Aujourd’hui on peut vieillir un Cognac en fûts de Sauternes, mais pas dans ceux issus de Bourbon. Pour ma part, la différence entre les deux est très ténue… » pose Pierre Joncourt, le directeur des opérations de Martell (groupe Pernod Ricard). Le deuxième négociant charentais ne désarmant pas, sa gamme Blue Swift reste un sujet brûlant en Charente, même deux ans après son lancement aux États-Unis. Car si le cahier des charges de l’appellation Cognac accepte un élevage final en tonneaux ayant contenu du vin ou de l’eau-de-vie de vin, le produit innovant de Martell s’est vu fermer les portes de l’AOC à cause de son finishing en fûts de bourbon.
Malgré cette fin de non-recevoir, « nous avons le souhait de rejoindre la catégorie Cognac » affirme Pierre Joncourt, sans donner de calendrier. Pour appuyer une révision du cahier des charges de l’AOC, la deuxième maison charentaise compte mettre à profit le nouveau groupe de travail innovation du Bureau National Interprofessionnel du Cognac (BNIC). Un organe justement créé après l’affaire Blue Swift, alors que le finishing se développe actuellement (comme l’élevage en fûts de Xérès de Courvoisier).


Pour défendre une ouverture du cahier des charges à d’autres finishings que ceux viniques, Pierre Joncourt souligne que « le Blue Swift est constitué à 100 % de Cognac Martell VSOP vieilli en fûts de chêne français pendant 4 ans. Le finishing est une interaction noble avec le bois, reconnue comme légitime par le cahier des charges. Il ne faut pas confondre finishing et aromatisation ! » Ayant la volonté d’exposer ses arguments pour trouver un compromis collectif, Martell se heurte à une certaine prudence.
En témoigne Christophe Véral, chef de la famille viticole au BNIC en tant que président de l'Union Générale des Viticulteurs de l'AOC Cognac (UGVC). « Aujourd’hui, aucune position n’a été prise par les familles du négoce ou de la viticulture. Car la question est fondamentale : le cognac a-t-il besoin d’innovation ? Ou peut-il se suffire à lui-même ? » explique le vigneron. Qui ajoute ne pas avoir de réponse, mais demande avant toute chose la preuve qu’une innovation comme Blue Swift ne va pas déstabiliser l’ADN du Cognac auprès des consommateurs.
Intéressé par la mise en place d’une étude de consommateurs, Pierre Joncourt dit entendre ce message prudence : « faire attention à l’image de la catégorie Cognac est un bon message. Martell est aussi un défenseur de la catégorie, mais avec un point de vue différent. Nous ne détériorons pas l’image de la catégorie à court, moyen et long termes. » Au contraire estime le négociant, ce type d’innovation permet de recruter de nouveaux consommateurs et peut ouvrir d’intéressantes perspectives de développement pour les PME. Encore faut-il en convaincre les autres opérateurs charentais.
Lancé en 2016 quelques états américains, Blue Swift est en cours de déploiement aux États-Unis. La gamme est désormais distribuée au Royaume-Uni, au Nigeria et à Taïwan. Si Martell ne donne aucun chiffre, la maison revendique dans un récent communiqué financier « une très forte croissance générée grâce aux lancements de Martell Blue Swift » aux États-Unis. « Nous sommes contents des résultats, qui sont au-dessus des plans de vente » confirme Pierre Joncourt.