Jusqu’à vendredi dernier, il y avait sans doute un manque de vin en Australie du fait d’une faible récolte en 2020 », affirme Jim Caddy, président de l’association des régions viticoles intérieures australiennes. « Selon nos informations, il ne restait plus de stocks de 2019 et les ventes du millésime 2020 étaient bien supérieures à celles de 2019 à pareille époque. La situation paraissait plutôt prometteuse ». Dans le détail, elle était plus porteuse pour les vins blancs que pour les rouges, faisant peser encore plus la décision par les autorités chinoises d’imposer des droits de douane anti-dumping allant de 107 à 212% aux vins australiens importés en bouteilles. Car le marché chinois est quasi exclusivement demandeur de vins rouges australiens. La filière se prépare ainsi à une baisse des prix des raisins rouges lors de la prochaine récolte, qui s’annonce d’ores et déjà largement supérieure à celle, faible, de 2020 (1,52 Mt). « Nous ne nous attendons pas à une récolte gigantesque dans les régions intérieures, mais elle risque d’être supérieure à la moyenne. Sur le plan national, nous estimons qu’elle pourrait atteindre 1,75 million de tonnes ». La chute des volumes de vins rouges expédiés en Chine va donc accentuer le déséquilibre de l’offre : « Nous pourrions voir des situations où les acheteurs vont devoir prendre des vins rouges pour avoir des blancs, notamment du chardonnay », prévient Jim Caddy, qui prédit une baisse de l’ordre de 10% du prix des raisins rouges contre une hausse de 10 à 15% pour les blancs, surtout le chardonnay.
Il n’y a aucun doute que les professionnels australiens se sont fait surprendre par la rapidité de la décision chinoise et du montant des droits, qui ferait tripler les prix en Chine. Par ailleurs, la mesure intervient au beau milieu des achats destinés au Nouvel An chinois, une coïncidence qui n’en est pas une, estiment les exportateurs australiens. Elle fait suite, enfin, à une reprise des ventes sur le marché chinois. En témoignent les chiffres divulgués ce 30 novembre par le géant Treasury Wine Estates, qui montrent une hausse de 35% des ventes au cours des quatre mois jusqu’en octobre 2020. Là où le bât blesse pour l’Australie, c’est que les Chinois sont demandeurs de vins premium, le prix moyen au litre pour ses vins conditionnés atteignant 6 AUD, soit près de 4 euros. Ainsi, ce marché représente 25% des allocations des marques icônes de TWE dont Penfolds. Dès l’imposition des droits chinois, TWE a annoncé redéployer ces allocations vers d’autres marchés, « où la demande reste insatisfaite », soit les marchés asiatiques hors Chine, l’Australie, les Etats-Unis et l’Europe. Dans le cadre de son plan d’action présenté fin novembre, TWE prévoit également une accélération de ses investissements destinés à diversifier ses marchés, tout en reconnaissant qu’il faudra compter sans doute deux ou trois ans pour que les mesures portent pleinement leurs fruits.
D’ici là, les raisins servant à l’élaboration de ses marques de haut de gamme seront redistribués vers d’autres marques comme Wynns, Wolf Blass, Seppelt et Pepperjack, et ses achats de la vendange 2021 en Australie diminueront. Dans le même temps, TWE va accélérer le développement de son portefeuille de marques multi-origines. L’accent sera mis sur le sourcing en Chine – pour des raisons évidentes – mais aussi à partir de sa structure en France, où TWE achète des vins rouges dans le Bordelais, en Bourgogne et à Châteauneuf du Pape ainsi que des rosés de Provence et du Champagne, notamment. La nécessité d’agir vite s’impose car la Chine a représenté en 2020, 30% des résultats du groupe et que les droits anti-dumping pourraient s’appliquer, selon la loi chinoise, jusqu’au mois d’août prochain. Si la Chine décide de prolonger la période initiale de quatre mois jusque-là, beaucoup de petits producteurs australiens ne pourront pas tenir et selon Jim Caddy, « un certain nombre d’entre eux, obligés d’aller chercher de la rentabilité en Chine faute de viabilité en Europe ou aux Etats-Unis, quitteront le secteur ».