l y a vingt ans, Hemel-en-Aarde – « ciel et terre », en afrikans – n’était couverte que de prairies où paissaient les moutons. C’était une vallée isolée débouchant sur l’océan Atlantique, à une soixantaine de kilomètres à l’est du cap de Bonne-Espérance. Aujourd’hui, c’est une enfilade de parcelles de vignes. Quinze producteurs se partagent 420 hectares et ce n’est probablement pas fini : la porte est grande ouverte à ceux qui veulent se lancer dans l’aventure.
Anthony Hamilton Russell, celui grâce à qui l’appellation Hemel-en-Aarde est née en 2006, espère voir s’installer de nouveaux producteurs. « Des entités familiales, avance-t-il. Nous n’avons pas une seule coopérative : c’est ce qui fait notre force. Nos rendements sont faibles, les vins ne peuvent être que dans le haut de gamme. »
L’histoire viticole de cette vallée remonte au père d’Anthony, Tim Hamilton Russell. En 1975, ce dernier décide d’investir dans la vigne. Il cherche des terres vierges et s’arrête dans cette région au climat frais et aux sols variés, où il envisage d’élaborer des vins différents de ceux de Stellenbosch, région plus chaude. Dès qu’il le peut, ce publicitaire originaire de Johannesburg plante du pinot noir et du chardonnay. L’année 1981 marquera son premier millésime.
Après avoir occupé un emploi dans la finance, son fils lui succède. Dès la fin des années 1990, il hisse ses vins parmi les meilleurs pinots noirs et chardonnays d’Afrique du Sud. Et plante deux nouveaux vignobles qui s’ajoutent aux 52 hectares du domaine Hamilton Russell : Ashbourne, qu’il consacre entièrement au pinotage (croisement de cinsault et pinot noir), et Southern Right, planté de pinotage et de sauvignon blanc. Une superbe allée d’eucalyptus mène à sa propriété. Du haut de sa terrasse qui domine les vignes et offre une vue magnifique sur les collines boisées alentour, ce soixantenaire élégant est fier d’avoir pu continuer l’œuvre de son père, décédé en 2013, et d’avoir été à l’origine du développement de la vallée.
Son winemaker, Peter Finlayson, fut le deuxième producteur à s’installer dans ce coin perdu en s’associant avec le Bourguignon Paul Bouchard. En 1989, tous deux fondent Bouchard-Finlayson, 25 hectares de pinot noir et chardonnay, propriété rachetée en 2000 par la famille Tollman. Puis ce fut le tour de Dave Johnson, un négociant d’origine écossaise, et de sa femme Felicity Newton, de lancer leur domaine, Newton Johnson. Ils exploitent 20 hectares, dont 8 de pinot noir et 6 de chardonnay, le reste étant consacré à l’albariño, à la syrah, au grenache et au mourvèdre. De leurs vins, 60 % partent à l’export.
En remontant la vallée, une route de terre mène à Creation Wines. Cette propriété est lovée dans un paysage paradisiaque au pied d’une montagne et d’une retenue d’eau dans laquelle se reflètent les vignes. Des odeurs incroyables émanent des plantes qui bordent le chemin. Un escalier mène à la salle de réception. À l’intérieur, des clients admirent ce décor époustouflant tout en buvant un verre de vin et en mangeant un morceau. Nous sommes chez Carolyn et Jean-Claude Martin. Elle, Sud-Africaine, lui, vinificateur suisse de Neufchâtel. Mariés en 1999, ils ont acheté des terres ici en 2002, attirés par la beauté de ce lieu sauvage où Paul Finlayson, l’oncle de Carolyn, était déjà installé.
Carolyn et Jean-Claude Martin ont planté leurs premiers pieds en 2003, 20 hectares, puis 20 ha de plus l’année suivante. En 2012, ils ont racheté la ferme voisine si bien qu’ils exploitent aujourd’hui 65 hectares en tout. « C’est une bonne taille », estiment-ils en nous servant une série de chardonnays puis de pinots noirs.
Élevés dans des fûts français, les chardonnays sont sur la pureté et la fraîcheur, « ce qu’on attend de ce cépage, commente Jean-Claude. Nous bénéficions d’un climat frais et maritime. Pour l’instant, nous ne sommes pas concernés par le changement climatique. Et on vend bien ». À des prix entre 230 et 940 rands la bouteille sur place, soit à partir de 11,50 € et jusqu’à 47 € pour les cuvées haut de gamme appelées The Art of Chardonnay et The Art of Pinot Noir.
Un peu plus loin, de l’autre côté de la route, se trouve Spookfontein. Au beau milieu des 14 ha de vignes et de fynbos – sorte de maquis propre à cette région d’Afrique du Sud – se cachent un restaurant et des bungalows à louer. Les touristes peuvent vivre ici une expérience gastronomique et vinicole dépaysante. C’est cet emplacement magique, au milieu de sources d’eau, qui a convaincu la famille Davis d’y installer sa cave.
La vallée et l’appellation Hemel-en-Aarde n’ont pas fini de susciter les convoitises. Le Bourguignon Martin Prieur et sa femme ont eux aussi craqué pour 6 hectares qui jouxtent le domaine Creation Wines. Leurs amis Carolyn et Jean-Claude Martin les ont incités à investir ici pour créer les Clos de la Paix. Comme les autres pionniers de cette nouvelle région viticole, ils vivent une aventure alléchante et se disent que les pinots noirs et les chardonnays qu’ils produiront ici pallieront leur manque de vin en Bourgogne.
À une quinzaine de kilomètres de Hemel-en-Aarde, Benguela Cove Lagoon Estate est un domaine de 220 hectares situé sur Botrivier Lagoon, un golfe qui donne sur l’océan Atlantique, près d’Hermanus, un village de pêcheurs très touristique. Racheté en 2013 par Penny Streeter, une entrepreneuse britannique dynamique et passionnée, il comprend 60 hectares de vignes, une cave récente, une immense salle de réception et une boutique de souvenirs. On peut aussi dormir dans des bungalows et même acheter un bout de terrain pour y construire sa propre maison au bord du lagon. Penny Streeter a créé un lotissement sécurisé de 110 parcelles au sein de son domaine. Pour y devenir propriétaire de 2 000 m2, il faut débourser autour de 5 millions de rands (246 800 €) et s’engager à respecter la charte BWI de protection de la biodiversité.