e rognage n’a plus la cote chez certains viticulteurs. « Pour nous, cette pratique déséquilibre la plante en retirant une partie des hormones qui se trouvent dans les apex. Cela favorise le développement des entre-cœurs et retarde la maturité », observe Florian Beck-Hartweg, viticulteur bio à Dambach-la-Ville, en Alsace, qui travaille sur sept hectares de vigne. En plus, la technique étant mécanisée, « cela consomme du fuel et favorise le tassement des sols », ajoute-t-il.
Il y a une dizaine d’années, il a arrêté de rogner une partie de ses vignes. Il laisse les rameaux se développer librement. Mais, pour éviter qu’ils se cassent ou fassent chuter le rang en cas de fort vent, il les tresse. « On recourbe le haut des branches au-dessus du fil et on les réinsère dans le plan de palissage. » L’idée est de laisser monter la végétation le plus haut possible, pour avoir une ombre portée sur le rang d’en face.
« Cela protège les raisins de l’échaudage et de la perte d’acidité », précise-t-il. Il y a aussi moins d’entassement du feuillage dans la zone des grappes, et donc un moindre risque de botrytis à la vendange. Satisfait du résultat, il applique la technique depuis trois ans sur tout son domaine.
Il faut attendre que les branches soient suffisamment longues pour entreprendre le tressage. Florian Beck-Hartweg ne commence donc les chantiers que la deuxième quinzaine de juin, après le relevage. Trois personnes sont affectées à cette tâche qui va durer un mois. « Cela nécessite un temps de travail plus important que le rognage mécanique. Mais il est difficile d’évaluer précisément son surcoût car nous réalisons d’autres tâches en même temps comme l’effeuillage. »
Toutefois, cette pratique nécessite au préalable une bonne maîtrise de la vigueur pour avoir un volume de végétation plus faible à gérer. « Nos vignes sont enherbées tous les rangs. L’herbe n’est pas fauchée mais roulée avec un rolofaca. Nous n’apportons aucune fertilisation », précise le viticulteur.
Le tressage a également séduit Christophe Landry, du Château des Graviers, à Arsac, en Gironde. Certifié bio depuis 2012, il applique la technique sur quatre de ses 14 ha. « Je le fais dans les parcelles que j’ai plantées entre 2009 et 2012 qui sont en pleine vigueur. J’enroule les rameaux 30 à 40 cm au-dessus du dernier fil. Il se forme comme des sortes de ponts tout au long du rang, les rameaux finissant par se courber sous leurs poids. »
Christophe Landry attaque le chantier fin juin pour le terminer mi-juillet. Pour le petit verdot, il attend que les rameaux se lignifient car ils sont très cassants.
« En juin, les vignes sont un peu broussailleuses. Mais une fois l’opération effectuée, le feuillage est plus aéré au niveau des grappes. On n’a plus besoin d’effeuiller et les produits cupriques pénètrent mieux », assure le vigneron. Comme le feuillage est moins dense au niveau de l’arcure, pour éviter la dérive de produits phytosanitaires, il s’est équipé de panneaux récupérateurs.
Selon lui, l’effet sur les vins est palpable. « La maturité phénolique est supérieure. Quand on goûte les raisins, on ressent le croquant des fruits frais. On a moins le côté fruits cuits comme le pruneau », assure-t-il.
Toutefois, pour obtenir un tel résultat, il faut s’armer de patience. « Les premières années, je ne savais pas trop où j’allais. Le feuillage était très enchevêtré. Dans une parcelle, j’ai craqué : en fin de saison, j’ai fini par écimer. Mais au fil des ans, la vigne s’adapte et la vigueur s’équilibre », précise le viticulteur.
Au Château de Passavant, à Passavant-sur-Layon (Maine-et-Loire), 10 ha sur 55 au total sont conduits de la sorte depuis quatre ans. Ce sont des parcelles de chenin destinées à élaborer les cuvées haut de gamme d’anjou blanc. Là, les raisins sont vendangés à la main, pressés délicatement puis vinifiés avec des levures indigènes.
Au lieu d’être écimés, les rameaux sont croisés au niveau du dernier fil qui se situe à 1,30 m du sol. « Cela forme des vagues, explique Olivier Lecomte, l’un des associés du domaine. Cette méthode est sans agressivité. Elle laisse la liberté aux sarments de s’allonger autant que le permet le terroir. Grâce à elle, il y a peu ou pas d’entre-cœurs. Les grappes sont plus aérées. Il n’y a pas besoin d’effeuiller. »
Le viticulteur attend que les rameaux dépassent le dernier fil d’au moins 80 cm pour commencer le chantier. « À cinq ou six personnes, nous mettons une bonne semaine pour le réaliser sachant que nos vignes sont plantées à 5 000 pieds/ha », explique-t-il.
Un seul passage est nécessaire pour tresser la végétation. « Mais s’il a beaucoup plu en été et que les rameaux ont bien repoussé, nous passons quand même un coup de rogneuse début septembre pour que les vendangeurs n’aient pas les sarments dans les yeux », précise Olivier Lecomte. Le vigneron qui travaille en biodynamie reconnaît que la technique est chronophage. « Elle doit être réservée aux cuvées les mieux valorisées. » Mais le jeu en vaut la chandelle. Son anjou blanc Jarret de Montchenin 2014, vendu 17 € (départ propriété), vient d’obtenir la note la plus élevée pour les blancs AOC de Loire dans la revue Decanter de février 2017. Une belle récompense.
Cet article a été préalablement publié dans l'édition de juillet de La Vigne.