e mildiou, le gel ou grêle ne sont pas les seuls soucis des vignerons bio cette saison : le marché du vin les préoccupe autant, sinon plus. « Pour la filière, c’est la double peine, analyse Pascal Boissonneau, président du syndicat des vignerons bio de Nouvelle-Aquitaine et viticulteur à Saint-Michel-de-Lapujade, en Gironde. Les charges ont augmenté à la suite du Covid et de la guerre en Ukraine. Parallèlement, il s’est opéré une crise mondiale de l’achat de vin. »
« Sur l’ensemble du bassin Sud-Est, on constate un ralentissement des ventes de vins rouges, expose son confrère Denis Guthmuller, président de Sud-Est Vin Bio, l’association interprofessionnelle des vins bio de la vallée du Rhône et de Provence. L’AOP Côtes du Rhône rouge a été touchée la première. Et désormais, ce phénomène semble s’étendre aux crus de la vallée du Rhône. Les vins bio ne sont pas épargnés. »
Alors que les ventes sont à la peine, les volumes de vin bio continuent d’augmenter. « On a toujours de nouvelles surfaces qui arrivent en bio. Cela correspond aux vignerons partis en conversion avant la crise », observe Julien Franclet, vice-président de SudVinBio et viticulteur à la tête du domaine Séailles, dans le Gers. En Occitanie, les vignes en bio représentaient environ 50 000 ha en 2020 pour être à plus de 58 000 ha, en 2023. « La production augmente plus vite que la consommation », souligne Julien Franclet. À l’échelle de la France, ce n’est rien de le dire. Selon l’Agence Bio, entre 2017 et 2022, la production de vin bio est passée de 2 à 3,95 millions d’hectolitres (Mhl) quand la commercialisation ne progressait que de 2,28 à 2,67 Mhl. En cinq ans, la filière est donc passée d’une sous-production à une forte surproduction.
Ce contexte morose « entraîne une baisse des prix qui pousse tout le monde vers le bas, analyse encore Denis Guthmuller, également coopérateur à la Cave de Cairanne, dans le Vaucluse. En bio comme en conventionnel, les prix de vente en vrac sont depuis deux ans inférieurs aux coûts de production dans la grande majorité des appellations de la vallée du Rhône ».
« Les cours sont complètement décorrélés des coûts de production, abonde Pascal Boissonneau. Les cours des vins conventionnels, qui servent de base pour le calcul du prix des vins bio, sont trop bas. Au cours des douze derniers mois, le bordeaux rouge s’est échangé à 1 000 € le tonneau en moyenne [110 €/hl, NDLR]. » Un prix nettement inférieur aux coûts de production calculés par la chambre d’agriculture.
Les difficultés ont commencé à se faire sentir début 2023 pour Isabelle Bouchon, vice-présidente des Vignerons Indépendants de Gironde, en bio depuis onze ans sur sa propriété du Château Haut-Mongeat, à Génissac. « Au printemps 2022, le tonneau de bordeaux rouge en bio se vendait environ 2 000 € [220 €/hl], se souvient-elle. Aujourd’hui, il est autour de 1 000 à 1 200 € maximum lorsqu’un acheteur veut bien se présenter. »
Impossible dans ces conditions d’absorber la hausse des coûts de production due à l’augmentation des charges « d’environ 25 % depuis 2023 », d’après Denis Guthmuller. Les prix des intrants se stabilisent « sur une valeur haute », observe Nicolas Richarme, viticulteur dans le Gard et président de SudVinBio. Pour ne rien arranger, « 2024 est une année encore plus onéreuse car, pour contenir la pression de mildiou et les mauvaises herbes, il a fallu plus de passages en tracteur, plus d’intrants et plus de main-d’œuvre », expose Pascal Boissonneau.
« Si l’on avait l’assurance d’une juste rémunération, ça mettrait du cœur à l’ouvrage. Mais comme on sait que commercialement c’est compliqué ça casse le moral, glisse Nicolas Richarme. Les vignerons sont résilients. Lorsque les prix sont rémunérateurs, ils peuvent traverser deux années compliquées. Mais c’est beaucoup plus difficile lorsque les prix de vente sont inférieurs aux coûts de production. »
En cave particulière, les viticulteurs n’osent pas augmenter leurs prix. « En temps normal, il est déjà difficile, voire impossible d’augmenter les prix pour compenser la hausse des coûts. Mais quand en plus le consommateur subit lui aussi l’inflation, c’est quasiment impossible. Augmenter un prix de vente, c’est risquer de se couper d’un marché », observe Pascal Boissonneau.
Malgré ces difficultés, bien peu de viticulteurs bio semblent prêts à retourner vers le conventionnel. « C’est toute la viticulture qui est touchée par la crise. Même en repassant en conventionnel, les vignerons ne seraient pas sûrs de vendre leurs volumes, fait remarquer Julien Franclet. Si certains viticulteurs bio s’interrogent sur leur avenir, ils penchent plutôt du côté d’un arrêt définitif de leur activité que vers un retour au conventionnel. »
Pour sa part, Denis Guthmuller tient à rappeler que « certains s’en sortent car ils ont diversifié leur offre avec des profils de vins qui correspondent aux attentes des nouveaux consommateurs, comme des rouges à boire frais ». Convaincu que l’avenir sourira aux vins bio, il ajoute : « Les consommateurs de demain tendent à être moins connaisseurs. Moins informés sur le vin, ils auront besoin d’être accompagnés et rassurés dans leur acte d’achat. Dans ce contexte, le label bio a une carte à jouer. »
Si certains ont du mal à vendre leurs vins, pour les Vignerons de Branceilles 1001 Pierres, en Corrèze, c’est le contraire. « Nous manquons de vin au point que nous sommes obligés de limiter nos démarches commerciales à notre département et aux départements voisins », peste Philippe Leymat, président de cette coopérative qui rassemble sept vignerons cultivant 30 ha de vignes, dont 20 en bio. Pour ne rien arranger, le gel de ce printemps a fait perdre 60 % de leur récolte à ces producteurs. Un nouveau coup dur. « Au cours des sept dernières années, nous n’avons produit que 5 600 hl en cumul alors que nous avions tablé sur 10 000 hl. On se pose des questions sur la pérennité de notre vignoble », admet-il.