’est dans l’État de Querétaro que sont situées les vignes les plus au sud du Mexique, à 200 km de la capitale, Mexico City. Environ 600 ha en tout, plantés de façon éparse sur ce plateau à 2 000 m d’altitude. Des villes nouvelles recouvrent les flancs des montagnes, impressionnantes, comme Zibata. Des usines de pièces pour Airbus, Bombardier ou Safran s’enchaînent le long des routes. Des serres de tomates et de piments couvrent les champs. Au loin, un large rectangle brille sur le relief montagneux : une mine d’or !
C’est dans ce paysage que pointent ici et là des vignobles au potentiel évident. Si évident que les 34 domaines regroupés au sein de l’Association des producteurs de Querétaro (CVQ) ont décidé, en 2020, de revendiquer une indication géographique. L’IG Querétaro serait ainsi la première du Mexique en matière de vin.
Luis Raventos, responsable de l’unité mexicaine du géant Henkell Freixenet (photo M. Hulot)
Pour faire aboutir leur demande, les viticulteurs ont commencé par identifier ce qu’ils ont planté et ont récupéré un maximum de données concernant leurs sols, la météo, les climats, les terroirs, etc., avec l’aide de l’Université de l’Arkansas. « Nous souhaitons fixer un cadre pour exprimer la typicité de cette région très peu connue, explique Luis Raventos, responsable de l’unité mexicaine du géant Henkell Freixenet située à Ezequiel Montes, à 60 km du centre-ville de Querétaro. On veut montrer qu’on est capable de faire des vins très qualitatifs, ici dans l’État de Querétaro. »
Freixenet fait partie des pionniers de la renaissance de la viticulture locale. En 1982, l’entreprise lance son premier effervescent mexicain. En 1988, elle inaugure une nouvelle cave dédiée à cette production qu’elle doit fermer moins de dix ans plus tard faute de consommateurs.
Mais elle ne lâche pas l’affaire. En 1999, elle ouvre Vina Dolores SalaVivé, du nom de la cofondatrice de Freixenet, la propriété qui a lancé l’œnotourisme au Mexique. Aujourd’hui, c’est le Disneyland du vin à deux heures de Mexico City avec ses stands de souvenirs à l’entrée, ses visites guidées des caves où reposent 3 millions de bouteilles à 25 m de profondeur et son parc où les visiteurs s’empressent de faire des photos devant de grandes lettres « Freixenet » posées dans l’herbe.
Avec ses 50 ha complétés d’achats de raisin, Freixenet produit des effervescents très élégants mais aussi des rouges surprenants, comme ces marselans aux tannins raffinés, sa fierté. L’objectif est d’en faire un fer de lance de Querétaro.
Son voisin direct est Vinedo De Cote, une cave qui fait aussi partie des pionniers de Querétaro. Les visiteurs affluent ici pour profiter du restaurant avec vue sur le vignoble et de visites de la cuverie et du chai d’élevage. De Cote ne produit pas plus de 120 000 bouteilles et vend des raisins à Freixenet. Trois jeunes fraîchement diplômés guident les groupes de touristes qui s’enchaînent.
Dans le même secteur, les propriétaires de Vinaltura ont vu grand. Hans Duer, un Mexicain de 65 ans, s’est lancé dans le vin pour occuper sa retraite. Il a entouré 26 ha d’un mur d’enceinte. Un gardien contrôle l’entrée qui donne sur un immense bâtiment, trop grand pour les 35 000 bouteilles qui en sortent. Mais le projet n’est pas terminé.
« À terme, nous produirons 120 000 bouteilles par an, explique Luis Gallardo, le directeur technique venu de l’industrie de la tomate et du piment. Nous comptons proposer aussi des services comme la location d’espace et la vinification à façon. » La gamme est large (27 étiquettes). Les essais de vinification sont nombreux et les résultats encourageants. Les vins font leurs premiers pas à l’export, comme ce gewurztraminer sec 2023 tout en pureté et rondeur, vendu 18 $ prix départ usine aux États-Unis !
Et comme la consommation locale augmente, Vinaltura se risque à commercialiser trois canettes destinées aux jeunes, au packaging évoquant une « impasse mexicaine », situation souvent illustrée au cinéma où des bandits se tiennent réciproquement en joue sans qu’aucun n’ait l’avantage sur les autres. Cette gamme comprend un blanc (sauvignon blanc et chenin), un rosé (nebbiolo et malbec) et un rouge (malbec).
Vinaltura se risque à commercialiser trois canettes destinées aux jeunes (photo M. Hulot)
Plus loin sur la montagne, Puerta del Lobo est un projet immobilier autant que viticole. Tout y est raffiné, de la cave enterrée aux premières maisons en cours de construction. Objectif : convaincre 75 propriétaires de se partager ce coin de paradis planté de 27 ha de vignes. Un hôtel constitué de yourtes et un restaurant surplombent le paysage. Eusebio Goyeneche, l’entrepreneur, tient à faire d’excellents vins. C’est sa passion. Pas plus de 70 000 bouteilles de grande qualité, élaborées par un vinificateur espagnol qui multiplie les essais comme ce verdejo 2020 vinifié en demi-muid comme une solera, ou ce vin orange Vino Naranja, un assemblage de quatre cépages fait pour séduire les nouveaux consommateurs.
Aussi variés et nouveaux qu’ils soient, tous ces domaines cherchent leur voie et s’adaptent à la conjoncture. Et malgré les obstacles – altitude, grêles, pluies pendant les vendanges, pH élevés… –, ils ont la ferme attention d’obtenir une indication géographique. Leurs vins en sont dignes. Reste, peut-être, à trouver un style, un trait commun à toutes ces initiatives.
Le Mexique possède déjà 60 indications géographiques, mais pas une seule dans le vin ! Parmi elles, on compte le café de Veracruz, la tequila et le sotol (spiritueux à base d’une plante qui pousse dans le nord du pays), les talaveras de Puebla (céramiques). À ce jour, élaborer du vin n’exige de suivre aucune autre règle que celles édictées par l’Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV), dont le pays est membre depuis 2016. Les indications géographiques sur les bouteilles ne signifient pas grand-chose. Les vins de la Basse-Californie, de Chihuahua ou même du Chili peuvent compléter les cuvées de l’Altiplano mexicain et même être présentés comme tels.