algré une très petite vendange et un plan d’arrachage produisant ses effets en France, les prix du vin restent très bas et le marché semble bloqué avec une consommation mondiale basse comme jamais. Est-ce le signe d’une crise structurelle à tiroirs conjoncturels ? Comment casser cette spirale ?
Fabrice Chaudier : L’absence d’impacts positifs sur la filière française de la faible récolte et de la réduction volumique par l’arrachage démontre que le marché n’est plus un équilibre entre l’offre et la demande. Comme nous le disons, la France ne surproduit pas, elle sous-vend. Et ses difficultés ne devraient pas s’estomper si elle ne s’attaque pas à leurs causes. En cela, il s’agit de problèmes structurels propres à la France. Pour résumer à grands traits, la France produit à moitié pour son marché intérieur et à moitié pour l’export. C’est cette seconde part qui provoque l’essentiel de la catastrophe, puisque notre part de marché mondiale volumique ne cesse de chuter : de 24,9 % en 2000 à 12,7 % aujourd’hui. Ce sont 12,05 millions d’hectolitres de plus que nous aurions dus exporter en 2024. Parlerait-on alors de crise ?
Sur le marché intérieur, c’est la révolution de la distribution qui bouleverse les acteurs. La grande distribution a perdu son leadership, remplacée par une multitude de canaux (cavistes, vente directe, internet, etc.) plus complexes et plus chers à capter. Le consommateur quant à lui concentre ses achats sur des vins que les producteurs doivent lui apporter - bio, blanc sec, bulles, origine, premium et vins de vignerons. Ceux qui ne les produisent pas souffrent plus que les autres.
Jean-Marie Cardebat : Nous sommes en train de changer de régime de consommation. Depuis les années 1960 il y a déjà eu deux grands régimes. À chaque fois, ce ne sont ni les mêmes consommateurs, ni les mêmes vins qui tirent la consommation mondiale. Si un troisième régime se confirme d’ici la fin de la décennie, il n’échappera sans doute pas à cette règle. Dès lors, les efforts pour casser la spirale sont dans l’adaptation de l’offre aux attentes nouvelles des consommateurs et à la prospection de nouveaux marchés, segments de marchés, etc.
Si on continue à proposer les mêmes vins aux mêmes personnes, on va dans le mur. On pourra continuer à arracher toujours plus de vigne, cela ne changera rien. Un exemple, depuis plusieurs années le prix du vin en vrac blanc en France performe nettement plus que celui du rouge qui baisse. N’est-ce pas le signe que lorsque le vin rencontre une demande en répondant aux attentes, le prix ne s’effondre pas.
Vous communiquiez fin 2024, lors du salon Vinitech, sur la fin proche d’un cycle de crise, avec une production de vin inférieure à la consommation dans le monde. Votre optimisme est-il d’actualité alors que le poids des stocks reste élevé face à la chute de la consommation et à l’augmentation des incertitudes économiques/géopolitiques (notamment avec la présidence Trump) ?
Fabrice Chaudier : L’optimisme n’est pas de l’aveuglement. Le contexte est imprévisible et donne beaucoup d’incertitudes aux acheteurs, ce qui complexifie encore la commercialisation. Mais il faut répéter le message de l’Organisation Internationale de la Vigne et du Vin (OIV) : la vigne n’est pas en crise. Jamais autant de pays n’ont consommé du vin. Il faut accepter cette globalisation du marché et investir collectivement pour soutenir les efforts de vente, ce qui n’est pas fait. Aujourd’hui, 90 % de l’enveloppe Organisation Commune du Marché vitivinicole (OCM vin) reste destinée à l’amont et la France demeure le seul grand pays exportateur à ne pas avoir de stratégie nationale. Plus la conjoncture devient fluctuante, plus cet effort devient essentiel.
Jean-Marie Cardebat : Nos prédictions 2024 commentées et notre nouvelle prévision 2025 vont être bientôt rendues publiques dans le prochain baromètre Vinotracker - chaire INSEEC d’économie du vin et des spiritueux. Elles montrent clairement que la forte dégradation de la conjoncture économique et la montée de l’incertitude sur les deux plus grands marchés du monde (États-Unis et France) ont aggravé la situation. Ces deux pays ont des conditions politiques chaotiques. Sur les autre marchés, nos prévisions précédentes s’avèrent assez justes, avec notamment une stabilisation en Italie et Espagne.
La dissolution en France, l’arrivée de Donald Trump, et les craintes inflationnistes qu’il véhicule aux USA, ne sont pas gage de la reprise de la consommation dans ces pays. Cela confirme qu’une partie de la crise actuelle a une composante conjoncturelle importante. L’espoir d’une reprise est repoussé d’au moins un an au regard de la politique américaine et pourrait s’opérer non pas en 2026 mais en 2027. Toutefois, la crise est aussi structurelle, puisque l’offre tarde à s’adapter à la demande et tarde à viser des nouveaux marchés à l’international de façon massive, structurée et collective à une échelle nationale.
