a filière des vins français se trouve clairement à un tournant : « la période que l’on traverse va rebattre les cartes. Avec le programme d’arrachage qui se réfléchit, et qui parle de 100 à 150 000 hectares à arracher pour retirer 5 à 6 millions d’hectolitres de vins produits, il y a des régions qui vont changer de visage » déclare Joël Boueilh, le président des Vignerons Coopérateurs de France, rencontré ce lundi 12 février sur le salon Wine Paris & Vinexpo Paris. Mais en attendant que ce plan d’arrachage temporaire soit validé par l’Europe et finalisé par la filière*, il reste à gérer les volumes excédentaires du millésime 2023 (48 millions hl d’après l’administration) et de la future récolte 2024 (qui ne sera pas affectée par l’arrachage envisagé pour la fin d’année).
« La question des 5 à 6 millions hl excédentaires chaque année se pose. Nous allons nous retrouver avec 10 à 12 millions hl en surplus sur le marché à la fin de l’année qui ne trouveront pas preneurs » pose Joël Boueil, qui résume le défi : « nous devons trouver une solution pour détruire 10 à 12 millions hl de vins excédentaires en attendant l’arrachage temporaire ». Si la distillation de crise n’est pas envisageable (la campagne 2023 étant encore payée par des fonds 2024), il faut explorer d’autres alternatives, par exemple la production de bioéthanol. « La réglementation nous dit que seuls les déchets et sous-produits peuvent être envoyés vers le bioéthanol » rappelle Joël Boueilh, qui demande des avancées structurantes sur le sujet au ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, également sollicité sur les aides du fonds d’urgence (80 millions €).
Sur toutes les annonces faites ces dernières semaines de grogne agricole, les caves coopératives ne s’y retrouvent toujours pas. « Les vignerons adhérents pourront bénéficier des mesures seulement pour leur vignoble. Mais ils déportent leurs vinifications, conditionnements, stockages et commercialisations aux caves coopératives qui ne sont pas prises en compte » relève Joël Boueilh, qui appelle à l’application d’une année blanche bancaire avec l’amortissement décalé des encours pour générer de la trésorerie et soutenir les exploitations adhérentes. Un certain nombre de caves coopératives sont en situation de « précarité » et ont dû réduire substantiellement les acomptes à leurs viticulteurs ces derniers mois.
Faisant état de situations économiques délicates dans des vignobles en crise (Bordeaux, Vallée du Rhône, Languedoc…), Joël Boueilh note que tout le vignoble français est actuellement secoué. Bourgogne, Champagne, Cognac et Provence qui se portaient insolemment bien jusqu’à récemment ne sont pas épargnés par la situation économique mondiale. Sans oublier les incertitudes géopolitiques qui pèsent sur le futur de la filière, qui doit pourtant se projeter avec volontarisme et optimisme vers l’avenir pour Joël Boueilh.
Actuellement occupée par le salon professionnel Wine Paris & Vinexpo Paris, la porte de Versailles accueillera le Salon International de l’Agriculture dès le 24 février : un évènement grand public où la filière doit « redonner le goût du vin aux consommateurs, capter leur attention et rester relié à eux. Il faut trouver une nouvelle façon de parler du vin et de donner envie » plaide le président des caves coops. Car « si l’on trouve une solution pour détruire les 10 à 12 millions hl en surplus et que l’on arrache 100 à 150 000 ha pour produire 35 à 40 millions hl en France, on n’a pas encore changé les façons de produire nos vins pour élaborer des produits répondant aux goûts et évolutions du marché. Il faut évoluer, sinon dans 5 à 10 ans ce sera bis repetita » prévient le vigneron gascon.
* : L’un des enjeux de ce programme sera la conséquence de son financement sur les années 2024 et 2025. Si le gouvernement annonce débloquer 150 millions d’euros pour compléter 250 millions € de fonds européens, ces 250 millions € sont issus du Plan Stratégique National (PSN) des années 2024 et 2025, qui sont chacun dotés de 270 millions €. Il restera donc 145 millions € chaque année pour financer les aides à la restructuration, à l’investissement et à la promotion sur les pays tiers. Il faudra que la filière arbitre les montants qui seront réduits dans l’Organisation Commune du Marché vitinivinicole (OCM vin).