On a un marché à deux vitesses », pose Loïc Jégouzo, adjoint au directeur du service études, veille et prospective à la FNSafer. Des secteurs sont en crise, notamment à Bordeaux et dans les côtes du Rhône. Dans d’autres, les prix sont en hausse, comme dans les vignobles de la moitié nord.
En 2023, la Fédération des Safer a ainsi enregistré 8 770 transactions, soit 7,6 % de moins qu’en 2022. « Leur nombre reste dans la moyenne de ces six dernières années », tempère Loïc Jégouzo. Au total, 16 000 ha ont changé de main, c’est 12,8 % de moins que l’an passé. Mais la valeur totale des échanges reste élevée à 1,17 milliard d’euros, en hausse de 15,8 % du fait de quelques ventes d’exception. « C’est la valeur la plus haute de ces six dernières années », observe-t-il. Toutefois, les disparités sont fortes d’un bassin à l’autre et même au sein d’un bassin. Le point avec les experts de la Safer.
Dans le Bas-Rhin, le marché s’est stabilisé. « On reste sur une moyenne de 90 000 €/ha. Ce qui est positif. » En 2021, le prix était tombé à 85 000 €/ha. « À 90 000 €/ha, on revient sur des valeurs justes aussi bien pour les vendeurs que pour les acquéreurs », apprécie Hugo Schwindenhammer, conseiller foncier à la Safer du département. Toutefois, derrière cette moyenne se cachent des prix oscillant entre 70 000 et 120 000 €/ha selon les zones. « Les prix sont effectivement très variables selon la situation géographique des vignes, leur encépagement... Les zones séchantes et certains cépages comme le gewurztraminer rencontrent un déficit d'intérêt certain» .
Situation différente dans le Haut-Rhin où le prix moyen est en hausse de 6 %, à près de 138 000 €/ha. Mais, comme dans le Bas-Rhin, les écarts se creusent entre les secteurs.
Le marché reste actif et les prix attractifs. En AOC Beaujolais, le prix moyen de 11 000 €/ha est en très légère baisse (-8 %), en Beaujolais Villages, il reste stable : 12 000 €/ha. La demande se focalise sur les terrains mécanisables et les lieux dits cotés. Les parcelles en Beaujolais blanc et les terres plantables en chardonnay sont toujours très recherchées. La Safer ajoute qu’un grand nombre de transactions a eu lieu dans les crus, notamment en Brouilly, Côte de Brouilly, Fleurie, Morgon, à des prix globalement stables. D’autres, comme Chiroubles et Régnié, voient leur prix baisser par « effet de mode » qui met « en lumière certains crus plutôt que d’autres », observe la Safer.
Dans le Bergeracois, l’ambiance est aussi morose que le marché des vins et aussi maussade que la météo et sa succession d’aléas climatiques. Le nombre, le volume et la valeur des transactions chutent. En 2023, il n’y a eu que 43 ventes de vignes (-14 %), totalisant 179 ha (-39 %) pour une valeur de 2,9 M€ (-28 %). « Et nous nous attendons à ce que ces baisses se poursuivent cette année. Beaucoup d’exploitations à vendre ont des difficultés à trouver des repreneurs », observe Stéphanie Gressier, cheffe du service Dordogne à la Safer Nouvelle-Aquitaine.
En 2023, le prix moyen des vignes en appellation Bergerac était de 9 000 €/ha pour les rouges et de 9 500 €/ha pour les blancs. « Depuis, on voit passer des ventes à 6 000-6 500 €/ha pour les rouges. C’est le prix de la terre. En revanche, pour les blancs, les prix restent stables et il y a des candidats », indique Stéphanie Gressier. L’AOC Monbazillac reste, elle, bien valorisée. « Le prix de référence est de 18 000 €/ha pour les parcelles bien entretenues. Mais il chute à 15 000 € pour des parcelles qu’il faut complanter ou dont le palissage est en mauvais état. »
À Pécharmant, « il y a très peu de ventes et on est autour de 35 000 à 40 000 €/ha », poursuit l’experte.
