emps suspendu dans l’année viticole, la période des vendanges n’empêche pas les multiples difficultés pesant sur la filière viticole de continuer de s’envenimer. « Alors que chacun doit consacrer toute son énergie mentale et physique à la révélation et à la transformation de ce millésime, je sens une tension de plus en plus forte dans quasiment tous les vignobles (sauf peut-être en Champagne) » rapporte Jean-Marie Fabre, le président des Vignerons Indépendants de France. Espérant un dénouement imminent des blocages politiques paralysant la France depuis la dissolution de l’Assemblée Nationale, le vigneron de Fitou (Aude) note que « depuis 2 mois, on sent que la situation ne fait que se dégrader alors que cela fait cinq années que l’on affronte les vents contraires. Les crises multifactorielles ont éprouvé nos entreprise et notre filière. Les dernières semaines on voit s’opérer un abattement alors que s’aggravent des situations déjà sur le fil du rasoir en termes de résilience économique. »
Comptant sur la rentrée pour relancer l’action gouvernementale (ainsi que la mise en place de la nouvelle Commission Européenne), Jean-Marie Fabre pointe l’urgence de la situation alors que l’inaction « est défavorable au secteur dans une période aussi tourmentée. On ne peut plus rester dans l’inaction et la tergiversation : il faut aller dans l’action. Le nouveau gouvernement, quel qu’il soit, va devoir faire des choix clairs pour l’avenir de la filière vin dans les prochaines semaines. Avant la fin septembre. » Alors que la filière vin est à la croisée des chemins, le président des Vignerons Indépendants appelle les pouvoirs publics à un sursaut de soutien pour sauver l’avenir du vignoble. « On va devoir opérer dès la rentrée un électrochoc de consolidation. Sinon il n’y a qu’une autre option : des soins palliatifs mortifères accompagnant en pente douce la fin de plus en plus de vignes en laissant faire les choses » prévient le vigneron languedocien, soulignant qu’avec l’abandon de parcelles viticoles augmenteront les friches, diminueront l’attractivité des territoires, l’activité locale, le tourisme...
Rejetant une extinction du vignoble à bas bruit, une dévindustrialisation ne disant pas son nom, Jean-Marie Fabre appelle à « engager des moyens, porter des dynamiques positives pour la filière, assurer la performance future et redevenir conquérant. Pour conquérir, il faut des armes et une armée. Nous sommes les fantassins, mais nous sommes fragilisés, ayant été largement éprouvés. Si les bons outils ne sont pas donnés au plus vite, demain on fera la guerre sans troupe ». Proposant quatre leviers d’action, le président des Vignerons Indépendants demande d’abord la mise en place rapide et adaptée de l’« outil conjoncturo-structurel de recalibrage temporaires et structurels des vignobles de rouge. Le dispositif doit être annoncé et déployé dès le 15 octobre avec un soutien financier adapté ». Soit l’outil d’arrachage actuellement négocié à Bruxelles, qui était calibré par la filière vin aux alentours de 100 000 hectares excédentaires, alors qu’un récent sondage du vignoble table sur 20 à 60 000 ha à arracher. « Le contexte a changé ces 8 à 10 dernières semaines. La situation s’aggrave entre le questionnaire d’intention de juin et la saisie du dispositif qui aura lieu après vendanges. Il risque d’y avoir une demande plus conséquente. Nous devons être capable de répondre à toutes les demandes » prévient Jean-Marie Fabre, qui appelle l’exécutif à donner un signal clair de soutien en s’engageant à financer les demandes d’arrachage dépassant les fonds alloués (150 millions € annoncés par le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau).


Le deuxième outil demandé par Jean-Marie Fabre est un plan de prévention massif des aléas climatiques du vignoble. « Pour les vignerons, le dérèglement climatique est la première source d’incertitudes et d’incapacité à tenir le métier demain. Il ne faut plus tergiverser et mobiliser des sommes conséquentes » avance le vigneron audois, avançant que « sur 3 ans, on pourrait mobiliser 1,5 à 2 milliards € pour permettre de protéger 400 000 hectares contre le gel, la grêle, la sécheresse… En 2021, le gel avait coûté 1 milliard € d’aides à l’Etat pour soutenir les filières agricoles, alors qu’il avait coûté 12 milliards € à la filière vin. Si l’on ne répond pas aux contraintes imposées par le changement climatique, on risque de voir de plus en plus d’entreprises viticoles mettre la clé sous la porte. » Le millésime 2024 ne manquant pas d’épisodes dévastateurs, de gel à Cahors, de grêle à Chablis, dans l’Hérault, l’Aude, à Gaillac… Sans oublier les excès de sécheresse sur le pourtour méditerranéen, et même des incendies.
Les aides bancaires constituent le troisième levier d’amélioration de la résilience viticole pour Jean-Marie Fabre : « il faut que Bercy mette autour de la table la fédération nationale des banques et les fédérations des vignerons indépendants et des caves coopératives. Les trésoreries sont insuffisantes, la récolte française s’annonce faible partout, le contexte économique est difficile, la géopolitique est incertaine… Il faut une pause, qui peut être une année blanche bancaire, une consolidation à taux zéro ou à faible coût… Nous sommes dans un contexte trop difficile pour ne pas enclencher de la flexibilité bancaire. » Le dernier point d’action concerne les multiples sujets législatifs en souffrance après la mise en pause du projet de loi d’orientation agricole. « Le temps est à l’action en soutien de la filière, pas à perdre son temps pour prévoir les prochaines élections. Je pense à la transmission, l’impôt de production, les Zones de Non-Traitement (ZNT), la gestion des friches… » esquisse à nouveau le vigneron.


Soulignant qu’« aujourd’hui se joue l’avenir de la filière vin et de nos territoires » pour permettre aux entreprises ayant investi de tenir le coup, Jean-Marie Fabre est confiant dans l’avenir : une fois recalibrée dans ses surfaces, adaptée au changement climatique, financée par les banques et soutenue par la réglementation, la filière des vins français est « en capacité à gagner des parts de marché. Nos TPE sont génératrices de plus-value, elles répondent aux demandes des consommateurs de vins plaisir, d’artisan, d’histoire et de patrimoine. Il n’y a pas de raison que la France et nos entreprises ne soient pas les leaders. » Du moins s’il n’y a pas plus de temps perdu. « On ne peut pas prendre 8 mois pour des nomination et des plans d’action. D’ici fin septembre, il faut que le gouvernement agisse et que le ministre de l’Agriculture s’engage. Sans réaction, des vignerons ne passeront pas l’année. On a trop perdu de temps » conclut-il.