i les avis sont partagés sur l’éventualité d’une sortie de crise – complexité oblige – tous s’accordent à dire qu’on vit actuellement une période d’immense transition dans le monde du vin. « Le secteur se trouve à un moment décisif, il faut faire des choix courageux et ambitieux », estime Daniel Giménez Alba, directeur commercial auprès de la maison espagnole Hammeken Cellars. « Il faut s’adapter à une vitesse que nous n’avons jamais connu jusqu’à présent », affirme-t-il, faisant le parallèle avec la « fast fashion » ou le changement des collections de mode en permanence. « Il faut être au bon endroit, au bon moment avec le bon produit, ce qui est très difficile pour un secteur aussi traditionnel que le vin. Seuls les plus forts survivront », considère-t-il, pointant l’absence de liquidités dans certaines caves coopératives et bodegas privées espagnoles actuellement.
De la résilience post-Covid à l’adaptabilité« Nous faisons partie d’un secteur très lent qui doit désormais agir très rapidement », confirme de son côté, Ivan Cappello, œnologue auprès de la cave coopérative Colomba Bianca en Sicile, où les conditions climatiques à elles seules obligent « à remettre en cause nos pratiques chaque année ». Si les défis sont multiples, les opportunités le sont tout autant. Nombreuses ont été les entreprises à profiter ainsi du passage à 8% du taux d’alcoolémie maximum autorisé pour les ventes en supermarchés en Finlande. Et encore plus nombreuses, celles qui s’essaient aux vins entièrement désalcoolisés, une tendance qui s’accompagne d’évolutions réglementaires. « En Argentine, la désalcoolisation des vins a été autorisée cette année. Nous sommes en train de réaliser des essais et devrions être en mesure d’atteindre une capacité industrielle d’ici à la mi-2025 », se félicite-t-on chez Fecovita, regroupement de 29 caves coopératives sur 25 000 hectares de vignes en Argentine.
Surproduction des vins désalcoolisés en vue ?
A contrario, les producteurs italiens sont toujours aussi frustrés de la fin de non-recevoir opposé par leur gouvernement en matière de désalcoolisation, « qui vise à protéger la définition du vin », indique le courtier italien Cesare Tosadori. Il n’empêche que dès l’an prochain, la situation pourrait se débloquer et éviter aux Italiens d’envoyer leurs vins à la désalcoolisation dans d’autres pays européens, notamment en Allemagne. Cet emballement évident des opérateurs en faveur des produits partiellement et faiblement désalcoolisés n’est pas sans risques, estime Florian Ceschi, directeur de Ciatti Europe : « Est-ce qu’il y aura un marché pour tous ces vins désalcoolisés qui vont arriver, et dont la durée de vie est plus courte que celle des vins conventionnels ? » On pourrait presque se poser la même question pour les blancs et surtout les rosés, ces derniers montrant ci et là quelques signes d’essoufflement. « En Italie, on voit des producteurs qui surgreffent actuellement des cépages blancs sur des ceps de rouges », commente Cesare Tosadori. « Les blancs se vendent très bien, sur un laps de temps plus court et à des prix intéressants, tandis qu’avec l’augmentation des taux d’intérêt le coût du stockage des rouges, plus le prix des barriques, est plus élevé ».
Faibles disponibilités et hausses de prix en blanc
Il est indéniable que les vins blancs, notamment, surfent sur une immense vague de popularité dans le monde à l’heure actuelle, et les prix s’en ressentent. En Espagne et en Italie, on assiste à des augmentations à deux chiffres et à des disponibilités faibles. « Nous avons débuté la campagne actuelle sans stocks de blancs », note Eva Pardines Martinez du service export de la cave Cherubino Valsangiacomo dans la province de Valence. Malgré une récolte espagnole importante, les prix des blancs restent à un niveau soutenu. Une tendance confirmée par Maria José Gonzalez-Albo, responsable export auprès de Bodegas Yuntero, dans la région de Castilla-La Mancha, qui produit à 75% des blancs : « Nous avons dû louer de la cuverie tant la récolte était importante cette année, mais nous avons quasiment tout vendu car les autres pays producteurs ont connu de faibles récoltes. Les prix espagnols sont élevés et continuent d’augmenter, mais les acheteurs n’ont pas d’autre choix que de payer ».
Retour à l’équilibre ?
Du côté des rouges, les arrachages en France, notamment, ne sont pas passés inaperçus et de légers frémissements commencent à se faire sentir sur le marché. « Avec les arrachages en Europe, surtout en France, et des raisins qui n’ont pas été récoltés en Californie, par exemple, l’équilibre entre l’offre et la demande commence à se rétablir », estime l’acheteur américain Adam Schulz. « Un intérêt réel en faveur des rouges émerge. La réalité, malgré toute la négativité dans les médias, c’est que les acheteurs veulent établir des contrats pluriannuels pour bloquer des prix car ils savent que l’époque des tarifs dorés arrive à sa fin ». Florian Ceschi partage son avis sur l’équilibre du marché : « Nous arrachons tellement de vignes que les disponibilités pourraient s’avérer problématiques à l’avenir », pose-t-il.
Les rouges de haut de gamme se portent bien
Par ailleurs, toutes les qualités de rouge ne souffrent pas, la différenciation étant la clé de la réussite. Primo-exposant, la cave de Maury dans les Pyrénées-Orientales n’était pas mécontente de sa visite : « Il y a une vraie recherche pour des vins concentrés », affirme le maître de chai Lionel Rodenas. « Certes, l’offre est moins importante qu’auparavant, mais les vins doux naturels aussi reprennent des parts de marché ». La cave Colomba Bianca en Sicile a même racheté d’anciens silos à grain pour développer des vins dans le style concentré appassimento, tandis que Carlo Miravalle, président de la fédération italienne des courtiers Med&A, pointe les conditions commerciales très favorables des rouges premium comme le Barolo.
La pensée positive
Comme le confirmeront les données présentées par l’OIV en cette fin de semaine, la production 2024 s’établira à un niveau historiquement bas, de nouveau. Une répétition qui favorise inévitablement l’assainissement du marché. Certes, l’ombre des « taxes Trump » plane sur le secteur, accélérant sans aucun doute certaines expéditions vers les USA d’ici la fin janvier. Le marché chinois n’est toujours pas au rendez-vous, la consommation régresse et la concurrence des autres boissons n’a jamais été aussi rude. Dans le même temps, l’adaptation du secteur à la nouvelle donne est tangible, que ce soit pour des questions de fiscalité, de pressions géopolitiques, de changement climatique ou d’évolution des tendances de consommation. « Pour de petits producteurs qui n’ont pas de moyens importants, l’avenir sera difficile », résume Jim Carter, responsable export chez le géant américain Bronco Wines (Two Buck Chuck). « Mais si les gens arrivent à survivre, nous reviendrons à l’équilibre ».
La 16ème World Bulk Wine Exhibition s’est déroulée les 25 et 26 novembre au centre des expositions RAI à Amsterdam. Au total, 245 exposants issus de 25 pays ont participé, avec une nette augmentation (+38%) du nombre d’exposants français et une baisse concomitante de la présence espagnole. Si le changement de hall cette année n’était pas forcément au goût de tous – le nouveau hall étant jugé « très peu glamour » – la plupart des exposants se sont félicités du professionnalisme et du ciblage précis des visiteurs. « La première journée était canon », affirme Jim Carter de chez Bronco. Pour la deuxième journée, les exposants se sont montré un peu moins enthousiastes tant la fréquentation n’était pas forcément à la hauteur des attentes.