qui affiche une exigence de 0 CMR (réalisé sur 75 % des approvisionnements en 2018) et de 100 % HVE (annoncé pour 2019).
Mise à la disposition des 300 négociants de la place de Bordeaux, cette charte est facultative, chaque opérateur pouvant faire le choix, ou non, de l’appliquer. Mais alors que les demandes d’analyses de résidus phytos sont courantes, cette démarche semble promise à un bel avenir. « On s’est emparé de la charte, on va l’intégrer dans nos cahiers des charges d’achat pour être opérationnel dès le millésime 2019 » annonce ainsi Pierre Vieillefosse, le directeur des achats du négoce Yvon Mau (représentant 50 000 hectolitres en appellation Bordeaux, pour 150 à 200 fournisseurs). Ayant l’objectif de passer toutes ses marques de Bordeaux en HVE dès 2020, le négociant estime que « cette norme donne clairement accès au marché. Aujourd’hui, les centrales d’achat sont sensibles à la HVE, y donnant avec un peu plus de souplesse de prix » note Pierre Vieillefose. L’œnologue estimant la plus-value de la certification à une centaine d’euros par tonneau.
Avant même que la charte du négoce ne se déploie, le vignoble prépare sa mise en place. Comme la cave de Rauzan (3 600 hectares pour 340 adhérents), qui vient de demander à ses adhérents de ne plus utiliser de CMR en 2019, afin de répondre aux demandes du marché. « Aujourd’hui, on a des clients sélectionnant déjà des produits selon les analyses CMR. Parfois plus que sur les profils aromatiques… On a donc anticipé : même si les CMR ne sont qu’une partie des enjeux environnementaux » explique Philippe Hébrard, le directeur général de la coopérative.
Envoyée en janvier, la lettre aux adhérents est résolument incitative : « nous n’avons pas fait le choix de la pénalité ou de l’obligation. La seule solution efficace est la pédagogie. Un tiers de nos adhérents n’utilisant plus CMR, ils montrent l’exemple et la possibilité d’y arriver » ajoute Philippe Hébrard, qui affiche sa confiance : « on ne peut pas dire qu’il n’y aura plus de CMR dans tout notre vignoble en 2019, mais on peut déjà dire qu’il n’y aura plus de CMR dans nos vins », par effet de dilution.
Mis sous pression par les injonctions sociétales, le vignoble bordelais avance donc en misant sur l’incitation plus que sur la contrainte. Qui reste inenvisageable en pratique. « Réglementairement, on ne peut interdire tel ou tel phyto dans nos cahiers des charges alors qu’ils ont une autorisation de mise sur le marché. Mais les CMR seront de toute façon rapidement un sujet qui se trouvera derrière nous » plaide inlassablement Bernard Farges, le président du syndicat viticole des appellations Bordeaux et Bordeaux supérieur. Qui s’appuyait, lors de sa dernière assemblée générale, sur les drastiques chiffres de réduction d’achat des CMR en Gironde (cliquer ici pour en savoir plus). Si l'intention de la charte environnementale du négoce est louable pour accélérer le mouvement, elle présente cependant une limite pour le vignoble : ne pas être accompagnée d’une grille de valorisation.
Contacté, l’UMB n’a pas souhaité répondre aux sollicitations de Vitisphere.
* : Soit les Organismes de Défense et de Gestion des Bordeaux et Bordeaux Supérieur, Côtes de Bordeaux, Saint-Émilion, Entre-deux-Mers, Médoc et Graves.