’affichage obligatoire des avertissements sanitaires "consommer de l'alcool provoque des maladies du foie" et "il y a un lien direct entre l'alcool et les cancers mortels" en Irlande ne passe pas pour les vins et spiritueux européens, qui ne veulent pas être apparentés aux paquets de cigarettes. Sobrement intitulé "notification d’un projet de règlement en vertu de l’article 12 de la loi sur la santé publique (alcool) de 2018", au terme de 6 mois de consultation des états membres le projet de règlement irlandais pour encadrer nationalement l’étiquetage des produits alcoolisés vient d’être validé par la Commission Européenne (qui n'a pas émis de commentaires ou d'opposition). Ce qui permet désormais à l'Irlande d’imposer « en vertu de l’article 12 de la loi [de 2018], les étiquettes sur les produits alcoolisés doivent contenir un avertissement destiné à informer sur les dangers liés à la consommation d’alcool ; un avertissement destiné à informer sur les dangers liés à la consommation d’alcool pour les femmes enceintes ; un avertissement destiné à informer sur la corrélation entre l’alcool et les cancers mortels ; la teneur en grammes d’alcool contenue dans le produit ; le nombre de calories contenues dans le produit alcoolisé ; un lien vers un site web consacré à la santé fournissant des informations sur l’alcool et ses méfaits ».
Des avertissements à reprendre sur les lieux de vente physiques et numériques ajoute le texte irlandais, très virulent sur le risque sanitaire lié à l’alcool (voir encadré). S’il est désormais validé au niveau communautaire, « le projet de règlement [est] proportionné, incluant un délai d’entrée très long (3 ans) qui ne commencera pas avant la finalisation des règlements et les options disponibles pour les entreprises afin de minimiser l’impact sur leurs processus » précisent les pouvoirs publics irlandais, qui sont loin de rassuré les représentants de la filière viticole, particulièrement inquiets. « La législation harmonisée et le marché unique sont deux des plus grandes réalisations de l'UE et des atouts majeurs pour les citoyens de l'UE et pour les entreprises de l'UE, spécialement pour les PME. La Commission européenne n’a pas démontré une volonté quelconque d'agir pour la défense des traités de l'Union Européenne, du marché unique et de sa propre législation. Nous demandons aux États membres de l’UE d’agir collectivement pour inviter le gouvernement irlandais à reconsidérer ses intentions notamment dans l'attente d'une proposition de la Commission européenne pour une législation harmonisée » explique Ignacio Sánchez Recarte, le secrétaire général du Comité des Entreprises Européennes du Vin (CEEV). L’expert ajoute que si la procédure européenne est finalisée, l’Irlande doit notifier son projet à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) avant d’acter sa nouvelle loi.


« Je déplore la décision de la Commission d'autoriser l'Irlande de mettre les étiquettes "l'alcool tue" sur le vin comme pour le tabac. Une décision qui entrave le marché unique et pénalise les viticulteurs » alerte l’eurodéputée Irène Tolleret sur Twitter. Réaction un cran plus irritée en Italie, où le syndicat Coldiretti dénonce dans un communiqué « des avertissements terroristes, qui ne tiennent pas compte des quantités [ni des oppositions de] la France et l'Espagne et six autres États de l'Union Européenne, qui considèrent la mesure comme une barrière au marché intérieur » alors que de nouvelles règles communautaires sur l’étiquetage des boissons alcoolisées vont se déployer en décembre 2023.
Dénonçant « un dangereux précédent », Coldiretti craint que l’autorisation européenne « ouvre la porte à une législation communautaire alarmiste et injustifiée, capable d'influencer négativement les choix des consommateurs ». Cette évolution irlandaise s’inscrivant dans un contexte hygiéniste européen croissant, comme en témoigne le combat parlementaire ayant entouré début 2022 le plan européen contre le cancer (rapport BECA).
Ces inquiétudes se retrouvent parmi les contributions de la filière à l’étude de la demande irlandaise (ouverte de juin à décembre 2022). Avec ce texte, il existe un « risque de compromettre l'harmonisation cohérente de la législation de l'Union Européenne. Les États membres ne devraient pas adopter de législation sur des questions déjà harmonisées par la législation communautaire » pointait la Conferencia Española de Consejos Reguladores Vitivinícolas (CECRV). L’organisation espagnole appelait également à la cohérence entre actions et déclarations politiques, alors la résolution du Parlement européen le 16 février 2022 sur le rapport BECA : « le Parlement européen soutient la fourniture d'une meilleure information aux consommateurs en améliorant l'étiquetage des boissons alcoolisées afin d'inclure des informations sur la consommation modérée et responsable et en introduisant l'indication obligatoire de la liste des ingrédients et des informations nutritionnelles, et en plus , en introduisant l'étiquetage numérique ». Soit un appel à la consommation modérée et pas l’affichage d’un risque dès la première goutte de vin consommé. Des arguments unanimement partagés par la Fédération européenne des vins d'origine (EFOW), la Confédération Européenne des Vignerons Indépendants (CEVI), le Comité des Organisations Professionnelles Agricoles de l'Union européenne et Comité Général de la Coopération Agricole de l'Union européenne (Copa-Cogeca)… Mais aussi par d’autres filières que le vin, comme les spiritueux et les brasseurs.
« Ce projet de règlement prévoit des règles d’étiquetage disproportionnées et donc susceptibles d’avoir un effet équivalent à des restrictions quantitatives au sens de l’article 34 du Traité sur le Fonctionnement de l’UE (TFUE), de nature à fragmenter le marché intérieur et à impacter son fonctionnement, incohérentes avec certaines règles d’étiquetage européennes existantes » indiquait ainsi l’association des Brasseurs de France, notant que « l’instauration de règles nationales aurait pour effets de perturber la compréhension du message par les consommateurs et de réduire l’impact du message sanitaire lui-même ».
Photo : Particulièrement inquiet, le syndicat italien Coldiretti dénonce une vision hygiéniste menant à « des avertissements terroristes, qui ne tiennent pas compte des quantités » de vin consommé.
Dans ses documents explicatifs, le gouvernement irlandais estime que « le volume et les modes de consommation d’alcool en Irlande représentent un énorme fardeau sur le plan de la santé publique. Les données montrent que la population irlandaise n’a pas conscience des risques liés à l’alcool sur la santé et que le projet de règlement présenté ici vise à garantir que les consommateurs irlandais soient directement informés de ces risques et qu’ils soient soutenus dans des choix plus sains concernant leur consommation d’alcool. » Ce qui justifie des mesures d’étiquetage plus forte, mais aussi un prix minimum pour les boissons alcoolisées, effectif depuis le 4 janvier 2022.
Les autorités sanitaires irlandaises précisent que « 50 % des consommateurs irlandais ont une consommation dangereuse, et un consommateur sur cinq présente un trouble lié à l'usage d'alcool », que « 15 % des enfants âgés de 13 ans ont déjà bu leur première boisson alcoolisée, et un sur vingt a déjà été vraiment ivre. À l’âge de 17 ans, la grande majorité ont bu leur première boisson et plus de 60 % ont été vraiment ivres. »