nnonçant la sélection par 35 dégustateurs de 72 cuvées pour 2024*, le jeune collectif Bordeaux Pirate souligne que « les cuvées sont issues de grands comme de très petits vignobles, de propriété comme de négoce. Deux crus classés ont même rejoint l’aventure cette année, montrant s’il est besoin de le démontrer, que Bordeaux se réinvente dans l’ensemble des maillons de sa filière. » Témoignant que le train des grands crus classés veut tirer les wagons de Bordeaux, Claire Villars-Lurton a en effet inscrit à labellisation Bordeaux Pirate des vins issus des châteaux Ferrière (24 hectares de grand cru classé en 1855 de Margaux) et Haut Bages Libéral (30 ha de grand cru classé en 1855 de Pauillac).
Il s’agit de deux vins expérimentaux : un vin orange "inspiration" issu du château Ferrière (commercialisé 35 € l’unité en vin de France ) à partir d’un hectare de vignes blanches planté en 2019 avec du chenin blanc et deux cépages résistants (muscaris et souvignier gris) vinifiés avec leurs peaux dans des amphores (pour extraire les tanins) et la cuvée nature "Cérès" du château Haut Bages Libéral (30 000 bouteilles à partir de 8 ha en appellation Haut-Médoc, vendues 35 € l’unité) sous le signe de l’agroforesterie (avec la plantation de 2 ha de vignes avec 200 arbres).


Iconoclaste parmi les classiques deuxièmes et troisièmes vins des grands crus classés du Médoc, la proposition Claire Villars-Lurton tient de la profession de foi : « avoir un grand cru classé permet de valoriser ses vins et de pouvoir tester des choses. C’est un devoir de tester. C’est le rôle de ceux qui peuvent mieux vendre leurs bouteilles » alors qu’il faut des moyens pour tester… et risque de se planter. « Faire du vin nature demande de la précision. On a acheté un générateur d’azote, un matériel qui n’est pas abordable pour tout le monde. Mais comme on vend dix fois plus cher qu’un Bordeaux classique, c’est un devoir. J’ai la conviction que l’on peut sauver la viticulture avec les essais » estime Claire Villars-Lurton.
Étant aussi bien certifiée Biodyvin que Demeter, la figure de la biodynamie à Bordeaux reconnaît s’investir par conviction dans ces essais inattendus dans l’univers feutré des grands crus : « à partir du moment où l’on commence la biodynamie, on repense tout et on se réinvente, il n’y a plus de retour en arrière. On s’approche des gens qui expérimentent, on retrouve des gens alternatifs pour apprendre des autres et partager ce qui a réussi : on apprend, on se forme pour redécouvrir la viticulture sans produits de synthèse. »
Notant la difficulté pour les vignobles d’être entourés de conseils lors de ces transitions profondes, la vigneronne estime qu’« avec l’agroécologie, on devient plus fort… Sauf contre le mildiou. Il n’y a plus besoin d’insecticides, l’autofertilité des sols s’amorce après 15 ans, la biodiversité est plus importante… Mais le mildiou pose problème. » Le millésime 2023 aura démontré qu’une forte pression sanitaire peut remettre en cause la pérennité de parcours viticoles vertueux. Si Claire Villars-Lurton juge ses expérimentations « nourrissantes » pour ses réflexions, elle reconnaît que leur résultat économique n’est « pas bon pour le bas du bilan financier » avec de petits rendements (notamment sur un essai sans intrant ni traitement, sans soufre ni cuivre, où la production a dégringolé). « Très clairement, je gagne beaucoup moins d’argent qu’il y a 15 ans. Et j’en perds parfois. Mais c’est du long-terme » pointe la vigneronne, qui pointe des prémices de reconnaissance auprès des critiques et de la presse.
Justement, « à l’heure du Bordeaux Bashing, il est temps de montrer que nombre d’acteurs passionnés de la filière proposent […] des cuvées personnelles, qualitatives et qui se démarquent de l’image guindée souvent associée aux vins de Bordeaux » porte le collectif Bordeaux Pirate.
* : L’Union des Vignerons Bordeaux Pirate ne réunit que des vins certifiés bio (y compris en conversion) et distribués dans le réseau traditionnel (cavistes, restauration…) avec le label "Bordeaux Pirate" pour les AOC de Gironde et le nom "Cuvée Pirate" pour les vins à Indication Géographique Protégée (IGP) et les Vins sans indications géographique protégé (Vin de France).