300 kilomètres au nord de Mexico City, dans l’état de Guanajuato au Mexique San Miguel de Allende est une ville très touristique, classée au Patrimoine mondial de l’Unesco. Lorsqu’on quitte ce petit bijou vers l’est, on s’enfonce dans un désert. De part et d’autre de la route, il n’y a que poussière. A perte de vue, des cactus et des mesquites, ces arbres qui n’ont pas besoin d’eau pour survivre. De temps en temps, quelques maigres bêtes grapillent leur pitance du bout des lèvres.
Après une demi-heure de route, au bout d’un chemin chaotique, nous longeons un mur d’enceinte couvert de barbelés. A l’entrée de ce gigantesque clos, une sentinelle qui prend le nom des visiteurs. Bienvenue au domaine San Lucas, une propriété de 100 ha.
On entre ici comme dans un club fermé pour découvrir un oasis de luxe et de verdure comprenant une cave de vinification et un chai derniers cri, totalement équipés, une boutique de vente de vins et de gadgets, un restaurant, une piscine, des écuries de cinquante chevaux et deux terrains de polo. Sur leur site internet, un film publicitaire vante « la magie de vivre au coeur des vignes ».
De somptueuses villas, toutes dans le style toscan, les unes finies les autres en construction, sont réparties à travers le vignoble. 35 en tout. L’objectif est d’en construire 85. Chacune a été vendue 1,3 million de dollars (américains) avec 1 000 m2 de terrain que l’acquéreur peut bâtir s’il le souhaite et une parcelle de vigne entretenue par les salariés du domaine pour un coût de 1 000 US $ par mois. En contrepartie, le propriétaire reçoit plusieurs caisses de vin par an élaboré dans la cave centrale.
La propriété mitoyenne s’appelle San Francisco. Elle ressemble en tous points à San Lucas, sauf qu’ici les maisons sont de style moderne. Comme San Lucas, elle appartient à famille Gallardo qui possède cinq autres parcs immobiliers viticoles dans l’état de Guanajuato.
Totalement inconnues chez nous, ces propriétés connaissent un grand succès au Mexique : il est très chic d’avoir sa maison de campagne entourée de vigne et de riches voisins partageant la même passion. Les acquéreurs sont majoritairement mexicains, mais on compte aussi des Américains et Canadiens.
Concurrente ou complice -on ne sait pas- des Gallardo, la famille Cuadra, a fait un autre choix. Plutôt que de s’installer au milieu de nulle part, elle a bâti son domaine juste à la sortie sud de San Miguel de Allende, au bord de la quatre-voies qui mène à Celaya, pour être plus accessible. En passant devant, on aperçoit par-delà le mur d’enceinte des maisons construites sur la crête qui domine la route et le plateau alentour.
A l’intérieur de l’enceinte, un vignoble de 75 ha avec ses 40 villas luxueuses de toute sorte de style. Dans l’immense boutique que le directeur appelle « l’île aux plaisirs », on trouve des bouteilles de vin, un bar-cuisine et un coin dédié aux produits de la marque Cuadra : bottes en cuir de style santiag, des sacs en crocodile ou en python, etc. Les vins sont élaborés dans un chai spectaculaire creusé dans la roche et qui se visite.
A une quarantaine de minutes de là , en remontant vers le nord sur la route en pleins travaux qui mène à Dolores Hidalgo, un lieu de pèlerinage pour les Mexicains, Tres Raices est un magnifique domaine de 45 ha hectares en production, plus 20 ha à venir, doté d’un restaurant gastronomique et de quatorze bungalows. Ici on ne vient pas pour devenir propriétaire, mais pour passer des nuitées au cœur des vignes en se prélassant dans une piscine de rêve au pied des ceps. Les propriétaires du lieu misent sur le tourisme nuptial : ils ont bâti une église pour les mariages, entre autres.
Tous ces domaines sont des îlots protégés de l’extérieur où le vin est un prétexte aux plaisirs de la table, du farniente et du luxe. Tous sont équipés de matériel dernier cri importé d’Europe, de fûts de chêne et même d’œufs béton et d’amphores comme c’est la mode sur le Vieux continent. Seules les bouteilles sont parfois fabriquées au Mexique.
Partout, les chais se visitent. Les vinificateurs sont originaires du Mexique ou d’Espagne, comme Aaron qui officiait dans la Rioja avant de venir dans cette région au « potentiel inouï et qui jouit d’une liberté d’expression extraordinaire », jubile-t-il sans s’étendre davantage sur ce qu’il entend par « liberté d’expression ».
A 10 km de Tres Raices, de retour vers San Miguel de Allende, Cuna de Tierra dénote un peu avec ses allures de propriété viticole de l’Ancien monde. C’est d’ici qu’est repartie la viticulture locale. « Vous voyez là , c’étaient des champs de piments, explique Paco Lara l’un des employés de cette exploitation qui compte 50 ha de vigne, des oliviers et de la luzerne. Avant, il n’y avait que de l’ugni blanc qui servait à l’élaboration de brandy. » Le propriétaire, Ricardo Vega, passionné de vin, a commencé avec 16 hectares de cépages français. En 2010, l’état de Guanajuato lui a demandé d’élaborer un vin pour le bicentenaire de l’indépendance du pays. Depuis, son vignoble s’est développé, magnifiquement tenu comme souvent ici où l’on ne manque ni de moyens, ni de main d’œuvre. Décidément, un autre monde !
Depuis une vingtaine d’années, la viticulture mexicaine sur développe sur l’Altiplano comme dans l’état de Guanajuato qui compte 57 caves cette année contre quatre en 2005. Pourtant, la partie n’est pas simple. La région se situe sur le 21e parallèle nord, au sud du tropique du Cancer. L’altitude vient tempérer la chaleur. Le climat n’est pas idéal. Les pluies tombent en juillet et août, au moment des vendanges favorisant la pourriture. Heureusement, le vent assèche rapidement les raisins. Autre menace : la grêle. Toutes les vignes sont protégées par des filets. Ce qui n’empêche pas les pertes de récolte comme nous avons pu le constater au domaine Cuna de Tierra lors de notre visite le 11 juin.