ne fois n’est pas coutume ce samedi 20 janvier, ça se bousculait parmi le personnel politique pour soutenir l’agriculture en général et la viticulture en particulier dans les journaux imprimés et télévisés. À commencer par le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, participant à la cérémonie de la Saint-Vincent d’Avize (Marne) et déclarant en plein Dry January à l’Union : « je soutiens le monde viticole, je consomme du vin 12 mois sur 12 ». Au-delà d’un soutien à la consommation modérée de vin, l’ancien ministre de l’Agriculture (2009-2012) annonçait récemment « mettre en place un guichet unique » pour les exportations de vin dans l’Union Européenne au plus vite, ce « qui permettra de réaliser l'ensemble des déclarations d'accises en une seule fois, Une mesure essentielle pour faciliter la vente à distance aux particuliers dans l’Union européenne. » Soit une réponse face au « ras-le-bol du monde agricole et viticole à l'égard des normes ». Trop plein sur fond de crise économique qui s’exprime avec les manifestations agricoles en Haute-Garonne (avec notamment le blocage de l’autoroute A64) et des actions plus violentes (l’explosion de la DREAL de Carcasonne dans l’Aude).
Il y aura plus globalement une loi de simplification présentée ce printemps précise Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture, en visite ce même jour dans une exploitation laitière sur la commune de Massay (Cher). Une simplification qui doit se voir et ne pas être théorique ajoute-t-il lors d’un point presse. Indiquant avoir sollicité ses services sur le sujet avant Noël, le ministre affirme « le besoin de normes qui ne s’empilent pas, mais qui donnent une philosophie à l’action publique » pour répondre à une « crise de la norme ». Relevant deux autres crises pesant sur le monde agricole (une « crise de modèle », pour les zones bouleversées par le changement climatique comme les Pyrénées-Orientales, et une « crise de confiance », incluant la rémunération : « l’agriculture a un coût et doit trouver un prix »), le ministre n’a pu que constater la mobilisation médiatique autour de son déplacement à l’écoute des agriculteurs. Marc Fesneau s’en disant « très heureux de vous voir très nombreux aujourd’hui », tout en reconnaissant que les projecteurs sont braqués sur lui « parce qu’il y a un moment de colère, de difficulté avec le monde agricole ».


Confirmant que « dans 10-15 jours » il annoncera de nouvelles* « mesures sur la viticulture » (arbitrages attendus ce vendredi 2 février sur un fonds d’urgence renforcée et point sur l’avancée de l’arrachage temporaire), Marc Fesneau n’a pas fait d’annonces pour répondre à la grogne agricole qui bouillonne : « je ne suis pas un bonimenteur de foire, je dis ce que je vais faire et je fais toujours ce que j’ai dit. Même dans les situations de crise. On va s’attaquer à la simplification. » Et le ministre d’attaquer frontalement, de lui-même, un évènement se tenant en parallèle : la visite de l’eurodéputé et président du Rassemblement National, Jordan Bardella, dans un élevage du Médoc. « Cessons le populisme » pose Marc Fesneau, se disant « heureux que monsieur Bardella s’intéresse à l’agriculture ce week-end : il aurait été intéressant qu’il s’en occupe pendant les cinq ans avant, au niveau européen. À cinq mois des élections européennes, il vient nous dire que l’agriculture est un sujet important. Pardon, on l’avait remarqué. Je ne dis pas que l’on a tout réussi, mais le sujet agricole, cela fait des années que le gouvernement s’en occupe. »
Depuis Queyrac (Gironde), Jordan Bardella, tête de liste RN pour les élections européennes (9 juin 2024), se veut pragmatique : « il ne faut pas se mentir, ça sera très compliqué » de « changer les choses »**, car « nous n’avons jamais été au pouvoir. Probablement quand nous y arriverons, je suis convaincu que nous y arriverons, nous allons hériter d’une situation compliquée : on va nous présenter sur la table toutes les factures : agriculture, santé, éducation, immigration, sécurité, pouvoir d’achat... »
Mais l’eurodéputé le maintient : « ce que vit l’agriculture aujourd’hui, ce n’est pas une fatalité : c’est la conséquence de choix politiques, c’est la conséquence de décisions politiques. Ce que nous faisons c’est de se battre pour que l’agriculture française soit défendue et protégée face à la concurrence déloyale » à l’international. S’inscrivant dans une « course contre le temps », Jordan Bardella affirme qu’« il faut évidemment soutenir ce mouvement de colère » du monde agricole », pointant que « souvent on cherche à réduire ces mouvements de colère à la forme [mais le] sujet aujourd’hui n’est pas d’être pour ou contre un blocage d’autoroute, c’est la revendication derrière. »
Allant à la rencontre des agriculteurs bloquant des ronds-points dans la région toulousaine ce 20 décembre, la présidente de la région Occitanie, Carole Delga, juge « légitime » la « colère » exprimée : « la situation de misère est inadmissible, vos revenus en Occitanie sont parmi les plus faibles de France. Vous devez être reconnus et soutenus. » Mais Carole Delga s’est également positionnée pour des actions pacifiques : « les Français vous aiment, n’en doutez jamais. Ne laissez aucune place à la violence et à l’extrémisme qui permettraient à vos détracteurs de vous décrédibiliser. » Et l’élue socialiste d’ajouter qu’elle transmettra « les pistes de solutions qui pourront être proposées au ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, à quelques jours de la présentation du projet de loi d’orientation agricole ».


