ue l’on voie le verre à moitié vide ou à moitié plein, l’apparition des notions de commerce équitable dans la filière des vins français témoigne de la brutale précarisation de la production viticole ou d’un outil de mobilisation des consommateurs pour ne plus vendre en dessous des coûts de production. À date, deux gammes de vins bordelais affichent le label Fair Trade (groupe Ecocert). Soit le collectif vigneron Gabriel & co (depuis 2020) et la marque Mouton Cadet (sur son Bordeaux rouge depuis 2024). Il s’agit d’un « label très complexe, pas juste d’un petit logo sur l’étiquette [ou d’une] posture opportuniste » pointe le vigneron Jean-François Réaud, président-fondateur de Vignobles Gabriel & Co, lors d’une masterclass ce jeudi 12 février durant le Salon Wine Paris.
Si le label impose à ses bénéficiaires de faire appel à un cabinet comptable pour chiffrer précisément ses coûts de production, le jeu en vaut la chandelle, comme cette somme documentée et calculée objectivement devient une valorisation plancher à respecter pour bénéficier de la certification. « L’ambition de Fair for life est de fixer des notions de prix minimum, un cadre économique pour la transaction entre le vendeur et ses acheteurs » pose Marie Lacoste, la directrice de la certification Fair for Life.


Indiquant s’être inspirée de l’initiative de Vignobles Gabriel & Co, Véronique Hombroekx, la directrice générale des vins et marques de Baron Philippe de Rothschild (BPR), note que ce label permet d’assurer au « vigneron à ce que j’appelle le prix rémunérateur (le prix minimum ne veut pas dire grand-chose). Ça rémunère le travail du vigneron qui est placé au centre de nos préoccupations. Je n’ai pas envie de polémiquer, mais je vais quand même le dire, parce que ça me tient à cœur. Quand on voit dans les prospectus de la Grande Distribution (GD) le prix d’une bouteille de vin de Bordeaux à 1,66 €, est-ce que vous pensez tous que le vigneron qui a fait ce vin a été rémunéré dignement ? Je vous pose juste la question. Ça, on ne le veut pas. »
« On ne peut aujourd’hui que constater que l’on ne parle plus de prix rémunérateur au niveau de la filière » estime Véronique Hombroekx, qui « constate qu’il y a beaucoup trop de volumes produits et qu’il y a moins de demande. À un moment, donné, les chais qui sont complétement pleins doivent se vider. Je n’ai pas envie de commencer à polémiquer et mettre une pièce dans l’appareil, mais c’est ce qui est en train de se passer. Aujourd’hui à Bordeaux, vous avez des échanges à 650 € le tonneau qui ne rémunèrent absolument pas le vigneron et qui aboutissent sur des étagères de la GD à 1,66 €. » Indiquant ne pas avoir de solution miracle face à ce constat, la négociante s’affirme « convaincue que par les sillons que nous traçons, plein de gens auront envie de nous imiter ».


Véronique Hombroekx se précisant « humble » alors que Mouton Cadet représente 1 500 hectares de vignes pour 150 vignerons, même si « ce n’est pas la taille qui compte », c’est « montrer ce que l’on peut faire différemment ». D’autant plus qu’il faut convaincre les acheteurs, demandeurs de promotions et de rabais. « Nous sommes en pleines négociations de fin d’année : nous demander de la déflation, ça veut dire que l’on doit baisser la rémunération des producteurs. Ce n’est pas la direction que l’on prend. Il y a toute une prise de conscience qui doit se faire de manière collective au niveau de ces prescripteurs » estime la directrice de Mouton Cadet.
Animant les échanges, le professeur d’économie Jean-Marie Cardebat (université de Bordeaux et Inseec) pointe que la « crise n’a pas mis de côté attentes les attentes sociales et sociétales des consommateurs », alors que le développement durable de la filière vin se focalise trop souvent sur l’environnement et néglige l’économie et le social. « Les relations entre les parties prenantes sont très dégradées, il y a une méfiance entre les mondes du négoce et de la viticulture. Restaurer le lien de l’entraide mutuelle est une excellente chose » avec l’initiative Fair for life note l’enseignant-chercheur. Inventant un « modèle hybride » entre vigneron, coopérateur et négociant, Jean-François Réaud estime que « Bordeaux se réinventera avec moins de superficies et sur des bases plus solides qui respectent l’ensemble des acteurs ». L’erreur serait pour lui de « continuer à faire perdurer Bordeaux comme depuis 40 ans » en « continuant à planter des surfaces, planquer la déconsommation des derrière attributs promotionnel et enlever toute la valeur du produit et des gens qui sont derrière ».