On est au pied du mur. On nous empêche d’augmenter nos prix et nos volumes de vente baissent » résume le vigneron Jean-François Réaud, le fondateur du négoce collectif Gabriel & Co (34 vignerons pour 1 000 hectares à Bordeaux, notamment en appellation Blaye Côtes de Bordeaux). Proposant la première gamme de vins français sous label équitable, le négociant réalise la moitié de ses ventes en Grande Distribution (GD), où il enregistre une baisse conséquentes de ses ventes sur le fond de rayon (de l’ordre de -30 % pour les références permanentes). « On n’arrive pas à compenser par des ventes ponctuelles de vins sans suivi ou par de l’export » note Jean-François Réaud, indiquant que les la PME du vignoble ont peu de poids face aux grands groupes que sont ses fournisseurs et ses clients.
Enregistrant des hausses de 20 à 25 % du prix d’achat de ses bouteilles de verre depuis février 2022, Jean-François Réaud, croit moins dans l’impact de l’invasion russe de l’Ukraine sur les coûts de production des fours que dans la concentration de ces groupes verriers. « Il y a beaucoup d’opportunisme là-dedans. Les étiquettes, les cartons et les bouchons ont aussi un impact de la surcharge énergétique, mais bien moindre alors qu’il y a beaucoup d’opérateurs en concurrence » glisse le vigneron bordelais, qui attend les nouvelles hausses des prix du verre pour la fin d’année. à date, le négociant estime que la hausse moyenne du coût de production de ses bouteilles de vin est de +15 %. Il demande à ses acheteurs de répercuter une hausse de 7 %. Ce qui ne passe pas en GD.
Jean-François Réaud garde en tête le mauvais souvenir de la période des négociations de ce début d’année : la majorité de ses demandes de hausses a été refusée. Chez un distributeur, il obtient +2 % au lieu des +10 % demandés. Chez un autre, la hausse est temporaire pour prendre la surcharge énergétique. Ailleurs, la hausse est acceptable, mais avec la possibilité de promotions plus fortes. « Une configuration détestable » résume le vigneron de Blaye.
S’il distingue les enseignes*, le négociant regrette de ne pas être soutenu par les Grandes et Moyennes Surfaces : « la problématique n’est pas tant que le consommateur n’est pas prêt à mettre prix acheter un vin de Bordeaux au juste prix, mais que le distributeur n’y croit pas. La Grande Distribution perd des parts de marché chaque année, pas seulement à cause du pouvoir d’achat : une part vient du manque de dynamisme. » Et d’ajouter que la mise en avant de l’identité et de l’image des vignerons permettrait de regagner en attractivité. Ce coup de frein sur les volumes et les valeurs nourrit des projets de développement à l’export. Sur marchés sensibles aux valeurs éthiques de juste rémunération sur pays ciblés : Japon, Scandinavie, monopoles du Canada…Des réorientations qui demandent du temps et de l’investissement pour assurer la premiumisation. En attendant, « on navigue à vue » témoigne Jean-François Réaud.
* : Entre celles intégrées, plus prudentes, et celles indépendantes prenant des risques pour suivre la demande, comme Intermarché, Leclerc et Système U. Sans compter des enseignes plus atypiques, comme Monoprix.