L’année 2023 est marquée par une baisse des transactions et des surfaces échangées en Gironde. Les prix diminuent dans presque toutes les AOC. En appellation Bordeaux rouge, le prix moyen chute à 9 000 €/ha (-14 % vs 2022). « Ces vignes ont perdu 45 % de leur valeur en cinq ans », commente Loïc Jégouzo. Seules les parcelles en bon état et situées sur des terroirs intéressants trouvent preneur. « Les prix sont si bas que des maisons de négoce qui ont des marques fortes rachètent les propriétés de leurs fournisseurs. Des particuliers et des opérateurs venant d’autres régions ou de l’étranger se positionnent également », note Michel Lachat, directeur départemental pour la Gironde à la Safer Nouvelle-Aquitaine. Contrairement aux rouges, les vignes de Bordeaux blanc progressent de 14 % à 12 000 €/ha.
Pour le reste des rouges, la situation n’est pas plus brillante. Baisse des prix en AOC Côte de Bordeaux Blaye (-23 % à 10 000 €/ha), en Côtes de Bourg (-13 % à 14 000 €/ha), en Graves (-4 % à 26 000 €/ha) et en Médoc (-29 % à 25 000 €/ha). S’agissant de l’appellation Médoc, Michel Lachat ajoute : « Début 2024, on a enregistré des ventes à des prix inférieurs à 2023. » Sauternes continue aussi de s’enfoncer (28 000 €/ha, soit -7 %).
Même les AOC plus prestigieuses marquent le pas. Pessac-Léognan recule ainsi de 10 % avec une dominante à 450 000 €/ha. « Mais tout dépend des terroirs, les meilleurs se négociant à 600 000 €/ha quand les moins bons partent à 350 000 €/ha », détaille Michel Lachat. À Saint-Émilion, « le nombre de propriétés à vendre a augmenté alors qu’auparavant, c’était une denrée rare. » Et les écarts se creusent entre les terroirs exceptionnels où les vignes se négocient entre 3,5 et 4 M€/ha et la plaine où elles valent de 180 000 à 200 000 €. « Et il y a même des vignes de plaine qui ne trouvent pas d’acquéreur. »
Seules les communales les plus cotées du Médoc (Saint-Julien, Pauillac, Margaux) et Pomerol échappent à la tendance avec des prix qui restent stables.
En Côte-d’Or, le marché continue de se contracter. L’an dernier, la Safer n’a enregistré que 160 transactions pour un peu moins de 100 ha. « La majorité des ventes portent sur moins d’un hectare, explique Sébastien Richard, directeur départemental de la Safer. Quels que soient la parcelle et le cépage, il y a toujours beaucoup de candidats acquéreurs, même pour les parcelles à la configuration compliquée. » Les prix sont donc encore orientés à la hausse. Celle-ci est particulièrement marquée sur les premiers crus en blanc qui grimpent de 13 % à 2,25 M€/ha. Mais elle ralentit à +4 % pour les AOC régionales avec un prix moyen de 56 000 €/ha.
Dans le Mâconnais, le marché reste tout aussi fermé et ne permet pas « de constater d’évolutions importantes des prix ». Peu d’échanges également dans le Chablisien où la Safer n’a enregistré que 25 transactions en 2023 totalisant 14 ha dont 9 de terres à planter et 5 de vignes « achetées à 95 % par les fermiers en place », indique la Safer.
Dans la Marne, le prix moyen des vignes s’établit à 1,184 M€/ha (+2 %) sur un marché moins actif qu’en 2022. Une frilosité qui résulte de la diminution des ventes de champagnes « après deux années d’euphorie commerciale et un record de ventes de bouteilles en 2022 », analyse la Safer. Le volume des échanges – 200 ha – est revenu à celui d’avant le Covid. Dans l’Aube, en revanche, où les vignes coûtent moins cher, le marché s’est révélé très actif. 100 ha se sont échangés, soit presque trois fois plus qu’en 2022 au prix moyen de 932 200 €/ha (+4 %). Dans l’Aisne, le marché s’est stabilisé.
