i la campagne de distillation bat son plein dans le vignoble charentais, ses coups de chaud ne se limitent pas à Cognac cet hiver. En témoignent les débats brûlants, pour ne pas dire enflammés, du dernier conseil spécialisé vin de FranceAgriMer. S’étant tenue ce 19 décembre à Paris, la réunion des représentants du vignoble français n’a pu voter les demandes de contingents de plantations nouvelles pour 2019. La faute à une demande charentaise sans précédent : 3 474 hectares de nouvelles autorisations de plantation.
Si le Business Plan de l’interprofession charentaise a parlé, les prévisions de commercialisation nécessitant sur les trois prochaines années une plantation de 10 000 hectares de nouvelles vignes, et que la filière Cognac a voté un contingent de 3 474 ha pour 2019, les autres régions sont rétives. Se souvenant des crises passées, les représentants du vignoble, notamment du Sud-Ouest et de la Méditerranée, craignent les conséquences pour leurs productions d’un revirement des marchés export de l’eau-de-vie charentaise. Le souvenir des crises charentaises d’il y a vingt ans semblant plus vif dans le reste du vignoble hexagonal.


« On est tous inquiets. Les Charentais ont déjà demandé beaucoup d’hectares l’an dernier*, et ils en prévoient encore beaucoup pour la suite » explique le vigneron provençal Thomas Montagne, qui préside les Vignerons Indépendants de France et siège au conseil spécialisé vin. Certes les cognacs « ont une croissance commerciale forte, mais les conditions internationales ne sont pas très bonnes. Ce que l’on sait, c’est que quand le Cognac ne va plus, sa production déborde sur les vins blancs, ce qui déstabilise le Gers, puis le Sud-Ouest et tout le vignoble français. Ça pourrait tout déstabiliser. »
« Les autres appellations ne comprennent pas qu’on puisse demander autant d’hectares. Nous devons démontrer la rigueur de notre business plan. Le sujet n’est pas que pour cette année, il pourrait être encore plus compliqué pour les prochaines… » reconnaît un exploitant siégeant à l’Union Générale des Viticulteurs pour l'AOC Cognac (l’UGVC, qui ne souhaite pas communiquer pour l’instant). Face à ces craintes vives, pour ne pas dire virulentes, la filière charentaise joue la carte de la pédagogie et va porter ses explications auprès des principaux représentants viticoles (par exemple cette semaine dans le Sud-Est, particulièrement réticent).
« La demande 3 474 ha correspond à un besoin calculé. Nous ne sommes plus dans la configuration d’il y a vingt ans » balaie ainsi Florent Morillon, le directeur amont de la maison Hennessy (49 % des expéditions de cognacs en 2017) et membre du conseil spécialisé vin (pour le négoce de Cognac). Le négociant souligne que la filière de Cognac repose désormais sur un recours quasi généralisé à la contractualisation pluriannuelle, sur un système d’affectation parcellaire, sur un besoin de reconstitution des réserves climatiques… Et sur des investissements massifs, démontrant le soutien de groupes internationaux qui croient dans le potentiel commercial du Cognac dont LVMH, le propriétaire de Hennessy).


« Certes les grandes maisons ont besoin de matière première. Mais elles cherchent d’abord à baisser leurs coûts d’achat. Pas à maintenir les équilibres du peuple viticole » tacle le vigneron languedocien Jacques Gravegeal, qui préside l'interprofession des vins de Pays d’Oc (Inter Oc) et siège au conseil spécialisé. « L’histoire se répète, inéluctablement » souligne ce connaisseur de l’histoire vigneronne, rappelant de précédentes plantations décidées sans débouchés. « Aujourd’hui c’est la reprise à Cognac, mais il peut y avoir une nouvelle déprise. Tout ça ne tient à rien. Il ne s’agit pas de refuser une extension de marché, mais de créer des garde-fous » affirme Jacques Gravegeal.
Pour lui, les précautions existent déjà grâce au système des autorisations de plantation : le plafond de 1 % de croissance par État membre doit être généralisé à chaque bassin. « Nous le respectons, il est hors de question que d’autres s’émancipent de ces précautions et déséquilibrent les marchés français et européens » pose le vigneron languedocien. « On s’est battu pour contrôler le potentiel viticole avec les nouvelles autorisations, ce n’est pas pour ouvrir une grande brèche » confirme Thomas Montagne.


Alors que le vignoble de Cognac s’étend aujourd’hui sur 75 000 hectares de vignes, l’application d’un plafond de 1 % ferait tomber le potentiel d’accroissement à 750 ha/an. Un frein de la croissance qui est vu par certains opérateurs charentais comme un « manque de patriotisme » économique, un tel contingent brimant leur développement commercial. « J’ai le respect de Cognac, c’est une richesse de la France, ne la détruisons pas et maintenons sa valeur ajoutée » rétorque Jacques Gravegeal, pour qui le seul moyen pour Cognac de clore le débat est « de se conformer au 1 %, ou de s’engager, en cas de retournement de marché, à sortir des marchés du vin ses volumes pour en faire de l’alcool industriel (pourquoi pas du bioéthanol) ».
Face à ces vives réticences, « il y a encore besoin de pédagogie et d’explication pour convaincre que Cognac est réellement produit à part qui ne déséquilibrera pas les autres vignobles » concède Florent Morillon. Le vote des contingents de plantations nouvelles 2019 sera à l’ordre du jour de la commission permanente AOC de l’INAO ce 10 janvier, puis du conseil spécialisé vin ce 23 janvier. À voir si l’opération de déminage des émissaires charentais permettra de refroidir le débat, ou s’il y aura un nouveau coup de chauffe.
* : 250 ha en 2016, 800 ha en 2017 et 1 500 ha en 2018.
Si les porte-parole de la viticulture charentaise soutiennent le programme de plantation arrêté par l’interprofession, des voix discordantes se font encore entendre dans le vignoble. Même si elles préfèrent l’anonymat pour éviter tout risque commercial. Ainsi, « Cognac prend le chemin d’un vignoble industriel sous l’impulsion des maisons » confie un bouilleur de cru charentais. Qui glisse rester prudent pour ses investissements : « les négociants montrent leur envie en rabattant la campagne pour trouver des volumes supplémentaires, mais les nouvelles économiques ne sont pas bonnes en Chine et celles politiques sont inquiétantes aux États-Unis… » La mémoire de la crise de la fin des années 2000 reste encore vive.