Ce dernier reconnaît, lors de son déplacement dans le Cher, que maintenant il « s’agit de faire », de « répondre » aux demandes souvent connues de longue : « je reconnais que quinquennat après quinquennat, année après année il y a un sujet de confiance. Je suis sûr qu’il y a un chemin. J’ai surtout entendu de la défiance [auprès des agriculteurs] : on ne [nous] croit pas. » Notant qu’il y a « beaucoup de sujets européens » à traiter, Marc Fesneau précise qu’il ne veut pas se « défausser, mais mener le combat à ce niveau ». Tout en jugeant incohérente la proposition protectionniste du Rassemblement National de fermer les frontières françaises à des produits agricoles tout en voulant exporter plus : « la force de la France est sa capacité exportatrice de lait, de céréales, de vins et spiritueux. Un repli sur nos frontières, c’est la mort de l’agriculture française. Ceux qui font œuvre de démagogie ne rendent pas service. »
Alors que le nouveau premier ministre prépare son discours de politique générale, Gabriel Attal donnait ses trois lignes directrices pour l’agriculture à l’occasion d’une réunion publique ce 20 janvier à Orliénas (Rhône). D’abord « garantir aux agriculteurs qu’ils peuvent vivre de leur travail (assurer une juste rémunération dans la chaîne de distribution) », ensuite « vous faciliter la vie et ne plus enchaîner de la paperasserie. Il n’y a pas besoin de remplir 15 fois la même chose, c’est à l’administration de faire ce travail » et finalement résoudre l’épineuse « question de la transmission et du renouvellement en agriculture. Je suis sûr qu’il n’y a pas de crise des vocations [auprès des jeunes]. Il faut lever les freins qui les empêchent de s’installer. L’un des premiers projets de loi que présentera mon gouvernement sera la transmission et le renouvellement. » Et le premier ministre d’appeler aux propositions pour nourrir ce texte. De quoi prévoir de nouvelles journées médiatico-politiques dédiées aux enjeux agricoles. L’avenir dira si ces mises en avant inhabituelles constitueront une opportunité d’accélérer les demandes de soutien ou finiront dans l’impasse des récupérations partisanes. Car après l'écoute attentive et les paroles apaisantes, il reste à agir concrètement.
* : Le cabinet de Marc Fesneau rappelle les aides passées à la filière viticole avec le soutien après le gel 2021, le fonds d’urgence de 40 millions € après la grêle 2022, la distillation de crise de 200 millions € en 2023, ainsi que le cofinancement à 30 millions € du plan d’arrachage sanitaire de Bordeaux, des allégements de charges de 4 millions € pour les vignobles touchés par la sécheresse et le fonds d’urgence d’aide aux trésoreries de 20 millions €.
** : Jordan Bardella évoque concrètement son opposition à la stratégie européenne de la ferme à la fourchette (ou Farm to fork) et sa proposition d’exonération des droits de succession pour la transmission des exploitations agricoles (une proposition datant des élections présidentielles de 2022, sous engagement d’une reprise pendant 10 ans).