el le sparadrap dont le capitaine Haddock n’arrive pas à se débarrasser, le classement des grands crus de Saint-Émilion a du mal à décoller l’idée que la notoriété est un critère de notation l’emportant sur la qualité des vins dégustés. En témoigne la communication d’un château classé en 2022 : « le château Rochebelle reconduit en "Grand Cru Classé" malgré une note de dégustation de "Premier Grand Cru Classé" » indique un communiqué, ajoutant « depuis l’année 1995, l’ensemble des millésimes dégustés lors des classements 2012 et 2022 bénéficie de notes de dégustation (constance des vins/aptitude au vieillissement) d’un niveau de Premier ». Copropriétaire du château, Philippe Faniest ajoute que « bien que le cru ait validé aisément les fondamentaux pour prétendre au statut de "Premier Grand Cru Classé" (dégustation, caractérisation de la propriété, conduite du vignoble), la question des critères d'appréciation de la partie "notoriété" reste posée. Il semblerait entre autres que le prix trop raisonnable des vins ait été un point fort pénalisant ».
Ne souhaitant « pas commenter à ce stade les résultats individuels des candidats d’autant plus lorsque la procédure d’homologation est en cours* », l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO) rappelle à Vitisphere que « le château Rochebelle classé pour la première fois en 2012 a été pour la seconde fois reconnu parmi les "grands crus classés" » en 2022 et qu’« il convient néanmoins de rappeler que dans son édition 2022, le classement renforce notablement la part de la note de dégustation pour les candidats au titre de "premier grand cru classé" en la portant de 30 à 50 % de la note finale ». Si le Conseil des Vins de Saint-Émilion n’a pas de commentaire à faire sur cette communication individuelle, l’organisation collective a diffusé un dossier de presse précisant les critères de notation du nouveau classement (communiqué le 8 septembre dernier). Ce document indique que pour le dernier classement décennal de Saint-Émilion, les "Grands Crus Classés" doivent atteindre une note minimale est fixée à 14/20, avec une note comptant à 50 % sur la dégustation, 20 % sur la notoriété (promotion, distribution, valorisation), 20 % sur les terroirs (assiette foncière, homogénéité, qualité des terroirs) et 10 % sur la conduite de l’exploitation (viticulture et œnologie). Devant avoir validé au préalable le niveau d’un "Grand Cru Classé", les "Premiers Grands Crus Classés" doivent être noté au moins 16/20 à 50 % sur la dégustation, 35 % la notoriété, 10 % les terroirs et 5 % la conduite de l’exploitation.
Contactée, la propriété précise avoir eu plus de 16/20 sur les critères de dégustation, caractérisation de la propriété et conduite du vignoble, mais pas sur le volet de la notoriété. « La pondération liée au prix est pénalisante » indique à Vitisphere Émilie Faniest, copropriétaire, soulignant vouloir voir les choses de manière positive : « nous pouvons dire qu’il existe des vins validant le profil d’un premier grand cru classé sans en avoir le prix » (Rochebelle affichant un prix de vente moyen de 45 €/col). Regrettant que la constance qualitative de son cru de 3 hectares ne soit pas valorisée, Philippe Faniest note qu’il n’envisage pas de hausse des prix pour préparer le prochain classement décennal (« il faut être raisonnable »).
« Par notoriété, il faut entendre la valorisation nationale ou internationale du vin de l’exploitation, la mise en valeur du site (actions de promotion, actions liées à l’œnotourisme…) et les modes de distribution » précise dans le dossier de presse Jean-François Galhaud, le président du Conseil des Vins de Saint-Émilion, ajoutant qu’« il est important de souligner que cette notion de notoriété précède le classement et non l’inverse : ce n’est pas le classement qui crée la notoriété, il la consacre et reconnaît ainsi tous les efforts faits en amont par la propriété pour faire connaître ses vins auprès des amateurs du monde entier. Cette dimension était déjà présente dès 1955, lors du premier classement, témoignant déjà de son caractère visionnaire. »


« Tout en restant solide sur leurs bases, notamment dans la place essentielle de la dégustation ou l’encadrement très strict de l’assiette foncière, les règles du classement ont su évoluer avec leur temps » indique également Franck Binard, le directeur général du Conseil des Vins de Saint-Émilion. « D’une manière générale, le classement des crus de l’AOC "Saint-Emilion grand cru" confirme l’émulation du collectif des propriétés du territoire de l’AOC » ajoute l’INAO. Justement pour Émilie Faniest, « le classement est une belle vitrine pour les consommateurs et un vecteur d’émulation ».
* : « Le classement a été approuvé par le Comité national de l’INAO dans sa séance du 8 septembre 2022 et il a été ensuite transmis aux ministères en charge de l’économie et de l’agriculture pour homologation par arrêté » précise l’INAO.