La donne change. Après six années d’augmentation continue, le prix moyen des vignes en appellation Cognac a chuté de 6,4 % en 2023 pour s’établir à 56 600 €/ha. « La précédente baisse datait de 2001. Celle de l’an dernier est liée au brusque repli des exportations de Cognac vers les États-Unis et la Chine alors que la récolte 2023 a atteint un niveau inédit », détaille Loïc Jégouzo. « Les ventes de vignes enregistrées sur une bonne partie de l’année 2023 sont le fruit de négociations et d’accords signés fin 2022 et début 2023. Elles sont fondées sur les valeurs de 2022, qui sont les maximales observées ces dernières années. Au cours de l’année […], le prix des vignes connaît une baisse de l’ordre de 10 à 15 % selon les crus et les secteurs », souligne la Safer.
La Safer n’a enregistré que cinq transactions en 2023 en Corse. Ses calculs donnent des moyennes de 22 000 €/ha en AOC et 18 000 €/ha en IGP. Mais vu l’étroitesse du marché, il faut « établir les prix de la vigne et des terres à vignes à dire d’expert », précise-t-elle.
En 2023, le nombre de transactions et la surface échangée en Languedoc-Roussillon sont en repli. La mévente des vins rouges commence à se ressentir sur le prix des vignes, notamment dans le Gard. Dans ce département, le prix des vignes en IGP chute à 14 000 €/ha (-13 %) alors qu’il reste stable dans l’Aude et l’Hérault. De même, l’AOC Languedoc perd 3 % dans le Gard (16 000 €).
Dans l’Hérault, les vignes en AOC Languedoc reculent de 6 % (15 500 €). Faugères, Saint-Chinian et Muscat de Frontignan baissent également. Et Terrasses du Larzac chute pour la première fois après dix ans de croissance (-2 % à 27 000 €). « L’attrait pour cette AOC est peut-être arrivé à son apogée », commente Nicolas Poulhalec, référent marché vigne pour la Safer Occitanie. À l’inverse, d’autres AOC progressent. C’est le cas de Pic Saint-Loup et de Picpoul pour lesquelles les prix augmentent respectivement de 4 % (à 75 000 €/ha) et de 6 % (33 000 €/ha).
Dans l’Aude, les prix baissent pour Malepère, Fitou, Cabardès et Corbières mais restent stables ailleurs. « Limoux cartonne sur le plan commercial car ce sont des effervescents aromatiques, avec des degrés assez bas. Les prix se négocient entre 8 000 et 19 000 €/ha avec une dominante à 15 000 €. »
Dans les Pyrénées-Orientales, les prix chutent de 10 % en Côtes du Roussillon et Côtes du Roussillon Villages.
Avec sa multitude d’appellations, le Val de Loire est plutôt bien orienté. À Sancerre, le foncier est toujours très recherché et les prix à un niveau très élevé : 260 000 €/ha en moyenne. « Le marché est quasi exclusivement constitué de ventes au fermier en place », précise la Safer.
Dans le Loir-et-Cher, le nombre de transactions et les surfaces échangées ont baissé, mais la valeur a progressé avec des prix moyens de 14 000 €/ha pour l’AOC Touraine (+17 %). « On est sur un marché de parcelles de moins d’un hectare. Les ventes de domaines baissent. Les exploitations peuvent intéresser des investisseurs mais ceux-ci veulent s’appuyer sur un chef de culture ou un maître de chai qu’ils ne trouvent pas. Quant aux jeunes qui souhaitent s’installer, ils cherchent des petites surfaces (5 à 10 ha) qu’ils veulent conduire en agro-écologie », souligne Élie Barbereau, directeur technique à la Safer du Centre.
En Indre-et-Loire, les prix baissent en AOC Bourgueil (-14 % à 12 000 €/ha), à cause de la mévente des rouges. L’appellation Saint-Nicolas-de-Bourgueil, qui est plus petite, résiste avec des prix qui restent stables (50 000 €/ha). Stabilité aussi pour Chinon et Montlouis.
