uelle est votre vision de la situation actuelle de la filière vin, qui semble cumuler les crises et, avec l'arrachage en cours, paraît décliner face à la déconsommation ?
Véronique Le Floc'h : C'est triste que les filières qui étaient nobles soient atteintes. Quand on parle d'agricide, c'est leur tour. Comme les céréaliers, l'élevage? Ça n'épargne personne. Ça vient bien de l'extérieur, de nos politiques, de la gestion de l'environnement qui décapitalise les fermes et menace tous nos vignobles de caractère. A-t-on la volonté de sauver la ferme France et ses richesses ou pas ? Des appellations contrôlées sont menacées. Quand on voit le résultat du plan d'arrachage, le classement des trois premiers départements demandeurs n'est pas le même si l'on regarde la proportion de ces arrachages sur leurs surfaces totales.
Ces chiffres font ressortir le Sud-Ouest notamment, ce fort poids de l'arrachage témoignant d'une fragilité exacerbée. Comme pour la cave de Buzet où vous avez des représentants de votre syndicat?
C'est grave, on attend toujours que le mal soit profond avant d'intervenir. Je pensais que l'on avait compris qu'il fallait faire du préventif? On n'a plus permis aux viticulteurs d'avoir une capacité de résistance. On nous a enlevé des moyens de protection phyto, de régulation des marchés? Comme dans d'autres filières, le vin a trop fait confiance à des intermédiaires imposant leur dominance économique. Qu'il s'agisse de la grande distribution ou de gros négoces comme à Cognac. J'ai fait le tour des vignobles (Languedoc, Loire, Beaujolais?) où l'on trouve des problématiques différentes, mais où les vignerons peuvent chiffrer quand ils perdent de l'argent. Arracher ne permettra même pas de se relever pour eux, cela veut dire que ce n'est pas la solution. Le compte n'y est pas. On ne peut pas se contenter de 4 000 ?/ha, il faudrait intégrer une indemnité de perte de marge brute sur trois récoltes comme pour les évictions de contrat.
Les viticulteurs auraient dû avoir plus pour arracher. La ministre [NDLA : Annie Genevard] m'a appelé pour m'annoncer l'ouverture du fonds d'arrachage : « on avait promis 150 millions ?, on n'aura que 120 millions ?, mais ne vous inquiétez pas ce sera satisfaisant, les professionnels de la filière me l'ont dit ». De quels professionnels s'agit-il ? La ministre ne parle qu'à Jérôme Despey [NDLA : président du conseil spécialisé vin de FranceAgriMer et premier vice-président de la FNSEA]. La viticulture ne peut pas se contenter d'une politique a minima, sinon c'est accepter d'être condamné. Avec 4 000 ?/ha on paie l'arrachage et pas grand-chose d'autre, cela ne permet pas de faire autre chose. Il fallait chercher d'autres fonds. D'autres Etats Membres sont capables de contourner les règles, pourquoi pas la France ? On ne se bat pas non plus comme il faut sur les minimis.
Vous évoquez Jérôme Despey, qui demande que le solde des 40 millions ? d'aides à l'arrachage soient utilisé pour aider les jeunes installés, la restructuration des caves coopératives, l'arrachage pour les pépiniéristes et la promotion des vins. Partagez-vous ces demandes ?
La ministre ne nous a pas garanti que la somme reste disponible pour la filière viticole. Il faut récupérer ces fonds pour accompagner les petites coopératives viticoles en difficulté. Nous demandons plus globalement une loi face aux dérives des grandes coops, avec des filiales sous holding dont les dividendes ne reviennent pas aux coopérateurs. Il faut éviter que les grosses coopératives avalent les petites.
Vous n'êtes donc pas dans une logique de soutien à la restructuration des outils coopératifs ?
Non. Mais tout se réfléchit. Il faut optimiser selon les débouchés et soutenir les modèles qui marchent. En début d'année, il y a eu un fonds d'urgence viticole de 80 millions ? qui n'est pas passé par l'Europe, il aurait fallu anticiper une enveloppe plus importante pour prendre en compte ces besoins. Et il faut arrêter de faire croire que ces enveloppes d'aides sont grosses. Ramenées au nombre d'exploitations, ce n'est rien.
La FNSEA demande également l'application de la loi Egalim à la filière vin.
On ne peut pas mettre la viticulture dans Egalim. Egalim n'est valable que quand le produit est acheté par un tiers et revendu en l'état. Ici, le vin passe par des grossistes et des négoces avant la mise en bouteille. L'enjeu est de ne pas faire rentrer des marchandises à des prix non contrôlés. Quand on achète du vin d'Espagne, il n'est pas soumis à Egalim mais peut rentrer et inonder le marché français alors que nos caves sont pleines.
Quelles demandes d'urgence demandez-vous pour le vignoble au gouvernement ?
Nous demandons la suspension de tous les prélèvements et cotisations sociales. Il faut un allégement de la Taxe sur le Foncier Non-Bâti (TFNB), le plus simple est d'exonérer totalement les départements viticoles. Pour sauver la transmission et permettre l'installation, il faut des exonérations pour alléger tous les droits de mutation et de transmission. Beaucoup de viticulteurs sont fatigués : il n'y a pas de prix, pas de volumes. Il faut gérer la production, Cognac n'aurait pas dû tant planter et rester stable comme en Champagne. Il faut un protectionnisme et de la transparence par rapport à ce qui rentre. Quand on arrache, il faut l'équivalent de trois années de perte de marge brute. Nous demandons un plan de sauvetage pour répondre à un naufrage. On entame ce plan trop tard. On a confié la gestion para-agricole à des organismes qui ne sont pas forcément composés d'agriculteurs.
On n'est pas là pour arracher. Notre logique, c'est de réguler pour répondre aux marchés avec les vins de chez nous et pas par la concurrence de vins importés. Ça fait le jeu des grandes surfaces qui ne devraient pas rentrer dedans. On travaille avec des partenaires dans lesquels on n'a plus confiance. Ils ne pensent qu'à l'appât du gain et oublient qu'ils n'existent pas sans les agriculteurs. Bientôt, on fera plus en France la promotion des vins chiliens et argentins?
Mobilisant l'agriculture, le traité du Mercosur n'est pas rejeté par toute la filière vin, où l'ouverture du marché brésilien intéresse les exportateurs.
Pour nous, tout ce qui est viticole ne rentre pas dans les accords de libre-échange. Quand il y a exportation de vin, c'est pour répondre à une demande existant même sans accord. Nous défendons l'exception agriculturelle : l'agriculture est à part, il faut la sortir de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et l'exclure des accords de libre-échange. Notre logique est de protéger l'agriculture.
Les exportateurs de vin défendent le Mercosur pour sa protection des Indications Géographiques, la levée de barrières douanières?
Citez-moi un seul accord le libre-échange où il y a des contingents de vins européens. Le CETA n'en a pas (contrairement aux volailles, produits laitiers?). En quoi doit-on intégrer tout ce qui est alimentaire dans ces échanges ? Si le continent européen a envie d'exporter des voitures et des cosmétiques vers l'Amérique du Sud et qu'il a besoin de nickel et de minérai, c'est équitable. On ne peut pas inclure l'alimentaire.
Alors que la crise viticole est dans le dur, avez-vous peur que des vignerons ne s'en relèvent pas ?
Heureusement, les viticulteurs et agriculteurs ont une capacité de résistance pour ceux ayant atteint leur vitesse de croisière. Mais pour les jeunes qui viennent de démarrer, ils semblent en stade final. Il ne leur reste rien avec la baisse des rendements. Il faut aider cette catégorie.