ecevant ce 13 mai le titre de commandeur du Mérite Agricole des mains de la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, le vigneron-négociant Michel Chapoutier a partagé à Paris un discours en forme de bilan œcuménique pour l’avenir de la filière vin. « Finalement, en 35 ans de syndicalisme agricole (si je peux l’appeler ainsi) j’ai vu une filière évoluer où tous les négociants sont devenus producteurs et ou 80 % des vignerons sont devenus négociants » note le président depuis 2014 de l’Union des Maisons & Marques de Vin (UMVIN), saluant une convergence des visions de la filière en rupture « avec le syndicalisme des années 1960-1970, nourri par la lutte des classes, [qui] a heureusement disparu de notre filière, (j’oserais même dire que nous le retrouvons plus facilement chez des personnes de l’administration française que chez nos amis de la production). »
Notant que désormais « parler de pragmatisme économique et de marché n’est plus tabou », Michel Chapoutier salue la vista de la filière vitivinicole : « le vin a su prendre un leadership. En effet, ce fut la première filière qui apprit à rémunérer la qualité prioritairement à la quantité. C’est vrai qu’à l’origine, cette distinction se faisait sur le degré alcoolique. Point important et presque dramatique, car aujourd’hui, dans l’inconscient collectif, le degré alcoolique reste toujours inconsciemment un dogme. » Une recherche de maturité et de richesse par l’alcool qui pèse désormais lourd dans le désamour du vin pour le membre de l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO) qui ne craint pas de lancer une cuvée rouge à servir frais ou de proposer de réhydrater les vins pour en diminuer l'alcool plutôt d’opter pour la désalcoolisation* pour rendre les jus plus digestes face au changement climatique.


Le dogme du degré alcoolique ? « C’est pour cette raison que les boissons fraiches et moins alcooleuses prennent progressivement le marché des vins, surtout du vin rouge qu’on se refuse toujours à boire frais » poursuit Michel Chapoutier, ajoutant que « c’est pour cette raison que dans le vin nous vivons non pas une crise de surproduction, mais plutôt une crise de sous consommation ou d’inadaptation de certains de nos vins à la demande. » Reconnaissant que « notre filière a trop souvent pris la mauvaise habitude de produire puis après de se demander qui va acheter le produit », le négociant rhodanien pointe que « nos vins AOC ne sont-ils pas là pour proposer une photo des terroirs par le marketing de l’offre ? Et cette philosophie marche… Oui… mais pour nos grands vins. »
Ne semblant pas être un fan de la premiumisation à tout crin, Michel Chapoutier défend une vision pyramidale de l’offre des vins français : où le sommet doit s’appuyer sur une base solide et étendue. « À vouloir proposer l’ascenseur social pour tous : on a offert à nos collègues de l’Europe du sud des socles entiers de notre production » constate-t-il, appelant à faire « attention face au nouveau déploiement des vins de France, n’allons pas les gêner à nouveau, en créant des contraintes sous prétextes qu’ils se vendent souvent plus chers que certaines AOP régionales. » Le négociant pointant que « l’ascenseur social a été trop souvent un piège pour des AOP régionales : leur imposant les mêmes contraintes que les crus, au lieu de leur offrir une souplesse d’adaptation au marché. L’AOP régionale est le poumon des AOP viticoles françaises, et pour cela il faut lui donner de l’air. »
En termes de bouffée d’air, Michel Chapoutier défend l’implication collective comme hygiène personnelle. Comme il aime le relater, le négociant a rejoint une entreprise familiale en difficulté en 1986 avant de la reprendre à son grand-père, Marc Chapoutier, en 1990 : « et me voilà très riche en dettes » plaisante-t-il dans son discours du 13 mai. S’il devient la même année le plus jeune vigneron noté 100/100 par le critique américain Robert Parker, « il faut sauver la boite et donc tout compter… » rapporte Michel Chapoutier, relatant qu’« un jour [mon épouse] Corinne me dit : à compter tes sous ou tes dettes, tu vas devenir con… Si tu ne l’es pas déjà. Ainsi, afin d’essayer de retarder un peu cette échéance ou déchéance, je décide de me consacrer au collectif. Là c’est plus une thérapie pour ne pas me faire manger par l’entreprise familiale, par l’ogre familial. »
Alors que la filière vin semble faire face à une crise des vocations pour renouveler ses représentants personnels, Michel Chapoutier partage son constat : « quelle belle thérapie : donner du temps au collectif. Oui, donner et non pas prendre. » Président depuis 2014 de l’UMVIN et depuis 2021 du réseau en charge du label Vignobles et Découvertes, Michel Chapoutier a précédemment présidé l’Union des Maisons de Vins du Rhône (UMVR, 2005-2014) et l’Interprofession des Vins de la Vallée du Rhône (Inter Rhône, 2014-2020). « Finalement donner du temps à cette famille des vins et spiritueux m’a permis d’apprendre beaucoup plus que ce l’école proposait d’apprendre… Bon c’est vrai que je ne me suis pas éternisé dans un processus d’étude » plaisante le titulaire d’un brevet de technicien supérieur d’œnologie (obtenu à Mâcon, Saône-et-Loire).


Espérant qu’« il est temps d’espérer que les jeunes découvrent la richesse du collectif et du plaisir de donner et partager », Michel Chapoutier pointe qu’« à cette époque de la clôture du premier quart du vingt-et-unième siècle, il est temps d’espérer que les jeunes générations s’intéressent à notre filière en tant que consommateurs, car ce sera aussi par les casse-croûtes et les canons, nos canons à nous, que nous éviterons les guerres » Dans son discours, la ministre de l’Agriculture Annie Genevard salue un personnage « visionnaire et audacieux, créateur de crus d’exception comme de vins accessibles, explorateur de terroirs, mais aussi humaniste, philanthrope, vous incarnez une figure rare : celle d’un homme qui fait dialoguer la tradition et l’avenir, l’exigence de qualité et celle de solidarité ».
* : « C’est pour cette raison qu’on ne réhydrate pas un vin pour réduire son degré mais qu’on utilise des méthodes soustractives désastreuses au niveau de la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) » glisse Michel Chapoutier.