epuis la suspension des publications hebdomadaires et mensuelles des contrats d'achat de vin des vins de Bordeaux, décidée le 24 octobre 2022 par le bureau du Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB), l’absence de communication officielle sur les volumes et prix d’échange des lots de vin en vrac bordelais laisse place aux rumeurs les plus folles dans le vignoble. Ici on parle de transactions à moins de 700, voire 600 euros le tonneau de Bordeaux rouge conventionnel... Là, il est question de lot de Bordeaux rouge bio à 1 300 € le tonneau… Et on ne parle même pas des rumeurs sur des prix indécents de destockeurs pour des vins embouteillés ! Mais au lieu d'écouter le vigneron qui a vu le viticulteur, qui a vu le courtier, qui a vu le négociant, le juge de paix reste le bilan de campagne 2022-2023 publié récemment par le CIVB.
Dévoilant de nouvelles baisses en prix et volumes, ce bilan annuel permet de connaître le cours moyen des vins conventionnels en AOC bordeaux rouge : 934 euros le tonneau, pour 682 000 hl d’AOC Bordeaux rouge échangé (-10 % en prix moyen et volume par rapport à la campagne 2021-2022). Bien loin des quasiment 1 500 €/tonneau affichés en 2017-2018, ce cours reste supérieur à ce que la mévente des vins rouges AOC laissait présager comme dégringolade (la déconsommation structurelle s’accélérant à cause de l’inflation conjoncturelle). Au final, les bordeaux rouges n’ont pas autant cédé que craint, la distillation de crise à 75 €/hl de vin AOC ayant pu soutenir les cours (soit 670 €/tonneau). La situation économique reste cependant peu glorieuse, les coûts de production continuant de flamber (GNR, phytos, engrais...), les coûts de production vont augmenter alors que les cours diminuent (voir encadré).
Baissant de 36 %, à 16 000 hl, les échanges en vrac de Bordeaux rouge labélisé bio marquent le pas et chutent de 36 % en volume. Leur prix moyen chute aussi, de 9 %, à 1 786 €/tonneau en un an. Là aussi, le contexte faisait craindre de plus mauvaises performances. Loin des 2 143 €/tonneau enregistrés en 2018-2019, ces cours auraient pu s’effondrer totalement face à l’inflation (pénalisant les ventes de bio) et à la vague annoncée de conversions sans débouchés fléchés (et destinés au vrac, ce qui a inquiété dans toute la filière bordelaise). Finalement les prix de vente en bio sont restés supérieurs à ceux du conventionnel (quasiment le double). Les cours du bio pourraient même remonter ces prochaines semaines, les volumes de bio 2023 n’étant pas appelés à être pléthoriques à Bordeaux après la pression historique du mildiou cet été 2023. Un repli de l’offre qui devrait perdurer, comme une vague de déconversion est prévisible après la galère du dernier millésime.
Une résolution par l’abandon qui prospère à Bordeaux, où les friches se développent et les projets d’arrachage s’ancrent dans les mentalités : dans le cadre du plan primé, mais aussi d’entreprises souhaitant réduire la voilure sans sacrifier des terres viticoles. Si l’attentisme est de mise sur un marché du vrac sans indicateur en temps réel, l’heure est aux évolutions pour les pans du vignoble bordelais qui se retrouvent dans une impasse.
Alors que les interventions viticoles explosent en 2023 (face au mildiou, les vers de la grappe, etc.), les coûts des intrants ont continué d'augmenter pointe Arthur Gaubet, conseiller pour les entreprises vitivinicoles à la Chambre d'Agriculture de Gironde. Finalisant le référentiel des coûts de production des vins de Bordeaux, ses services rapportent déjà des augmentation de 60 % du prix du GNR, de 16 % des fongicides, de 7 % des engrais (+11 % pour ceux organiques)... Sans oublier les hausses du SMIC pour les salariés y étant rattachés, ainsi que les nouveaux bonds des frais de mise (+20 %, notamment à cause des bouteilles en verre). "On a des postes qui augmentent, et qui sont relativement importants dans les coûts de production" souligne Arthur Gaubet.
A noter que faute d'accord interprofessionnel, il n'y a pas d'obligation pour les acheteurs de vins de Bordeaux de respecter un prix minimum tenant compte des coûts de production (la loi Egalim donnant cette dérogation aux vins et spiritueux).