n quelque temps seulement, le sauvignon blanc est devenu le chouchou des Sud-Africains. Ce cépage qui comptait à peine 400 ha en 1981 a atteint 10 000 ha en 2023. Il représente 11 % de la surface totale plantée dans le pays. C’est le deuxième cépage le plus cultivé après le chenin blanc (18 % du vignoble) qui, lui, est en régression et dont une bonne partie des vins sont distillés pour la fabrication du brandy.
Désormais, avec 14 millions de litres bus sur place et 68 millions de litres exportés en 2022, le sauvignon est devenu le cépage le plus consommé et le plus exporté d’Afrique du Sud. « Il sert de phare, mais c’est l’ensemble de nos terroirs et de nos cépages que nous souhaitons faire connaître au monde entier, souligne RJ Botha, président de Sauvignon blanc SA, l’association de producteurs constituée pour promouvoir ce cépage. Il y a quelques années, nous voulions damer le pion aux Néo-Zélandais et produire des cuvées en grands volumes, comme eux. Mais c’est impossible. Nos terroirs et nos vins sont trop différents. À la dégustation, on reconnaît tout de suite un sauvignon blanc néo-zélandais : ils sont tous pareils. Les nôtres montrent une variété d’expression incroyable ! C’est là où nous sommes forts. »
Une nouvelle génération de winemakers, qui a voyagé à travers le monde, a pris les choses en main. « De sauvignons simples, on est passé à des vins élevés en fût, en amphore, en œuf ciment, élevages sur lies, etc. », observe Fiona McDonald, journaliste et dégustatrice sud-africaine.
Si Robertson et Worcester – deux régions voisines situées à l’est du Cap – donnent des vins légers, très variétaux, que le marché local adore, c’est à Durbanville que le sauvignon se distingue. Dans cette vallée fraîche située juste à l’entrée de Cape Town, dominée par la Table Mountain, il s’épanouit sur des pentes orientées sud, tout proche de l’océan.
Comme au domaine Diemersdal. Thys Louw, 41 ans, représente la sixième génération à la tête de ce vignoble de 300 hectares qui ne compte pas moins de 140 ha de sauvignon blanc. Normal : il adore ce cépage depuis le premier jour où il l’a goûté, et ne cesse de le développer et de le promouvoir. « Sa gamme de saveurs est infinie, du tropical aux fleurs sauvages, les notes maritimes et salines… »
En mars 2023, lors du concours mondial du sauvignon qui s’est déroulé pour la première fois en Afrique du Sud, son sauvignon blanc réserve 2022 a obtenu une des vingt-six médailles que le pays a récoltées.
C’est lui qui a impulsé cette variété au sein de la propriété, fondée en 1698. Après avoir fini ses études et fait son apprentissage à l’étranger, il est revenu y travailler en 2005. Mais son père, Tienie, toujours en poste, ne lui faisait pas encore confiance. Un grand classique qui se retourna en sa faveur. Alors que Thys voulait développer le sauvignon blanc, son père, sceptique, l’autorisa à faire une expérience sur huit rangs seulement. La cuvée eut un tel succès que l’étiquette existe toujours : Eight Rows. Le fils gagna la confiance de son père. Sous sa houlette, le sauvignon s’est développé au point que Diemersdal produit aujourd’hui un million de bouteilles de ce cépage, qu’il vend principalement en Afrique du Sud et en Namibie mais aussi en Allemagne, Belgique, Scandinavie, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni.
L’engouement de Thys Louw pour ce cépage le pousse toujours vers de nouvelles expériences. La cuvée Wild Horseshoe est ainsi le résultat d’une fermentation sur marc. Winter Ferment, elle, fut imaginée dans le but d’obtenir plus de fruits tropicaux. « Nous congelons le jus en février, à — 20 °C. Cinq mois plus tard, nous le décongelons et lançons la fermentation. » Résultat : un vin peut-être encore plus expressif que les autres, ce que le vigneron explique par le fait que la congélation du jus libère les thiols volatiles.
Winter Ferment de Diemersdal rafle les médailles : trois ans de suite dans le Top 10 des sauvignons blancs d’Afrique du Sud, et deux médailles au Concours mondial du sauvignon, la première en 2019 et la seconde en 2020.
Autre expérience : The Journal. « Nous avons voulu nous rapprocher d’un style sancerrois », explique le vinificateur, qui est même allé jusqu’à produire un sauvignon à Marlborough, en Nouvelle-Zélande, en partenariat avec la famille Glover.
À quarante kilomètres de là, le domaine Kleine Zalze, racheté en septembre 2022 par le groupe français Advini, produit 3,5 millions de bouteilles, dont 350 000 de sauvignon blanc d’entrée de gamme, 150 000 de sélection de terroir et 20 000 d’une cuvée élevée en fût de chêne. Cette dernière, Kleine Zalze Family Reserve 2020, a remporté une médaille d’or en mars 2023. Un vin emblématique des bons sauvignons blancs sud-africains : mature, apte à vieillir quelques années, bien valorisé.
Les raisins proviennent de Durbanville et de Darling, une région située à soixante kilomètres plein nord. Ils sont ramassés à la fraîche, voire la nuit, et protégés de l’oxydation. « Macération pelliculaire pendant douze heures, puis sept mois d’élevage sur lies, précise RJ Botha, directeur technique. Le résultat est un vin rond et opulent, aux notes à la fois fruitées et herbacées. »
Plus proche du Cap encore, se trouve Constantia. On attribue à cette minuscule région (400 ha) les premiers sauvignons blancs du pays, qui auraient été plantés en 1880. Comme le raconte Floricius Beukes, chef de culture de Groot Constantia, elle est confrontée à pléthore d’obstacles : une forte pluviométrie au printemps et à l’automne, de la sécheresse en été, un vent puissant – le « Cape doctor » – qui réduit la récolte. Et du dépérissement. « À cause de l’esca et de l’enroulement, notre vignoble ne dure pas plus de vingt ans…, rapporte Floricius Beukes. Il faut arracher et replanter en permanence. » Sans compter les babouins, dévastateurs.
Dans ces conditions, difficile de rivaliser avec les Néo-Zélandais. « Quand ils font 15 tonnes à l’hectare, nous atteignons péniblement les 7 tonnes », poursuit le chef de culture. Malgré tout, il est enthousiaste : ses 8,5 ha de sauvignon donnent des vins intenses et profonds. Il les vend deux fois plus cher que la moyenne locale hors cuvées spéciales, 10 € sur place au consommateur. Et il possède un atout majeur : il se trouve dans le berceau de la viticulture du Cap. Son domaine reçoit 400 000 visiteurs par an, qui consomment l’essentiel de sa production.
Créée en 2003, l’association du Sauvignon blanc d’Afrique du Sud (Sauvignon blanc SA) réunit 150 producteurs de ce cépage autour de sa promotion, localement et dans le reste du monde. Elle organise tous les ans une journée internationale dédiée à ce cépage (#SauvBlancDay), une compétition qui distingue les dix meilleurs vins locaux et un séminaire qui, en novembre dernier, a porté sur la réduction d’alcool dans les vins et l’adaptation au marché en termes de prix, de packaging et de goût. En mars dernier, l’association a accueilli, à Franschhoek, le Concours mondial du sauvignon (alias Sauvignon Selection by CMB), qu’elle a organisé avec la société belge Vinopres. C’était la première fois de son histoire que l’épreuve se déroulait hors d’Europe.