ommé ce 5 septembre premier ministre, Michel Barnier « est très connu du monde agricole. Et viticole » réagit Jérôme Despey, le président du conseil spécialisé vin de FranceAgriMer, qui espère qu’avoir à Matignon « un connaisseur de l’agriculture, qui a travaillé avec la filière viticole, va permettre d’aller très vite sur nos propositions et les nombreux dossiers actuels (plan filière, restructuration…) ». Dans le CV très garni de Michel Barnier*, se trouvent deux années comme ministre de l'Agriculture et de la Pêche (de juin 2007 à juin 2009, dans le gouvernement de François Fillon sous la présidence de Nicolas Sarkozy). Rapidement après sa nomination, « il a rencontré la filière viticole pour initier un plan de modernisation du vin français dans le but redonner de la compétitivité à l’export » se rappelle Jérôme Despey, à l’époque président de Viniflhor.
Détaillé le 29 novembre 2007 durant le salon Sitevi de Montpellier, ce "plan sur la modernisation de la viticulture, l'amélioration de l'organisation des filières et la réforme de l'organisation commune du marché vitivinicole" (OCM vin) s’inscrivait en pleine effervescence communautaire, la commissaire européenne à l’Agriculture, la danoise Mariann Fischer Boel (2004-2010), prônant une libéralisation de la gestion vitivinicole, de la fin des droits de plantation au coupage des vins rosés (l'amenant à promettre son soutien de la filière à Bruxelles dès que nécessaire, voir encadré).
OCM structurante
Faisant réviser le plan d’arrachage initialement proposé par la Commission (tombé d'un objectif de 400 à 175 000 hectares sur toute l’Europe pour 2009-2011), Michel Barnier a acté un tournant de l’OCM : « on est sorti des dispositifs destructeurs, distillation et arrachage, pour partir sur un outil plus structurant, avec les aides à l’investissement, la restructuration, la promotion… » rappelle Jérôme Despey, qui avait travaillé sur le plan de gouvernance de la filière (avec la création en 2008 de conseils des bassins viticoles). Avec un connaisseur des sujets viticoles à Matignon, la filière vin espère une accélération de gestion et de la résolution de ses crises conjoncturelles (inflation, tensions géopolitiques…) et structurelles (changement climatique, déconsommation…), qui semblent en suspens depuis la dissolution de l’Assemblée Nationale le 9 juin dernier (et la démission du gouvernement de Gabriel Attal le 16 juillet).
Ne cachant pas son soulagement de voir les choses avancer (« beaucoup de noms étaient sortis du chapeau, mais on ne voyait pas de lapin »), Jean-Marie Fabre, le président des Vignerons Indépendants de France est soulagé de voir « arriver comme chef de gouvernement quelqu’un qui connaît les arcanes nationaux et européens. On peut espérer perdre moins de temps pour lancer le réacteur avec quelqu’un de rompu aux sujets viticoles, mais aussi de commerce extérieur (comme ancien ministre des Affaires étrangères*), d’environnement (comme ancien ministre de l’Écologie *) et européens (comme ancien eurodéputé et chef pour l'Union européenne des négociations du Brexit). Ce sont les leviers à actionner pour le secteur qui souhaite une politique efficiente et rapide. On n’y est pas encore. » Face au mal-être s'exprimant ces vendanges, « il faut aller vite » confirme Jérôme Despey, qui rappelle que « ne pas avoir de gouvernement posait des difficultés » et qu’il faut désormais accélérer avec la présentation du plan de filière vin au gouvernement, aboutir à Bruxelles sur la validation de la demande française d’arrachage définitif et sur un dispositif d’arrachage temporaire dans le cadre du groupe à haut niveau dédié à l’avenir des vins européens.
Concernant la réduction du potentiel viticole national, Michel Barnier déclarait fin 2007 que « dans certains cas, l'arrachage du vignoble est encore nécessaire pour adapter l'offre à la demande. Mais cet arrachage doit être maîtrisé et raisonné, afin de poursuivre un objectif cohérent, défini par zones de production. La mesure d'accompagnement doit être incitative, elle doit être fondée sur le volontariat. » Des mots toujours d’actualité, les maux de la surproduction pesant sur l’ensemble de la filière. Toujours lors de son discours du Sitevi 2007, Michel Barnier concluait que « la viticulture française a tout pour être un pôle d'excellence de notre agriculture. La vigne est totalement indissociable d'une multitude de paysages de France. Le vin est au cœur de notre patrimoine gastronomique et culturel. »
* : Michel Barnier a aussi été député européen (2009 à 2010), ministre des Affaires étrangères (2004-2005, gouvernement Raffarin sous la présidence Chirac), sénateur français (1997 à 1999), ministre délégué aux Affaires européennes (1995 à 1997, gouvernement Juppé sous la présidence Chirac), ministre de l'Environnement (1993 à 1995, gouvernement Balladur sous la présidence Mitterrand), président du conseil général de la Savoie (1982 à 1999), conseiller général de la Savoie (1973 à 1999)…
Parmi les propositions portées en 2009 par la Commission Européenne pour la nouvelle OCM, le coupage des vins rosés aura été un sujet emblématique. Jugeant « insensée » l’idée d’« autoriser le coupage de vin blanc et de vin rouge pour faire du faux rosé », Michel Barnier expliquait le 10 juin 2009 à l'Assemblée nationale, comme ministre de l’Agriculture, s’être employé à mobiliser et fédérer les Etats membres (seule la Hongrie étant opposée au départ). « Nous nous sommes attachés à faire bouger les lignes. Les professionnels de la viticulture ont fait un formidable travail vis-à-vis de leurs collègues comme vis-à-vis des gouvernements. J'ai fait le mien vis-à-vis de mes collègues. Finalement, la Commission a décidé de renoncer à cette proposition » déclarait-il aux députés, estimant « que lorsqu'on s'y met tous, lorsqu'on parle d'une seule voix à Bruxelles et lorsqu'on dialogue, on arrive à faire bouger les lignes ! Retenez cette leçon pour l'avenir, car il y aura d'autres combats à livrer, d'autres régulations, d'autres batailles pour préserver notre modèle alimentaire. Soyez assurés que, là où je serai, vous pourrez compter sur moi. » Une promesse que la filière vin compte bien réactiver.