’est la question pratique que se pose tout un chacun lors du séminaire dédié à l’agroforesterie, ce 19 février dans la banlieue bordelaise. « Comment maximiser les bénéfices et minimiser la compétition entre les vignes et les arbres ? » résume l’ingénieure de recherche Juliette Grimaldi (Réseau Mixte Technologique Agroforesterie) devant une salle comble de l’Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement de Villenave d’Ornon (INRAE Bordeaux). Mais si la demande en expériences d’agroforesterie est forte, le manque de connaissances scientifiques l’est encore plus.
Se basant sur une poignée de sites d’expérimentations (notamment le domaine expérimental de Restinclières dans l’Hérault et le projet Vitiforest dans le Sud-Ouest la recherche française n’est pas en mesure de généraliser les résultats obtenus depuis une vingtaine d’années. Dressant un état des publications actuelles* de l’agroforesterie dans le vignoble, Juliette Grimaldi reconnaît mettre en relief un « creux de connaissances ». En matière d’impact viticole de la présence d’arbres, les résultats significatifs et les connaissances définitives manquent en termes d’effets sur la circulation de l’air, les rendements, la pression sanitaire, la biodiversité, la performance économique…
Concernant par exemple l’effet thermique de la présence d’arbres dans une parcelle de vignes, les résultats sont plus des pistes locales que des tendances générales. Ayant planté 500 arbres depuis 2008 sur 8 hectares de vignes, le vigneron bordelais Benoit Vinet (domaine Emile Grelier, 18 ha de vignoble) note que l’agroforesterie permet de réduire significativement les températures estivales. Permettant de réduire les risques d’échaudage, « l’ouverture du paysage semble bénéfique pour faire circuler air » avance Juliette Grimaldi. Qui souligne que les connaissances sont encore trop rares pour en tirer des conclusions.
Ainsi, les résultats prometteurs des parcelles agroforestières du domaine de Restinclières (moins gelées que celles sans arbres) sont « à manier avec beaucoup de précaution, il s’agit d’une parcelle dans un contexte méditerranéen. A l’inverse, un arbre peut augmenter l’effet rafraichissant dans un bas fond » prévient Clélia Saubion, la chargée de mission Forêt-Agroforesterie de la Chambre d'Agriculture de l'Hérault. La technicienne souligne qu’« il n’y a pas de méthode type, chaque projet demande un aménagement particulier ».
Autre échelle de temps
Faute de cadre scientifique éprouvé, la mise en œuvre de l’agroforesterie dans une exploitation reste actuellement empirique. « Au démarrage on a ceinturé les lots de haies, puis on a arraché un pied de vigne pour introduire un arbre de ci de là » se souvient Benoit Vinet, qui souligne la patience nécessaire pour saisir les implications de ces évolutions : « ce qui est sûr, c’est que l’arbre représente une autre échelle de temps ».
Si l’intérêt pour l’agroforesterie croit dans le vignoble français, « les plantations se font plus dans les haies en bordure que dans les parcelles, car cela demande de nouvelles pratiques viticoles et d’apprendre l’entretien de l’arbre » souligne Clélia Saubion. Ayant arrêté tout travail enjambant ses rangs, Benoit Vinet effectue désormais son prétaillage au taille-haies électrique, remplace le rognage par du tressage, réalise des vendanges manuelles… « Ce n’est pas insurmontable et l’arbre apporte une ambiance différente » précise le vigneron, glissant que la valorisation commerciale de ses pratiques agroécologiques est une réalité.
* : Des pratiques d’association d’arbres et de vignes existent depuis l’Antiquité, avec des conduites en hautain (arbre support à la vigne) ou en oullières/joualles (alternance de rangs de vignes et d’arbres) rappelle Juliette Grimaldi.