ans quel contexte prenez-vous la présidence d’InterBeaujolais ?
Jean-Marc Lafont : Je la prends dans un contexte plutôt favorable. Globalement, il y a une unité entre les deux familles, négoce et viticulture, qui est plutôt bonne. Il n’y pas de tension comme il y a 15-20 ans quand nous étions en crise. Les bonnes décisions ont été prises. Les beaujolais retrouvent petit à petit leurs marques et nous pouvons être confiants, même si le contexte est un peu tendu. Notre vignoble n’est pas grand, produisant 500 à 600 000 hectolitres de vin par an, le but est de les valoriser. Ce n’est pas simple, mais on repositionne nos vins sur un créneau plus valorisant et qualitatif. C’est un travail de longue haleine.
La poursuite de la valorisation semble coûter au Beaujolais des référencements (avec des sorties de rayons en Grande Distribution : -6 % de volumes et -1 % de valeur sur le premier semestre 2024) et plus globalement des ventes (sur les 10 mois de la campagne 2023-2024 les sorties baissent de 8 % à 430 000 hl fin mai 2024). Est-ce un repli volumique voulu, ou subi ?
Il y a deux aspects. Nous avons le souhait de revaloriser nos vins et de les repositionner avec un prix plus élevé, plus qualitatif. C’est un choix assumé pour notre part et partagé par la grande majorité du négoce (qui possède des vignes et constate les coûts élevés de production). Quand vous faites ce choix, cela vous fait sortir de la catégorie des prix extrêmement peu chers. Avec des prix plus valorisés, nous sommes aujourd’hui à la conquête d’une nouvelle clientèle. Ce changement de catégorie rend les choses moins simples. Nous perdons en GD et à l’export des marchés d’entrée de gamme que l’on avait par le passé et que l’on assume de perdre. Ce n’est pas viable pour les viticulteurs de produire ces vins à ces prix.
[Commercialement,] le négoce est très confiant pour le deuxième semestre. Nous n’échappons pas à la baisse généralisée de la consommation en France et à l’export : il n’y a pas beaucoup de régions en progression actuellement. Dans notre feuille de route, nous décidons d’investir massivement à l’export. Surtout pour les crus du Beaujolais, qui ont un potentiel de développement (20 % actuellement des ventes à l’étranger).
Les premiers crus du Beaujolais permettraient-ils une meilleure reconnaissance à l’international ?
La Dénomination Géographique Complémentaire des Pierres Dorées en cours de reconnaissance. Nous avançons sur le chemin des premiers crus, la demande a été déposée à l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO). On doit augmenter le spectre de la consommation de nos vins en tirant vers le haut nos crus et casser ce plafond de verre où certains nous considèrent comme des crus trop peu chers pour être crédibles. On aura toujours dans notre palette de vin le fruité, accessible et digeste, c’est le socle de notre marché, surtout en appellation régionale.
Vos voisins de la Bourgogne craignent ouvertement que des augmentations de prix sortent leurs vins du cœur des marchés et des acheteurs habituels. À son échelle le Beaujolais a-t-il les mêmes craintes de « bashing » ?
Non, je crois qu’il n’y a pas de comparaison possible avec nos collègues de la Bourgogne. Ils sont sur d’autres niveaux de valorisation que nos crus du Beaujolais. Nos prix restent tout à fait accessibles. On trouve de bons crus du Beaujolais à 10-15 €/col, à ces prix il n’y a pas grand-chose en Bourgogne. Il n’y a pas de Beaujolais bashing sur les prix. Nous avons changé depuis trois ans de catégorie de distribution : c’était un choix assumé.
Le Beaujolais semble à contre-courant de la majorité du vignoble rouge qui parle d’arrachage. Pour le Beaujolais, l’enjeu semble être le maintien du potentiel de production en installant de jeunes vignerons…
Aujourd’hui, le vignoble est à 12-13 000 hectares, on était à 21 000 ha il y a 25 ans. On a perdu des surfaces importantes, notamment en AOC Beaujolais et Beaujolais Villages. Je ne dirai pas que l’on a été précurseurs dans la crise, disons qu’on l’a vécue avant d’autres. Je me garderai bien de donner des leçons à d’autres vignobles, nous avons vécu une crise profonde. On a connu les burn-outs, les suicides… Baisser les coûts de production pour produire des vins qui ne sont pas chers ne permet pas de plus les vendre, comme on le voit à Bordeaux et en Côtes du Rhône.
