première vue, les statistiques douanières et différentes analyses portant sur les trois dernières années contredisent cette hypothèse. En effet, selon l’IWSR les vins tranquilles ont accusé une régression de 25% en volume en 2023, faisant suite à une baisse de 10% en 2022. Et les chiffres relatifs à 2024 continuent sur la même trajectoire : les importations de vins ont totalisé quelque 520 000 hectolitres pour un chiffre d’affaires de l’ordre de 460 millions de dollars, soit des baisses de 8% en volume et de 8,6% en valeur. En cause : les mécanismes liés à la gestion de la pandémie qui ont fait gonfler les stocks de vins. « Des règles de confinement strictes ont fait grimper en flèche la consommation, comme ce fut le cas aussi de l’assouplissement de la réglementation entourant le commerce électronique … amenant un consommateur sud-coréen sur cinq à commander en ligne » note Jonathan Ho, analyste chez l’IWSR. « Dès que les règles de confinement ont été assouplies en 2022, les volumes de vins ont été fortement impactés ».
Des fondamentaux solides à long terme
Mi Yeun Hong, journaliste et consultante sud-coréenne, estime que le marché subit actuellement une « crise d’appréciation. Beaucoup d’importateurs ont constitué des stocks de manière très offensive pendant la pandémie. Ils ont toujours du mal à les écouler et hésitent à placer de nouvelles commandes ». Au-delà de cette correction post-pandémique, les fondamentaux restent bons, estime l’IWSR. « Alors que de nombreux marchés dans le monde restent structurellement orientés à la baisse sur le long terme, les vins tranquilles et effervescents connaissent une croissance soutenue depuis des années en Corée du Sud », note l’analyste, qui prévoit un taux de croissance annuel composé de 5% entre 2023 et 2028 pour les vins tranquilles et effervescents. Dans un rapport publié à la fin de 2024, le ministère américain de l’Agriculture confirme : « Depuis l’ouverture du marché en 1988, les importations ont été multipliées par plus de 132 en valeur et de 41 en volume ». Et la France reste bien positionnée, à la première place en valeur et à la troisième place en volume en 2023 : « La France a été l’unique pays parmi les six premiers fournisseurs en 2023 à connaître une hausse en valeur », pointe l’USDA. Le Champagne fait partie des moteurs de cette croissance, enregistrant une hausse de 10% en volume en 2023 : « Le secteur CHR moderne en Corée du Sud a favorisé l’engouement en faveur du Champagne », souligne pour sa part l’IWSR.
Le cœur de gamme s’est contracté
Plus généralement, le marché sud-coréen subit une mutation en termes d’habitudes de consommation. Mi Yeun Hong pointe une tendance chez les jeunes consommateurs à s’orienter vers les spiritueux locaux comme le soju, appuyée par la présence de nombreux restaurants traditionnels et leurs prix attractifs, tout en confirmant par ailleurs une polarisation du marché. « D’un côté, les vins abordables commercialisés à moins de 10 000 won (soit environ 6,40 €) augmentent rapidement tandis que de l’autre côté, la demande en faveur de vins vendus au-dessus de 200 000 won (127 €) reste soutenue. Le cœur de gamme, qui s’est fortement développé pendant la pandémie, a tendance à stagner actuellement ».
Les magasins de proximité, relais de croissance inattendus
Autre évolution soulignée par l’USDA : la montée en puissance des magasins de proximité, « dont les ventes de vins ont affiché une croissance à deux chiffres, dans un contexte de baisse des importations ». Des chaînes comme Seven Eleven et GS 25 ont profité de l’assouplissement de la réglementation sur le commerce électronique, les consommateurs devant se rendre en personne dans un point de vente pour récupérer les vins et spiritueux achetés en ligne. Certes, leur part reste faible, estimée en 2021 à 5% des achats de vins, comparée à 73% pour les hypermarchés ou 11% pour les grands magasins, mais ils ont « joué un rôle essentiel dans la commercialisation du vin ces deux dernières années », affirme le rapport américain.
Un nouveau lieu pour réinventer l’expérience vin
C’est dans ce contexte complexe que le Concours Mondial de Bruxelles a décidé d’ouvrir ce printemps à Séoul un « lieu d’exception » dédié à la découverte des vins et spiritueux du monde, notamment ceux primés lors de ses différents concours. Sur plus de 2 000 m2 répartis sur quatre étages, jusqu’à 250 amateurs de vins et spiritueux peuvent découvrir plusieurs centaines de références provenant de 35 pays et importés directement auprès des producteurs pour « éliminer les marges des distributeurs et proposer une qualité exceptionnelle à des prix très compétitifs », note Mi Yeun Hong, également directrice de CMB Wine Korea. « Les consommateurs sud-coréens ont encore tendance à boire du vin en fonction de son étiquette. Ici, nous avons voulu leur proposer la même expérience que celle des dégustateurs internationaux qui jugent les vins uniquement pour leur profil gustatif sans égard aux marques ». Le concept va même jusqu’à proposer des dégustations à l’aveugle où les clients doivent devenir quelle médaille un vin a remporté. « Plutôt que d’identifier un vin par son origine, son cépage ou son millésime, les clients sont invités à se focaliser uniquement sur le goût. Cela permet de faire découvrir les produits de manière ludique et sans intimidation ».


Les positionnements prix reflètent aussi la structure actuelle du marché et vise la simplification : « Les vins sont proposés à prix fixes, soit 55 000 won (35 €) pour les médaillés d’argent, 85 000 won (55 €) pour les médaillés d’or et 128 000 won (82 €) pour les grandes médailles d’or. Compte tenu de notre emplacement à Cheongdam ce sont des prix très accessibles et la politique de prix fixes est une première en Corée du Sud ». A noter que le positionnement idéal dans le secteur CHR se situe entre 50 000 et 130 000 won : « Ce sont des prix où les consommateurs sont disposés à faire un achat sans qu’il y ait une occasion particulière, mais ils s’attendent quand même à un certain niveau qualitatif », précise la consultante.
De nouvelles opportunités à saisir
Avec la multiplication du nombre de cavistes, le développement des ventes de vins dans des magasins de proximité et l’intérêt croissant manifesté par les jeunes consommateurs et les femmes en faveur du vin, le marché sud-coréen entre sans aucun doute dans une nouvelle phase : « A l’avenir, la consommation de vin tournera davantage autour de l’aspect expérientiel. L’important n’est pas uniquement ce que vous consommez mais où, comment et avec qui. Les alternatives moins alcoolisées, les produits durables et les choix plus sains s’imposeront de plus en plus, de même que des vins avec un storytelling convaincant – que ce soit ceux élaborés par des femmes, à l’aide de pratiques peu interventionnistes ou dans des régions émergentes – auprès de consommateurs en quête de sens dans leurs achats », estime Mi Yeun Hong. La possibilité d’explorer les alliances mets et vins, de vivre une « expérience » autour des vins et de découvrir des références hors des sentiers battus s’inscrit pleinement dans une politique de prospection et de développement de ce marché asiatique « qui dispose encore d’un potentiel énorme », selon l’IWSR.