n ce lundi matin, 20 mars, le temps a beau être capricieux avec de grosses averses, le terminus du Wine Tram est bondé. Les visiteurs se pressent dans ce bâtiment aux murs de verre, sa cafétéria et sa boutique de souvenirs. Direction le guichet pour acheter notre ticket et commencer l’aventure. Un tableau affiche les sept programmes disponibles, chacun identifié par sa couleur et autorisant la visite de six à huit propriétés bien définies. Nous prenons un billet rouge, à 280 rand (env. 14 €). Départ dans vingt minutes.
Le terminus du Wine Tram se trouve à Franschhoek, ville située à une cinquantaine de kilomètres du Cap, la pointe de l’Afrique du Sud, au fond d’une vallée entourée de somptueuses montagnes culminant à 1 500 m d’altitude. Fondée au XVIIe siècle par les huguenots chassés de France, c’est aujourd’hui un haut lieu touristique de la région du Cap, avec ses restaurants, hôtels, boutiques chics, aux noms français, et ses nombreuses agences immobilières. La ville est construite le long d’une route, la R45, qui dessert 42 propriétés dont beaucoup portent un nom qui fleure bon la France : Chamonix, La Motte, La Bri, La Provence, Dieu Donné, Plaisir, Allée Bleue, etc.
C’est en 2012 que Franschhoek s’est dotée de son Wine Tram. En fait de tram, il s’agit d’une unique voiture à deux étages qui circule sur une voie de chemin de fer centenaire. Le voilà qui arrive. Nous y montons. Les voyageurs se répartissent sur les deux étages. Un jeune homme distribue des verres à pied en plastique et sert un vin blanc de Rickety Bridge Winery. Le tram se met en branle. Un guide présente la région. Nous voilà déjà au premier arrêt : la station Grande Provence.
Nous descendons. Deux wagons rustiques couverts d’une bâche en plastique nous attendent, tirés par un tracteur. Nous traversons les vignes pour atteindre une magnifique bâtisse de style hollandais. Le parc est rempli d’œuvres du sculpteur sud-africain Anton Smit. Visite d’une exposition de photos et de peintures, de la cuverie avec un guide, accord mets et vins, dégustations de « platters », plateaux avec des fromages, des fruits et de la viande séchée, déjeuner au restaurant… On a l’embarras du choix. En revanche, il est interdit d’apporter un pique-nique : il faut acheter ses boissons et sa nourriture sur place.
Nous rencontrons Monique et Niels : « C’est la première fois qu’on vient, racontent ces habitants de Cape Town (Le Cap). Nos filles sont déjà venues et nous ont conseillé le tram. On a opté pour l’accord nougats et vins à 80 rands. Nous venons pour l’expérience et les paysages. »
Après avoir repris le tracteur puis le tram, nous voici à Rickety Bridge, un très joli domaine qui appartient au Britannique Duncan Spence. Un restaurant et une boutique offrent une vue sur le vignoble d’un côté et la cuverie de l’autre, à travers un mur vitré. Un couple d’Américains, en voyage de noces, y fait une halte. « Ce tram est un must », avouent-ils après avoir accepté d’être photographiés.
Troisième arrêt. Cette fois, c’est un bus qui nous amène à Klein Goederust, propriété de 10 ha qui appartient à Paul Siguqa. Ce membre de la tribu des Xhosa est le premier Noir propriétaire d’un vignoble en Afrique du Sud. Il a été élevé par sa mère avec sa sœur dans une ferme. « Ma mère nous a toujours dit : ne soyez pas des workers comme moi. Quittez la ferme et faites des études ! », martèle-t-il.
Paul a suivi ses conseils. Après un diplôme à l’université, il a occupé pendant quinze ans un poste élevé dans un groupe de média, ce qui lui a permis d’économiser et de s’offrir le rêve de sa vie en 2019 : une ferme au cœur de Franschhoek pour 12,7 millions de rands. Il a retapé les bâtiments qui dataient de 1905 pour y recevoir les touristes, ses amis et sa famille. Un lieu de rendez-vous dont il est fier. Il a planté 6,5 ha de mourvèdre et de syrah. Première vendange en 2024. Il doit encore construire sa cave et un hôtel de vingt chambres dans le même esprit de simplicité que la ferme originelle. En attendant, il propose déjà un chenin blanc, un chardonnay, une syrah, un cabernet-sauvignon et un Cape Classic (méthode champenoise) qu’il a appelé Nomaroma en l’honneur de sa mère.
Un peu plus loin, Paserene est une autre étape au menu du ticket rouge. Fondée en 2013 par Martin Smith et un partenaire financier, cette winerie vinifie des vins de trois régions : Franschhoek, Tulbagh et Elgin. Juste avant la pandémie de Covid, ce winemaker a aussi créé, en parallèle, avec sa femme une gamme de chardonnays issus de cinq régions qu’ils ont appelée Atlas Swift.
Plus loin encore, au fond de la vallée, un couple de Sud-Africains amoureux de la France a fondé la winery Le Lude, du nom d’un village de la Sarthe. Ils produisent 160 000 bouteilles de Cape Classic par an dans une cave située sous le restaurant où la cheffe cuisine des soufflés au fromage. Bâtie juste à côté du mémorial des huguenots, cette propriété clôt notre visite. De retour au terminal du Wine Tram, nous recroisons Monique et Niels, le couple de Sud-Africains. « Nos filles avaient raison : Franschhoeck, c’est super, même sous les trombes d’eau ! », clament-il enchantés de leur journée.
Franschhoek a deux facettes. Derrière l’œnotourisme et son Wine Tram à succès s’élabore une production importante de bouteilles. Beaucoup de domaines ont leur base et leur vitrine ici : quelques hectares de vigne autour d’une magnifique bâtisse. Mais l’essentiel de leur production vient des raisins qu’ils achètent un peu partout dans les vignobles du Cap. C’est le cas de Boekenhoutskloof, une propriété historique de 12 ha en production, située dans un coin caché au fond de la vallée. En 1994, six entrepreneurs associés à Mark Kent, un winemaker charismatique, l’ont rachetée. Si le premier millésime, le 1996, fut tiré à 6 000 exemplaires, ils produisent aujourd’hui 7 millions de bouteilles sous dix marques différentes envoyées pour 65 % à l’export, dans une quarantaine de pays. The Chocolate Block et Boekenhootskloof sont leurs marques les plus connues.