Il n’y a sans doute pas assez de jeunes qui s’installent, mais on en voit arriver avec leurs nouvelles approches. Moins de surfaces, plus de mécanisation pour une culture plus écoresponsable et plus de temps pour le commerce. C’est une grosse nuance générationnelle. Les jeunes générations n’ont pas envie de faire 70 h/semaine dans les vignes : c’est une véritable lame de fond au niveau des exploitations.
Le renouvellement du vignoble est un autre enjeu stratégique pour vous.
On avait un ancien schéma de vignes en gobelet plantées à 10 000 pieds à l’hectare. Il y a une vraie dynamique de replantation, en crus notamment comme le Sud du Beaujolais était plus en avance. L’objectif est de mécaniser un certain nombre de tâches, mais aussi d’avoir un pilotage plus neutre d’un point de vue écologique en éliminant les désherbants au fur et à mesure (en montant les pieds, palissant les vignes…). Il est très important de monter en qualité : le gamay est un cépage magique quand il est très bien fait
Faire de jolis vins coûte cher. Il faut accompagner commercialement les vins, construire un imaginaire autour de notre magnifique région et sa mosaïque de terroirs. Le vignoble du Beaujolais est constitué de petites parcelles et de coteaux. Avec nos coûts de production, il n’y a pas d’autre choix que de valoriser les vins. A nous de faire chanter nos deux cépages : le gamay de prédilection, mais aussi le chardonnay, qui a un bel avenir sur les terroirs argilo-calcaires du Sud Beaujolais. Pour repositionner les vins rouges, je ne dis pas que l’on a gagné, on est au milieu du chemin. Je suis confiant sur notre vision partagée entre opérateurs. On essaie de reprendre la place qui était la nôtre il y a 50 ans. Nous n’avions alors pas grande différence de prix par rapport à la Bourgogne. Nous avons sans doute fait des erreurs.
Etait-ce une erreur de miser autant sur les primeurs, masquant le reste de l’offre ? Et quelle est la place du Beaujolais Nouveau dans votre vision ?
Le Beaujolais nouveau est toujours dans notre vision. Nous l’avions en tête quand nous avons construit la nouvelle stratégie de communication sur trois univers : les vins de fête (que sont notamment les Beaujolais Nouveaux, mais pas que), les vins de terroir associés à l’image de nos vignerons (Beaujolais Villages et Crus) et celui des vins d’exception (avec un certain nombre de cuvées). Le Beaujolais Nouveau a pu masquer les autres appellations à un moment donné. Le Beaujolais Nouveau arrive à monter en gamme, des cuvées valorisées 10-14 € trouvent plus leur place.
Dans les comptes d’exploitation d’InterBeaujolais, on voit les Cotisations Volontaires Obligatoires (CVO) dévisser (-1,1 million €, soit -24 % en deux ans), alors que les postes de dépense augmentent sensiblement. L’interprofession va-t-elle devoir faire un plan d’économie, notamment sur la promotion ?
Nous avons décidé de continuer à investir. Il y a la baisse des recettes, elles étaient plus basses avec de petites récoltes, il y a aussi le maintien des actions, comme un nous avons un peu de réserve, n’ayant pas eu de grosses opérations pendant les années covid (2020-2022). On assume pleinement de renforcer notre communication dans cette période importante en tapant dans nos réserves et en présentant un budget déficitaire. C’est le moment de mettre du charbon. Sans prétention, on a appris du passé : notre ligne est assez claire, on sait où l’on veut aller et l’on n’a pas d’autre choix. S’il y a un vignoble qui est pertinent sur les vins rouges actuellement, le Beaujolais l’est sans doute.
Vigneron au domaine de Bel Air (Lantignié), Jean-Marc Lafont est secondé par un vice-président issu du négoce : Sébastien Kargul, directeur des châteaux de Corcelles et des Tours. Photo : © Vins du Beaujolais, Jonas Jacquel.