oujours à rebrousse-poil du discours dominant de la filière vin, le professeur d’économie Jean-Marie Cardebat (chaire vins et spiritueux INSEEC) propose une vision positive et dynamique à l’occasion d’une conférence ce 27 novembre sur le salon Vinitech. Posant que « la consommation de vin n’est pas un long fleuve tranquille », l’enseignant-chercheur analyse l’évolution historique de la consommation de vin selon des cycles, avec des pics (les Trente Glorieuses pour le marché européen, la mondialisation dans les années 2000 notamment en Chine…) et des affaissements (crises de récession/inflation des années 1980 après les chocs pétroliers, de 2008 après les subprimes, en 2017 avec la crise en Chine*…). Dans cette approche cyclique, « l’historique économique explique les évolutions de la consommation de vin. Dès qu’il y a inflation et baisse des revenus, les dépenses sont concentrées sur l’essentiel (logement, alimentation…) » résume Jean-Marie Cardebat.
Pour l’économiste, le plus dur de la crise économique mondiale semble passé : « on constate actuellement que l’inflation est gérée. Il y a une croissance économique relativement atone, mais cela frémit aux États-Unis et je pense que la croissance américaine devrait augmenter et devrait tirer les échanges mondiaux, même s’ils sont réduits. On peut être plus optimise sur un nouveau cycle économique. La consommation de vin suivant, mécaniquement ça ira mieux demain pour les ventes de vin. » Et d’avancer que l’« on est en train d’atteindre un creux. Nous prévoyons en 2025 une stabilisation de la consommation ». L’économie n’étant pas une science exacte, éclairant davantage le passé que prédisant l’avenir, les perspectives de nouvelle phase de croissance commerciale ne sont pas assurées, mais possibles, Jean-Marie Cardebat ne croyant pas dans un scénario de « fin de l’histoire » où la consommation de vin continuerait de s’effondrer toujours plus (« je ne privilégie pas cette option dans le contexte actuel »).


Pour lui, la « crainte » est « que l’on n’ait pas assez de volumes pour répondre à une éventuelle hausse » des ventes. L’économiste estimant que la premiumisation voulue par les consommateurs lors du cycle de croissance dans les années 2000 a été accentué par un manque de disponibilité suite aux programmes d’arrachages de l’époque. « Penser que l’on va pouvoir régler les problèmes de commercialisation en réduisant la production… » laisse en suspens le consultant Fabrice Chaudier, soulignant que le vin n’étant plus une boisson alimentaire depuis les années 1960, c’est devenu « un produit non-indispensable encore plus sensible aux cycles économiques ». En l’état, « l’arrachage ressemble plus à un plan social, ce qui est positif pour les viticulteurs en difficulté » note le professeur Jean-Marie Cardebat, estimant que « d’un point de vue économique, c’est dangereux à moyen terme de laisse la place à la concurrence. Quand on arrache 10 000 hectares à Bordeaux, on en plante 10 000 au Mexique. Ce sont des marchés que l’on aurait dû aller chercher avant : maintenant c’est un peu tard. » Tranchant, Fabrice Chaudier note que la filière vin ne fait pas montre d’une grande anticipation : « quand on prend un mur, c’est de face et à pleine vitesse ».
Prônant une stratégie contracyclique, l’économiste préconise pour l’avenir de « prendre les décisions difficiles quand ça va bien. Par exemple, les cognacs Hennessy ont un projet de délocalisation de leur embouteillage d’eaux-de-vie en Chine [NDLA : pour éviter les taxations chinoises, le projet a été annulé]. Cela aurait dû être fait avant. Si l’on délocalise, cela permet de maintenir la production et plus d’emploi local que si l’on n’a pas de solution. » Pour Fabrice Chaudier, des investissements agronomiques doivent être menés, comme le surgreffage de cépages blancs sur des ceps rouges, le déplacement des parcelles viticoles sur des terroirs plus élevés et frais… « L’argent que l’on met pour détruire, on pourrait le mettre pour convertir » plaide le consultant.
Dans la période actuelle, le défi de la filière vin est de réinventer sa commercialisation. Dans un livre blanc paru pour le salon Vinitech, Jean-Marie Cardebat, Fabrice Chaudier et Gérard Spatafora (e-studio) préconisent de poser un autodiagnostic, de créer une plateforme de marque, de développer des produits cohérents en termes de profils et de packaging, de positionner ses prix selon les réseaux et consommateurs visés… Car si l’on peut espérer un nouveau cycle de croissance des ventes de vin, « attention, on ne consommera pas les mêmes vins » prévient Jean-Marie Cardebat, tablant sur une « ère de la proximité » pour conquérir de nouveaux consommateurs. A commencer par les jeunes ne consommant pas de boissons alcoolisées : « à 52 ans, je suis la cible chérie des producteurs de vin comme je consomme tous les jours. Mais il ne faut pas s’adresser à moi, ça y est je suis captif ! »
* : « En 2017, la croissance économique chinoise baisse. On a perdu les deux tiers du marché du vin en Chine depuis, ça fait des millions d’hectolitres en moins, ce qui explique une grande partie de la baisse de consommation mondiale » pointe Jean-Marie Cardebat.