Un nouveau plan d’arrachage, potentiellement ouvert réglementairement par une évolution européenne, est-il pertinent pour vous ? L’exemple du Chili tendrait à montrer qu’une réduction suffisamment forte du potentiel de production permet de rééquilibrer offre et demande.
Fabrice Chaudier : Pour adapter "offre" et "demande", il faudrait réduire notre potentiel de production à 38 millions d’hectolitres (25 pour le marché intérieur et +/- 13 pour l’export) contre un potentiel de +/- 50 millions hl actuels. Voulons-nous donc arracher le quart du vignoble, 190 000 hectares ? Votre question est existentielle et je pense que c’est la bonne question à se poser.
Jean-Marie Cardebat : L'interview d’un acteur chilien important dans votre magazine parle de replantation à venir au Chili me semble-t-il ? Surtout, au Chili comme en Australie et dans d’autres régions où l’on a pu arracher, il n’y pas de contraintes réglementaires pour ne pas replanter. L’arrachage définitif n’a pas de sens et démontre surtout une culture ancrée de régulation qui interdit toute souplesse. C’est un débat que l’on pourrait avoir sur les règles des AOC aussi… Est-ce que la réduction de l’offre va vraiment impacter les prix si les vins proposés ne correspondent pas aux attentes du marché ? Pas à moyen long terme. Le seul impact positif qu’il pourrait y avoir serait purement transitoire, à très court terme. Donc non, un nouveau plan d’arrachage n’a pas de sens économique. C’est un outil quantitatif quand les racines de la crise sont dans l’inadaptation de l’offre à la demande et dans la dégradation de la conjoncture. Aider la filière à repenser son offre aurait bien plus de sens.
Les procédures collectives se multipliant dans le vignoble, est-il possible de projeter les opérateurs sur de l’innovation dans le développement de nouveaux profils produits (rouges légers, vins effervescents, gamme no/low alcohol…) et l’investissement dans les circuits commerciaux (stratégie marketing et présence terrain) ?
Fabrice Chaudier : Je le répète, la France dispose de 280 millions € par an d’OCM vin. Ces subsides peuvent financer un plan massif de relance de la viticulture française. Il faut en choisir les axes et les priorités. Cette stratégie est entre les mains des vignerons et vigneronnes, des maisons de négoce. Nos études, nos interventions terrain peuvent servir de base à cette réflexion. Il faut s’entendre et non se diviser.
Jean-Marie Cardebat : Oui, c’est nécessaire d’ailleurs, mais pas sans aide. Comme le dit Fabrice on souffre d’un gros problème d’orientation de l’aide. Pourquoi ne pas aider en créant de vastes centres de désalcoolisation, en favorisant l’élaboration de nouveaux profils, en greffant pour faire du blanc, etc. ? Il est bien certain aussi que des solutions collectives sont à trouver pour être plus forts. C’est alors un problème d’organisation qui se pose. Là encore, l’accompagnement est primordial.
Comment voyez-vous l’année 2025 pour la filière vin : la croisée des chemins où tout est possible pour sortir de crise, ou le dernier arrêt de nombreux opérateurs à bout de souffle ?
Fabrice Chaudier : Tout reste possible. Comme j’aime à le répéter, dans un contexte collectif morose, alors que des vignerons et vigneronnes continuent à plonger dans la misère, certains et certanies allant jusqu’au suicide, il n’a aussi jamais autant existé de réussites individuelles. Personne n’a de baguette magique. Mais on peut proposer des solutions pour s’en sortir. Des perspectives dynamiques continuent à exister. Les vignerons et vigneronnes ne peuvent rester seuls face aux défis à relever. L’effort, je le redis, devrait être d’abord porter par le collectif. Sinon, nous allons nous user individuellement les uns après les autres. Osons travailler ensemble.
Jean-Marie Cardebat : Tout va être un problème d’adaptation. Il est urgent d’innover pour ceux qui ne l’ont pas encore fait. Dans le profil des produits, la gamme, le packgaging, avec la question des volumes, mais aussi dans la commercialisation, la distribution, etc. Des opportunités existent déjà (les bulles, le sans alcool…), d’autres sont à créer (vendre en petit volume avec des packagings plus attractifs par exemple), mais cela demande des moyens et des compétences. Tout le monde parle des jeunes, mais qui réalise les investissements commerciaux pour aller chercher cette clientèle là où elle consomme ? 2025 dépendra des conditions économiques mais aussi de la capacité d’une filière à innover. Les pouvoirs publics doivent prendre leurs responsabilités pour aider cette filière de façon intelligente et massivement car peu d’acteurs ont encore une capacité financière à investir.