Valérie Bonnardot : A la fin des années 2000, mon collègue Hervé Quénol et moi-même étions contactés par des gens qui s’intéressaient au futur. Mais dès les années 2010, nous avons été abordés par des personnes qui commençaient à prospecter, et qui s’intéressaient à la faisabilité climatique du vignoble breton. Mais surtout par des membres de l’Association des Vignerons Amateurs Bretons (ARVB), qui avaient déjà des vignes. Nous avons ensuite été contactés par Edouard Cazals, qui dès 2016 a planté de la vigne à Saint-Jouan-des-Guérets (Saint-Malo, Ille-et-Vilaine). Puis il y a eu l’ouverture des droits de plantation et le projet Laccave, qui propose un scénario de relocalisation… Nous sommes aussi de plus en plus sollicités pour des études locales. Les projections climatiques sont très claires. Mais, puisque tout était à créer, nous n’avions pas de données terrain pour valider les modèles. Donc on a développé un réseau de stations.
Où en est le réseau de stations aujourd’hui ?Nous avons actuellement une vingtaine de stations, dans toute la région administrative, géré par notre laboratoire multisites (Brest et Rennes) UMR LETG. Nous cherchons une diversité des sites et de cépages, pour pouvoir étudier la réponse des différents cépages aux conditions climatiques locales et celles du millésime. On enregistre les données, on observe certaines parcelles nous-mêmes, ou on demande aux vignerons de faire les relevés eux-mêmes. Dans quelques années on aura assez de données, le réseau va se développer au fur et à mesure des projets… Mais sur le site de Saint-Jouan, on a déjà 6 ans de données.
Que retenez-vous des données récoltées ?
Elles confirment toutes les projections scientifiques. Je retiens l’année 2022 comme typique d’un climat futur proche possible. Cette année-là, les données placent les parcelles étudiées du sud Bretagne dans les conditions thermiques d’Angers il y a 50 ans. Ce qui confirme déjà l’évolution sur la période historique. Quand on compare la période 91-2020 par rapport à 51-81, on voit déjà le changement, la progression par le Nord du potentiel viticole. Mais l’été 2022 a aussi très bien montré que si le climat breton se "méditerranéise", tout vient avec : canicules, feux de chaleur, augmentation de l’évapotranspiration… Mais même 2023 confirme les projections : juin ou septembre, c’est 3°C de plus que la moyenne 1991-2020. C’est énorme ! La température a atteint 34°C, quand même, dans le Morbihan, 31,4°C à Erquy, tout au Nord ! On a eu jusqu’à 10 jours consécutifs dépassant 30°C, en pleine période de maturation, et on a observé des blocages de maturation des raisins au mois de septembre.
Données collectées à Rennes/ Source Météo-France ;
Réalisation graphique V. Bonnardot LETG
Quid de la pluviométrie ?
Tous les scénarios projettent une amplification des contrastes pluviométriques saisonniers. Le cumul annuel des pluies ne va pas changer, mais la récession estivale va s’accentuer, et on l’observe déjà. Pourtant cette question de la pluviométrie bretonne revient sans cesse. Je rappelle que l’Ille et Vilaine et le Sud du Morbihan sont déjà moins arrosées que des zones viticoles du Nord Galice ou de l’Uruguay par exemple… Alors même que les projections et les données collectées indiquent une baisse des pluies en été et une augmentation en hiver, ce qui change les impacts pour les cultures en Bretagne mais c’est favorable à la vigne.
Données collectées à Rennes / Source données : Météo-France ;
Réalisation graphique V. Bonnardot LETG
Quelle influence sur le vignoble breton peut avoir la proximité de la mer ?
Tous les vignobles en position littorale seront influencés par la mer, avec ses avantages, comme limiter le gel, sans non plus l’empêcher, la fraîcheur de la brise de mer lors des journées très chaudes en été. Mais aussi des inconvénients, de l’humidité, favorable au développement de maladies. Le vent peut assécher, mais jusqu’à un certain point...
Le climat se réchauffe. Mais en attendant, les vignerons bretons vont-ils batailler pour obtenir des raisins mûrs, malgré tout ?
Non, pas vraiment… Car même une année "fraîche", comme 2021, place la Bretagne dans la catégorie 1 de Huglin (Très Frais) (alors que 2022 est en catégorie 3 (Tempéré), et 2023 en 2 (Frais)). Ça veut dire que même une année fraîche, les cépages à maturité précoce ont pu mûrir correctement avant la fin septembre. Les choix des vignerons (cépages, porte-greffe…) seront la clé. Ils n’ont pas de cahier des charges, ils peuvent adapter leurs productions, c’est-à-dire produire des effervescents ou des vins tranquilles, selon la saison s’ils le veulent. C’est d’ailleurs ce que j’observe…
Cela veut-il dire pour autant que toute la Bretagne peut être couverte de vignes ?
Non. Aujourd’hui, en ne regardant que la climatologie, le Nord-Ouest de la Bretagne reste en marge. Mais d’ici la fin du siècle, et avec le scénario pessimiste (+4°C), toute la Bretagne pourrait être couverte de vignes… du point de vue climatique seulement. Car il faut inclure d’autres facteurs, comme le sol et la topographie. Les recherches sont là moins avancées, mais un projet incluant la pédologie et l’écologie pour étudier la biodiversité dans le sol, est en perspective. Mais déjà, en éliminant les zones urbaines, boisées, etc., ça réduit le potentiel viticole, qui reste des niches réduites !
Du point de vue climatique et scientifique, la possibilité du vignoble breton ne fait donc pas de doute à vos yeux ?
Aucun doute ! Je sais bien que ça fait rire certains… Mais pour nous, scientifiques, c’est un vrai terrain à creuser. Le message qu’on a du mal à faire passer dans les autres vignobles, c’est qu’il ne faut pas voir une transplantation du modèle bordelais ou bourguignon en Bretagne ! Ça sera différent, forcément : ce n’est pas le même sol, ni le même environnement, la même histoire, les mêmes pratiques… Ce sera des petites niches exploitées localement, pas un bassin de production spécialisé. Et il n’y a pas que la vigne : il y a déjà des amandiers sur la presqu’île de Rhuys !