arement une assemblée générale du Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB) n’aura été aussi riche en tension et propositions. Réunissant ses membres ce lundi 15 décembre à 14h30 à la maison Gobineau, le rendez-vous de fin d’année du CIVB a adapté son cours à la venue annoncée d’une délégation de la Coordination Rurale de Gironde (CR33) depuis le blocage routier de Cestas (dans le cadre des manifestations liées à Dermatose Nodulaire Contagieuse, DNC). Débarquant à 15h30 dans la salle, la dizaine de bonnets jaunes était accueillie par un regret : celui du viticulteur Bernard Farges, réélu président du CIVB cet été : « il est déjà arrivé dans l’histoire qu’il y ait des interventions de délégations arrivant au cours de l'assemblée générale. C'est la première fois que pendant l'assemblée générale il y a une benne qui a été déversée devant le CIVB. Je le regrette, comme je regrette la benne qui a été déversée il y a quelques jours et comme ce qui s'était passé fin juillet. Je dirais que ça fait partie du moment. »
Porte-parole de la CR33, le viticulteur Jean-Paul Ayres assume les actions menées et en promet d’autres si besoin pour être impliqué dans les instances décisionnaires : « on attend des réponses fermes, on n’hésitera pas à faire grosse manifestation devant CIVB. Et là, ça ne sera pas une remorque. » S’alarmant des arrachages mettant en jachère l’Entre-deux-Mers, des suicides endeuillant la filière et « des caves au bord de la faillite », Jean-Paul Ayres veut secouer les institutions jusqu’à en faire tomber leurs élus : « ce qu'on déplore au sein du CIVB, c'est que l'on va droit dans le mur. La politique du CIVB ne change pas » entre président issu du négoce ou de la production, ce serait bonnet blanc et blanc bonnet pour la CR33 : « nous, nous demandons la démission du président Bernard Farges parce qu'aujourd'hui on va tout droit dans le mur, dans les liquidations judiciaires, et c'est toujours la même routine, tous les ans, avec de l’arrachage, de la distillation, des friches… »
Appel à la démission
« Tu es un viticulteur Bernard [Farges], mais quand tu es au milieu des instances tu montres une autre facette » lance Jean-Paul Ayres depuis le fond de la salle du CIVB ce 15 décembre, pour qui « il faut carrément changer de cap ou de capitaine ». La CR33 annonçant au passage vouloir « présenter un nombre maximum de candidats » aux élections cantonales des délégués du syndicat AOC Bordeaux pour en prendre le contrôle (alors que son changement inattendu de présidence a récemment animé des débats politiques inhabituels).
« J'entends vos messages, je comprends votre détresse, et sachez qu'elle est quasi identique dans notre famille négoce » répond Philippe Tapie, le président de la Fédération des Négociants de Bordeaux et de Libourne, pointant que « si la viticulture ne va pas bien, le négoce ne va pas bien ». Ce qui enflamme Jean-Paul Ayres, annonçant que des négoces sont actuellement placés sous la surveillance de la CR33 « nuit et jour » pour suivre le va et vient de camions espagnols : « ce n’est pas normal, il y a des endroits où l’on fait des mélanges ».
