out un symbole. L’opération des "feux de la colère" de la Fédération Départementale des Syndicats d'Exploitants Agricoles de Gironde (FDSEA 33) et des Jeunes Agriculteurs de Gironde (JA33) se tient quai des Chartrons à Bordeaux ce lundi 18 novembre. Un haut lieu du négoce, et de sa glorieuse histoire de conquête commerciale qui semble bien lointaine. « La commercialisation de vins de Bordeaux tombe toujours plus bas. On pense être arrivé au fond de la piscine, mais on descend encore » constate amèrement Jean-Samuel Eynard, le président de la FDSEA 33, qui attend des avancées des metteurs en marché, négociants et grande distribution, lors de la réunion du 10 décembre accueillie par l’interprofession bordealise : « si c’est une nouvelle réunion pour rien, ça va mal finir » prévient-il.
Clairement, les paroles ne suffisent plus alors que le souvenir des promesses ayant suivi les manifestations de l’hiver dernier sont à la hauteur de la déception de leur faible réalisation. « Les paroles c’est bien, les actions c’est mieux » résume Serge Bergeon, le secrétaire général de la FDSEA33. Un sentiment partagé par les manifestants qui attendent des actes du gouvernement et de l’Union Européenne sur la mise en place d’un prix rémunérateur, la simplification administrative, l’allégement des contraintes environnementales, la révision de l’assurance récolte… Malgré des demandes et déceptions partagées dans la filière vin, sur les 400 personnes attendues par les organisateurs ce lundi soir sur les quais bordelais, on en décompte plutôt une petite centaine à se réchauffer autour du feu.


La faute à la météo changeante, encore belle avant de devenir pluvieuse et gênante pour les travaux, esquisse Cédric Pointet, le président des JA33, qui le martèle : « le feu couve dans la campagne. On n’a pas vu arriver tout ce qui nous a été promis cet hiver. On a passé une année exécrable en termes de météo. On est dans une situation où il faut renouveler les générations : des fermes vont être à reprendre, mais s’il n’y a pas de revenus, les jeunes ne vont pas s’installer, les banques ne prêteront pas. On en est là. »
Symbolique, l’action des "feux de la colère" consume des pieds de vignes arrachés. Une illustration de la décapitalisation du vignoble ces dernières années aboutissant à l’arrachage : « avant on travaillait toute sa vie en se disant qu’à la retraite on repartirait non pas avec les poches pleines, mais avec de quoi vivre. Maintenant, on a tout perdu. On voit disparaître le travail d’une vie et on ne peut plus qu’arracher » témoigne un vigneron du Nord-Gironde. L’arrachage est non une perte de valeur pour l’exploitant, mais aussi pour son territoire. « Deux hectares de vignes créent un emploi. Nous allons arracher 20 000 ha en Gironde, cela va représenter 10 000 emplois perdus » prévient Jean-Samuel Eynard, s’inquiétant d’un plan social passant inaperçu malgré les alertes.
A l’arrachage
Et le vignoble « n’est pas au bout » de la crise, « il va y avoir d’autres arrachages et d’autres friches » prédit André Faugère, le président de l’Adar Cadillac Créon Castillon, qui arrache lui-même 10 ha sur son domaine dans l’Entre-deux-Mers (pour passer à 30 ha et installer l’un de ses fils en se lançant dans l’élevage), pour qui « il ne faut pas se faire d’illusion, on n’a pas mis les moyens nécessaires pour faire coller l’offre à la demande. Les problèmes structurels restent. L’effort ne sera pas suffisant. »
Même impression d’impasse pour Yohan Bardeau, le vice-président de la FDSEA33, qui a arraché 27 hectares de vignes à Cadillac l’an passé (via le plan de diversification de l’interprofession) et 13 ha cet hiver (via le plan définitif national) : « je ne vois pas de porte de sortie. Aujourd’hui, il n’y a plus de débouchés et nos chais sont pleins. La qualité ne paie plus, le vin ne s’achète que par le prix. Si je ne faisais que de la viticulture j’aurai fait autrement. Je conserve mes activités de bovin et de céréales, où le besoin de main d’œuvre est inférieur. » Ces deux vignerons ont un point commun : ils faisaient face à des riverains pestant contre leurs vignes et leurs traitements, mais prenant peur quand ils voient ces parcelles arrachées et craignent que des constructions ne les remplacent.


Appelant à ce que les consommateurs aient une vision citoyenne de leurs achats, Serge Bergeon milite pour que le deuxième acte de ces manifestations mette les clients face à leurs responsabilité : « quand les consommateurs achètent des bouteilles de vin à bas prix, ils tuent l’agriculture. Le travail doit payer. » Partisan d’aller manifester à Paris, Bruxelles ou Strasbourg, bref « là où ça se décide », Jean-Samuel Eynard regrette que les mesures de soutien arrivent avec tant de retard (en témoignent les tant attendues transformations de Prêts Garantis par l’État en prêts bonifiés).
« Mais contrairement à ceux qui manifestent » ce mardi 19 novembre à Bordeaux, c’est-à-dire la Coordination Rurale de Gironde*, « nous n’avons pas de problème avec le préfet. Plutôt que de crier, il vaut mieux travailler » glisse le viticulteur. La manifestation des JA et de la FDSEA se déroulant en face du cours Xavier Arnozan, le siège de la chambre d’agriculture de Gironde dont les élections ont lieu en janvier prochain. Tout un symbole.
L’opération "feux de la colère" ne coupe pas la circulation, finalement très peu perturbée.
* : La CR33 prévoit un cortège de tracteurs pour visiter la préfecture dans la matinée.