'est ce qui s'appelle sauver la mise, en bouteille. La maison E. Guigal évite un grand chambardement dans ses étiquettes grâce au juge des référés du tribunal administratif de Lyon. Ce 20 août, la juridiction suspend la décision prise le 4 juin dernier par la Direction Régionale de l'Économie, de l'Emploi, du Travail et des Solidarités (DREETS) « lui ordonnant de procéder avant le premier septembre 2024 à la modification de ses étiquetages et supports de communication » pour en « supprimer l'adresse "Château d'Ampuis Rhône France", qui est mentionnée sur les étiquetages des vins qu'elle commercialise et de les remplacer par les seules mentions des noms de la commune (Ampuis) et de l'État membre (France) » précise le jugement.
En pleine vendange du millésime 2024, la famille Guigal n’a pas à modifier des dizaines de milliers de packagings en urgence (étiquettes d'une marque distribuée dans le monde entier, mais aussi ses cartons, flyers et autres sites internet…) pour satisfaire la lecture par la DREETS de la protection des mentions traditionnelles et Indications Géographiques (IG) en effaçant le château d’Ampuis qui est à la fois un haut lieu viticole des Côtes du Rhône Nord (AOC Côte Rôtie) et le siège social d’E. Guigal (depuis le rachat en 1995). Un porte-parole de l’opérateur précise à Vitisphere qu’« une procédure est effectivement en cours entre la maison Guigal et les services de la DREETS » portant sur le château d’Ampuis « après 29 ans d’une utilisation notoire, paisible et incontestée du nom et de l’image de cet édifice historique, référent identitaire tant de la région que de la famille Guigal, qui en est propriétaire depuis près de 30 ans ». Ne souhaitant pas commenter plus précisément une affaire en cours, la famille rhodanienne pointe que ce « différend » purement administratif « ne touche aucunement les vins Guigal, dont la remarquable traçabilité a été actée par les services compétents ».
Lors de contrôles les 29 juin et 14 novembre 2023, la DREETS a relevé plusieurs irrégularités sur les étiquettes des vins E. Guigal : l'adresse d’embouteillage "château d'Ampuis Rhône France", le visuel du château d’Ampuis, la mention "récolté" sur des vins de négoce… « Surprenant que cette prise de conscience de la DREETS survienne après près de 30 ans d’utilisation de l’adresse postale de la maison Guigal, et ce malgré une autorisation écrite des services en 1995 » grince un connaisseur du dossier, alors que la maison E. Guigal est particulièrement vigilante sur les enjeux de propriété intellectuelle*.
Même prudence pour le juge administratif des référés suspendant la résolution de la DREETS en évoquant « un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ». Le jugement avançant qu’« il résulte de l'instruction [que] la seule mention sur l'étiquette principale "Mis en bouteille par E. Guigal, Château d'Ampuis Rhône France " ne suffit pas en l'espèce à caractériser un manquement aux dispositions » réglementaires sur l’étiquetage, qui permettent pour la juridiction « l'utilisation de l'appellation "Château d'Ampuis " [sur un] vin d'appellation d'origine contrôlée Côte Rôtie en provenance du domaine Guigal, les étiquettes des autres bouteilles ne comportant qu'une esquisse stylisée, et le terme " récolté " n'est utilisé que pour les vins pour lesquels l'ensemble des raisins ont été récoltés sur l'exploitation Guigal ».
Après le jugement en référé, de la décision de la DREETS « seule est maintenue l'injonction d'avoir à ajouter AOP ou AOC à la mention Côte-Rôtie sur l’étiquette faciale » analyse Céline Baillet, conseil en propriété industrielle à Bordeaux (MIIP), qui y voit « une lecture critiquable des textes applicables puisque les contre-étiquettes de la maison Guigal respectent ces exigences. A noter que la très grande majorité des étiquettes frontales des vins français (bordeaux, bourgognes, vallée du Rhône, etc.) encourent le même reproche que celui adressé à la maison Guigal. » La DREETS estimant nécessaire pour « les vins avec AOP, d'indiquer une dénomination de vente comportant les termes "appellation d'origine protégée" en plus de la dénomination protégée, ou d'utiliser une mention similaire prévue par la réglementation, par exemple, la mention traditionnelle "appellation d'origine contrôlée" ».
Un point de fond du dossier qui doit désormais être étudié par une autre juridiction. Contactée, la préfecture du Rhône répond ne pas commenter des procédures judiciaires, mais cite la réglementation (article 7 du décret n° 2012-655 réservant l'usage de la mention château « aux vins bénéficiant d’une appellation d’origine protégée lorsque les vins sont issus de raisins récoltés sur les parcelles d’une exploitation ainsi dénommée et vinifiés dans cette exploitation ») pour préciser que si « la coexistence d’une activité de récoltant et d’une activité de négoce au sein de la même exploitation s’est développée ces dernières années [...] il importe que les consommateurs puissent distinguer les vins de propriété, étiquetés avec les termes « château » ou « somaine » lorsque ceux-ci bénéficient de l’AOP ou de l’IGP, des vins de négoce. Le principe selon lequel le nom d’une exploitation ne peut servir à désigner des vins autres que ceux en provenance de ce lieu a été affirmé par la Cour de cassation dès 1955. »
Ainsi pour l'administration, « l’étiquetage des vins de négoce ne doit pas entrainer pour le consommateur de confusion avec les vins issus d’une exploitation particulière (peuvent notamment être pris en compte : la charte graphique, le libellé, la taille, l’emplacement et la police des différentes mentions…). L’absence du terme « domaine » ou « château » sur l’étiquetage des vins de négoce, de même que la commercialisation des vins de l’exploitation et du négoce sous deux appellations différentes ou la différence de prix entre ces produits ne sauraient suffire à lever toute ambiguïté créée par le reste de l’étiquetage. » Avis aux négociants embouteillant à Châteauneuf-du-Pape ou à Château-Renard ou à Château-Thierry...
* : Défendant ses marques avec opiniâtreté (attaquant les Terrasses La Mouline de la cave languedocienne de Roquebrun ou la bière Doriane de la brasserie auvergnate Ondet), la maison E. Guigal attaque également les usages abusifs de son image de producteur par des metteurs en marché de ses vins de négoce. En témoigne l’arrêt du tribunal de grande instance de Paris datant du 18 juin 2008, où l’opérateur rhodanien a fait condamner à 60 000 € d’amendes pour contrefaçon un magasin Cora de Montbéliard (Doubs) qui mettait en avant le domaine E. Guigal et le château d'Ampuis (ses vins en propre) pour vendre des vins de négoce (sous marque ombrelle Guigal).