e diagnostic est clair : l’alcool traverse une profonde crise de sens et d’identité. Sa consommation, de plus en plus dénormalisée, est désormais assimilée à celle du tabac, dans le sillage des recommandations de l’OMS. « L’alcool est dans le collimateur de l’OMS et nous craignons de ne pas peser suffisamment dans le débat », a alerté Samuel Montgermont, président de Vin & Société, dressant un constat sans équivoque. S’appuyant sur des données révélatrices – « 6 % des consommateurs assurent 55 % de la consommation en France » – il a averti : si rien ne bouge, la filière ne tiendra pas plus de dix ans sur ce modèle.
L’enjeu majeur du packaging
De là à taxer la filière d’immobilisme il n’y a qu’un pas, qu’on aurait tort de franchir, mais il est certain que les freins à la consommation de vin sont multiples, voire systémiques. A commencer par la présentation de l’offre en grandes surfaces : « Elle date d’une réglementation qui remonte aux années 70 et elle est imbuvable ! » ironise le représentant professionnel, déplorant par ailleurs un prix moyen de 4€ par bouteille pour lequel « il n’y a pas d’économie viable ». Autre obstacle majeur : le format des contenants. « La bouteille de 75cl n’est pas le contenant idéal et on recule d’autant l’acte de consommation ». Plaidant pour une multiplication des formats – à l’instar d’un marché comme la Suède, pays non producteur, où les poches, BIB et cannettes se sont imposés – Samuel Montgermont insiste sur la nécessité d’explorer les portions individuelles : « La portionnalité existe partout, sauf pour le vin ! Les consommateurs sont perpétuellement en mode explorateur et avec un contenant à taille réduite, on se risque plus facilement ».
Les conséquences d’une codification élaborée autour du vin
C’est là que le bât blesse : transposer des innovations qui font florès aux Etats-Unis, au Royaume-Uni ou en Scandinavie s’avère moins aisé qu’il n’y paraît. « En France, tout ce qui est hors 75cl est suspicieux au niveau de la qualité donc la filière doit s’assumer et garantir le niveau qualitatif des produits. Il faut un mouvement de fond, il faut encourager la consommation nomade », martèle le président de Vin & Société. Pas si simple, estime Ewa Crétois, fondatrice de l’agence Com & Cru : « Les jeunes Français ne sont pas attirés par les cannettes », affirme-t-elle, citant le flop vécu par la marque Maison Bagarre, pourtant lancée par l’influenceuse Océane Amsler. En revanche, la spécialiste du marketing pointe plusieurs pistes que la filière a rechigné à explorer jusqu’à présent : « On s’est beaucoup moqué du rosé pamplemousse et autres vins aromatisés mais il y a beaucoup de demandes pour l’aromatisation ». Proches de la mixologie tant prisée, les cocktails à base de vin offrent « un gros usage » à exploiter, permettant une simplification de l’approche, sans tomber dans la sur-simplification. S’insurgeant contre les diktats imposés par la filière – « Il y a dix ans on a appris aux consommateurs de ne pas mettre de glaçons dans les rosés » – Ewa Crétois reconnaît toutefois qu’aujourd’hui « on a mis de l’eau dans notre vin ! »
Le sans alcool un relais de croissance indéniable
Vincent Pugibet, vigneron au Domaine La Colombette près de Béziers, n’a pas mis de l’eau dans son vin mais il est devenu au fil des ans un fervent défenseur du vin sans alcool. « Au début, on corrigeait tout simplement la teneur en alcool pour la faire passer de 13/14% à 11,5% », raconte-t-il. « Un peu par provocation et par opportunité, on est allé vers le sans alcool mais en traînant les pieds. Aujourd’hui, on en a toujours dans le frigo ». Précurseur des vins faiblement alcoolisés – avec sa cuvée Plume à 9% lancée en 2005 – La Colombette a pu faire des parallèles entre le sans alcool et le faiblement alcoolisé. « Avec les vins faiblement alcoolisés on n’a pas l’impression d’attirer de nouveaux clients. C’est comme le transfert du vin rouge vers le rosé puis le blanc, on est toujours sur les mêmes clients. Avec le sans alcool, on touche un panel beaucoup plus large et pas une cible très précise ». Les chiffres lui donnent raison : « Nous vendons une palette par semaine de Plume aux particuliers, dont l'âge moyen est de 72 ans. Ce sont des consommateurs quotidiens. En 2024, 30% de nos ventes étaient sans alcool. C’est clairement un relais de croissance ». En dehors de son pragmatisme commercial – « Ce qu’on recherche tous ce sont de nouveaux clients » – Vincent Pugibet cherche aussi à renouveler l’image du vin. « Cibler des alcooliques repentis et des femmes enceintes ne me faisait pas rêver. Par contre, faire un footing à Londres avec Cara Delevingne me fait rêver ! » faisant allusion à l’égérie des vins sans alcool.


Pour le vigneron languedocien, comme pour le président de Vin & Société, la filière doit assumer ses produits tels qu’ils sont, leur qualité – « qui ne pose aucun problème » – mais aussi leur composante alcoolique. Tout en reconnaissant que le secteur « a beaucoup évolué dans le débat selon lequel le vin n’est pas de l’alcool », Samuel Montgermont estime qu’on « a tout à gagner en s’assumant vis-à-vis de l’alcool, surtout par rapport à la Génération Z. Le concept de la modération ne suffit pas parce que le curseur peut varier ». Dans un contexte où, selon le président d’Oenophorie auprès de la Montpellier Business School, Stanislas Laussel, « les jeunes prennent un peu tous les produits » [psychotropes], Vincent Pugibet considère qu’à force de « nier l’ivresse et le plaisir, le vin n’est plus sexy ou festif ». Partant de là, il n’y a plus qu’à souhaiter « une rupture d’usage » impulsée par l’ensemble de la filière, comme l’appelle de ses vœux Samuel Montgermont.