t soudain, le ronronnement du salon de l’Agriculture s’est tu, emporté sous les coups d’accélérateur d’initiatives du négoce et de la grande distribution. Alors que le retour de la promesse présidentielle de prix plancher, inchangée et comme immobile depuis l’an passé, ne laissait plus d’autre choix que d’attendre la révision d’Egalim pour espérer fixer des indicateurs de coûts de production encadrant la juste rémunération des vignerons, le sujet s’est concrétisé au KLM : ce jeudi, Karine Le Marchand a réussi à engager cinq enseignes pour la vente directe d’agriculteurs en difficulté, à des prix fixés par eux-mêmes dans des enseignes de proximité les réglant sous 30 jours max. Comme le style de Montaigne décrit par Voltaire, ce projet « est énergique et familier : il exprime naïvement de grandes choses ». S’il n’est pas rare que des magasins s’ouvrent aux circuits courts et valorisés, on parle ici de 20 000 magasins mettant en avant les produits d’agriculteurs en besoin urgent de trésorerie. Le premier domaine mis en avant par cette initiative "l’amour est tout près" est la vigneronne médocaine Catherine Héraud, qui avait fait l’actualité en 2024 en alertant sur le risque de suicide et incarne désormais un espoir de rebond valorisé et solidaire.
Le mamour est tout près ? On l’espère d’autant plus que cette initiative d’ampleur n’est pas isolée. D’autres négociants mettent en place un prix rémunérateur du vin avec le soutien des distributeurs. Et pas des moindres : les leaders Leclerc et Grands Chais de France lancent depuis le salon de l’Agriculture l’initiative "Soutenons nos vignerons" assurant une survalorisation bienvenue des cours de 5 vins rouges d’appellation en grande difficulté pour un versement de 48 % du prix HT aux caves coopératives partenaires (rappelant la démarche "C’est qui le patron", qui n’avait pas fait florès dans la filière vin). Il y a quelques mois, les "vins solidaires" d’Intermarché affichaient déjà que « plus de 35 % du prix de vente TTC est reversé à nos caves partenaires ». Et le commerce équitable qui était jusqu’alors mis au service de la juste rémunération des pays du tiers monde est désormais mobilisé pour viticulteurs label Fair For Trade (obtenu par les vignobles Gabriel en 2020 et le négoce Mouton Cadet en 2024).
Pour les optimistes invétérés, ce sont de véritables coûts de cœur particulièrement prometteurs pour l’avenir du vignoble. Pour les sceptiques endurcis, ces initiatives peuvent ressembler à de la communication affichant de bonnes intentions pour acheter la paie sociale avec des volumes qui s’annoncent encore limités. Certes, on peut encore parler d’épiphénomène, mais « on ne peut pas allumer de feu sans étincelle » chante Bruce Springsteen. Encore limitées, ces initiatives ont le mérite d’être inspirantes et d’amorcer un mouvement de transparence sur la rémunération des vignerons auprès des consommateurs : l’ouverture d’une fenêtre sur cours. Quitte à être déçu, on peut nourrir l’espoir que d’autres opérateurs s’embarquent dans cette dynamique. Ne serait-ce que pour anticiper ce que la loi tarde à réaliser (du moins si l’on excepte le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux d’il y a un an) et pour répondre aux demandes de développement durable du marché (en témoigne l’étude des Vignerons Engagés où le social est une attente aussi forte que l’environnemental).
Puissent ces nouveaux modèles vertueux en finir avec le principe des bouteilles produits d’appel, et transformer la promo en vin rémunérateur. Cela va demander du travail dans la filière pour rééduquer les clients finaux au vrai prix des vins. Car au final, seul le consommateur en sera le juge… de paie.