« Je disais que votre message est parfaitement entendu, recevable et je comprends votre détresse » reprend Philippe Tapie, qui répète que « le négoce a autant de difficultés et fait face aussi à une situation très compliquée ». Stratégiquement, « je suis persuadé qu'à travers l'interprofession et la parité des deux familles, la viticulture et le négoce, si nous discutons ensemble, c'est comme ça que nous trouvons des solutions » souligne le négociant, lançant : « est-ce que vous pensez que la démission du président va changer le problème ? Bien sûr que non. Bernard Farges a été élu sur une nouvelle mandature avec un nouveau projet [et] nous allons tenter autre chose, avec une nouvelle gouvernance et de nouvelles orientations marketing ». Rejetant l’idée d’un « nouveau tour de piste », Philippe Tapie défend l’idée de « changer de paradigme radicalement. Maintenant, est ce qu'on va gagner ? Je ne suis pas en train de vous dire que je suis un magicien, mais je suis en train de vous dire qu'on va faire autre chose. Vous ne pouvez pas dire que les choses sont les mêmes. »
Dans son discours, réservé pour l’arrivée de la CR33, Bernard Farges liste les projets lancés pour la nouvelle mandature du CIVB : « bâtir les outils de collecte de nos prix sortie filière » (soit le suivi des prix de vente en bouteille, en complément des cours du vin en vrac, devant être validé durant l’AG d’avril 2026), mettre en place une coprésidence viticulture-négoce du CIVB* (une proposition votée par l’AG et devant être transcrite dans un décret), refondre la stratégie marketing de l’interprofession (avec un focus immédiat sur les 25-40 ans consommateurs de vin via les réseaux sélectifs), fournir aux vins de Bordeaux des outils réglementaires assurant un prix rémunérateur (élargissement d’Egalim, Organisation de Producteurs, nouveau dispositif européen 172 ter…), doper les aides à la promotion dans le Plan Stratégique National (PSN, en réduisant les fonds à l’investissement « pour construire des chais ou créer de nouvelles chaines d'embouteillage, par exemple »), doter le vignoble d’un « Établissement Public Foncier à vocation agricole sur le territoire girondin » (une proposition de la Confédération Paysanne ayant fait florès)… Sur ce dernier point, « le travail est en cours entre les différentes structures de la profession, les banques et l'État pour faire aboutir cette idée visant à consolider les exploitations viticoles du département, réorganiser la filière agricole, permettre l'arrivée de nouveaux investisseurs et agriculteurs, au moment où le quart du vignoble du département disparait » pointe Bernard Farges. Représentant 18 % du vignoble bordelais, 19 000 hectares de vignes ont été arrachés ces dernières années (dont 12 500 avec des primes) et 7 à 8 000 ha seraient encore à arracher (d’après le dernier sondage FranceAgriMer).
Arrachage et distillation en attente
« Nous avons besoin d’avoir le dispositif arrachage [annoncé à 130 millions €] le plus rapidement possible cet hiver 2026 pour éviter d’avoir des surfaces à l’abandon » sur la nouvelle campagne alerte Bernard Farges lors d’un point presse, rapportant que la filière vin est en attente sur le sujet (le dispositif d’arrachage est sur le point d'être réautorisé par l’Europe, mais il faut encore un budget français pour le financer en 2026). Même attente pour la distillation de crise, alors que « se dessine une enveloppe autour de 30 millions € à l’échelle nationale, ce qui est très faible », du moins si la Commission européenne l’autorise.
En regard, le projet d’Établissement Public Foncier permet de mobiliser localement les bonnes volontés pour acheter des terres ne trouvant pas de repreneurs afin d’assurer restructuration et remembrement avec un portage financier. Réunissant notamment des banques, l’Établissement Public Foncier de Nouvelle-Aquitaine (EPFNA) et la Société d'Aménagement Foncier et d'Établissement Rural (SAFER), le projet avance vite comme le rapporte Mathieu Escafre, le directeur de la Direction Départementale des Territoires et de la Mer de la Gironde (DDTM). « L’objectif est une restitution plénière le 26 janvier. On avance à marche forcée, avec une mobilisation de l’ensemble des acteurs qui laisse espérer une mise en place rapide de cet outil qui ne résoudra pas tout, mais sera un outil supplémentaire » indique le représentant le préfet de la région Nouvelle Aquitaine et de la Gironde. Rarement une assemblée générale du CIVB n’aura été aussi riche en tension et propositions.
* : Prenant la forme d’une coprésidence paritaire dépendant de la validation des deux familles, viticulture et négoce, cette évolution de la représentation du CIVB est « un message très fort en termes d'image et de volonté » explique en conférence de presse Philippe Tapie, pour qui « on change de paradigme, on change de modèle, on change d'organisation et on y va main dans la main tous ensemble. La viticulture et le négoce. C'est là que la coprésidence prend tout son sens. Ce qui ne change pas grand-chose de fait. »

Face à face entre la délégation de la CR 33...

... et les élus du CIVB ce 15 décembre.