Le Maine-et-Loire continue de séduire les investisseurs, les vignerons d’autres régions et les personnes en reconversion professionnelle. « Plusieurs belles structures viticoles ont changé de main sur le secteur Anjou-Layon, essentiellement via des ventes d’actifs », indique la Safer. Les prix sont donc à la hausse, de 6 % à 27 400 €/ha en moyenne en AOC.
En Loire-Atlantique, le regain d’intérêt pour le Muscadet conduit à une augmentation du prix du foncier dans les crus communaux. En revanche, les vignes gélives ou peu qualitatives sont délaissées. La Safer note également un doublement du prix des terres plantables dans les zones non gélives.
La crise qui touche les vins rouges et les rosés a un net impact sur le prix du foncier dans le Gard. Dans ce département, toutes les appellations rattachées à la vallée du Rhône souffrent. L’hectare de Côtes du Rhône tombe à 14 500 €/ha en moyenne (-19 %), celui de Côtes du Rhône Villages chute à 16 000 € (-14 %), le Costières de Nîmes passe à 15 000 € (-19 %) et le Tavel à 60 000 € (-15 %). Lirac fait exception. Là, les prix sont en croissance de 18 % et atteignent 40 000 €/ha en moyenne. « Les structures ont des débouchés commerciaux », observe Nicolas Poulhalec, référent marché vigne pour la Safer Occitanie.
La crise des rouges déteint aussi sur les vignes en Côtes du Rhône en Ardèche. Et elle se profile dans le Vaucluse. « En 2023, on est resté sur une moyenne stable à 23 000 €, avec de grosses variations selon les zones. Mais, aujourd’hui, on est plutôt à 20 000 € », précise Fabrice Triep-Capdeville, de la Safer Vaucluse. Dans les Côtes du Rhône Villages, la situation est contrastée. À Valréas, Visan et Sainte-Cécile-les-Vignes où les coopérateurs sont très présents, de nombreuses vignes sont en vente mais la demande n’est pas au rendez-vous. À l’inverse, à Sablet ou Séguret, les vignes sont recherchées. De même, « le luxe résiste », les crus historiquement très reconnus restant très recherchés avec des moyennes à 100 000 €/ha à Vacqueyras, jusqu’à 230 000 €/ha à Gigondas et 510 000 €/ha à Châteauneuf-du-Pape.
Le marché du foncier est toujours très actif dans le Var que ce soit dans l’AOC Côtes de Provence ou en Coteaux Varois. Le prix des parcelles en appellation progresse de 7 % à 64 300 €/ha en moyenne. Dans les Bouches-du-Rhône, faute de parcelles plantées disponibles à la vente, les viticulteurs s’intéressent aux terres nues, voire à des bois pour augmenter leur potentiel de production.
Dans le Gers, les prix sont restés stables en 2023 que ce soit en AOC, IGP ou vins sans IG. « De nombreux opérateurs occitans sont intéressés par le colombard car ce cépage correspond bien au profil recherché aujourd’hui : aromatique, frais, avec des degrés raisonnables et des rendements élevés de 120 hl. En IGP Côtes de Gascogne, le prix des vignes oscille entre 7 000 et 20 000 €/ha selon leur état, avec une moyenne à 14 000 €/ha », commente Nicolas Poulhalec, référent marché vigne pour la Safer Occitanie.
À Cahors, le « vignoble reste attrayant » selon Nicolas Poulhalec. Après une euphorie en 2021 et 2022 au cours desquelles les prix étaient remontés à 15 000 €/ha, ils repassent à 13 500 € en 2023, soit une correction de 10 %. Mais le vignoble continue de séduire des investisseurs. « Nous avons deux belles opérations en cours », assure l’expert. Il précise toutefois que la succession d’aléas climatiques va entraîner l’abandon de 500 à 600 ha de fermage. Dans le Tarn, les prix reculent de 5 % à 9 000 €/ha et sont identiques en appellation Gaillac et en IGP Côtes du Tarn. « La terre nue en coteaux vaut 7 000 €/ha. Le végétal n’est valorisé que de 2 000 €/ha », note l’expert.