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Le suicide du vigneron Jonathan Mayer n’est pas classé : "les administrations et la sous-préfecture sont au courant de notre situation alarmante"
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Coup dépression
Le suicide du vigneron Jonathan Mayer n’est pas classé : "les administrations et la sous-préfecture sont au courant de notre situation alarmante"

Il y a deux mois mourrait un vigneron qui alertait depuis une année sur sa grave dépression et sa grande fatigue face à la crise viticole et la pression administrative des recouvrements. Alors qu'il a déposé une main courante et une plainte, son suicide doit être un électrochoc pour briser la machine infernale broyant les viticulteurs en difficulté. C'est le combat porté par sa famille et son syndicat, la Coordination Rurale.
Par Alexandre Abellan Le 07 décembre 2025
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Le suicide du vigneron Jonathan Mayer n’est pas classé :
Cinquième génération de vignerons, Jonathan Mayer avait commencé le métier à l’âge de 15 ans. - crédit photo : Famille Mayer
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e sont deux cris du cœur dont l’écho hante le vignoble bordelais. S’étant donné la mort ce 23 septembre 2025 à 37 ans, le vigneron Jonathan Mayer avait déposé une main courante le 18 juin 2024 et une plainte pour harcèlement moral et non-assistance à personne en danger le 11 décembre 2024 à la gendarmerie de Sauveterre-de-Guyenne (Gironde). Il visait notamment des membres du gouvernement et les services du recouvrement de la Mutualité Sociale Agricole (MSA). En arrêt de travail depuis avril 2024 pour syndrome dépressif, le vigneron ne cachait pas sa détresse lors de sa déposition du printemps : « je me sens harcelé par leur service. Je ne sais jamais avec quel interlocuteur j’échange » témoignait-il lors de la main courante, évoquant « des mails plusieurs fois par jour pour des détails insignifiants qui ne sont pas automatiques, mais sans signature. […] Je ne comprends pas leur acharnement sur moi ».

Les relances ne s’étant pas allégées, malgré des promesses faites au service du recouvrement de la MSA et au soutien de l’association Solidarité Paysans (voir encadré), Jonathan Mayer dénonçait fin 2024, il y a un an, auprès d’un gendarme « les mails, les appels incessants en fin de semaine » alors qu’il était en arrêt de travail et ne pouvait « réellement couper et décompresser ». Alors qu’il travaillait 80 heures/semaine, le vigneron se souvient d’un « entretien individuel avec le sous-préfet [de Langon] où j’ai pu m’exprimer sur ma situation et mon désespoir. C’est donc pour ça en partie que je souhaite déposer plainte pour non-assistance à personne en danger, car les administrations et la sous-préfecture sont au courant de notre situation alarmante, et le résultat est toujours le même. »

Cassé sans suite

N’ayant visiblement pas été informé du suicide de Jonathan Mayer, le parquet du tribunal judiciaire de Bordeaux envoyait ce 5 novembre 2025 à sa propriété un courrier de classement sans suite à sa plainte, car « après examen de cette procédure, les poursuites pénales ne sont pas engagées au motif que les faits dénoncés ou révélés ne sont pas punis par un texte pénal » indique le procureur dans la lettre consultée par Vitisphere. Une décision incompréhensible et insupportable pour la Coordination Rurale de Gironde, le syndicat auquel appartenait Jonathan Mayer. Dans une lettre ouverte envoyée ce 12 novembre à Annie Genevard, la ministre de l'Agriculture, la CR 33 y « demande l'ouverture d'une enquête suite au suicide de Jonathan Mayer et un programme concret d'actions visant à prévenir le suicide agricole ». Ce qui passe pour le syndicat agricole par un audit des pratiques de la MSA et du Crédit Agricole « afin de faire la lumière sur les méthodes de recouvrement actuels de ces structures ».

Voilà la réalité du terrain !

Pour que Jonathan Mayer ne soit pas qu’un nom de plus dans la trop longue liste des vignerons tombés sous le poids de la crise, la CR 33 demande l’ouverture d’une enquête judiciaire, car « n'est-ce pas ce que prévoit la Loi dans les entreprises privées, à la suite d'un suicide d'un collaborateur ? Le respect dû à notre profession, doit passer par la même considération. » S’alarmant de voir dans le vignoble bordelais « ses adhérents, de plus en plus nombreux à rencontrer des difficultés économiques, et de plus en plus nombreux à parler de souffrances liées harcèlement de leur banque, de leurs fournisseurs et de la Mutualité Sociale Agricole », la CR 33 pointe que « sous couvert de procédures administratives informatisées et automatisées, l'humain n'a plus sa place. Les courriers s'enchainent, s'empilent, les comptes bancaires sont saisis, voire bloqués sans qu'aucun contact humain n'ait été opéré. Certains se retrouvent sans même pouvoir faire des courses pour manger, un comble pour ceux qui nous nourrissent ! Voilà la réalité du terrain ! »

Un état des lieux toujours actuel, comme en témoigne amèrement Alain Mayer, 70 ans, le père de Jonathan Mayer, qui ne peut que constater la persistance de la pression qui a broyé psychologiquement son fils : « il ne voyait aucune issue, parce que les gens qui auraient pu le soulager et l’aider ne l’ont pas voulu. Ils pensent que les gens de la terre sont solides et imperturbables… Mais ils vont tous mourir, ils en sont tous là. J’ai vu des jeunes pleurer devant ma porte à l’enterrement de mon fils. J’ai 55 ans de métier, je n’ai jamais vu autant de misère dans mon agriculture. »

Vignes de dur labeur

Sous le contrôle du notaire et de la banque, le domaine familial de 22 hectares de vignes en production, le château Servan à Saint-Hilaire-du-Bois, va désormais arracher l'intégralité de son vignoble. Et il ne sera pas le seul : « il y a une quinzaine de propriétés autour de nous. Il en restera deux peut-être. On ne peut pas entretenir un domaine si l’on n’a pas d’argent, si l’on ne peut pas payer le personnel, le gazole… » constate Alain Mayer, attestant dans sa chair et son âme de la difficulté de clore ce chapitre douloureux : « le domaine a toujours existé d’une génération à l’autre, on l’a tous amélioré les uns après les autres. C’est difficile de lâcher prise, ce sont nos vies et nos remises en cause permanentes pour être à la pointe du progrès. Mon fils travaillait la journée et remplissait des papiers la nuit. Pour aboutir où il en est aujourd’hui, dans un cimetière à 1 km à côté de nous. »

Améliorer nos conditions

Vigneron depuis l’âge de 15 ans, Jonathan Mayer regrettait fin 2024 d’être miné par son métier : « ce qui m’attriste le plus, c’est que cette passion est en train de me détruire. » Il gardait pourtant un espoir, désormais testamentaire : « je souhaite que les administrations puissent travailler ensemble, dans une même logique, afin d’améliorer nos conditions. De plus, je souhaite que les citoyens prennent conscience de la situation alarmante de l’agriculture française, qu’il y ait une sorte de prise de conscience générale. » Pour l’instant, c’est la crise de conscience qui frappe le vignoble. Jusqu’à quand ?

Contacté, le cabinet de la ministre de l’Agriculture n'a pas donné suite à date. La CR 33 vient de recevoir la lettre de réponse d'Annie Genevard datée du 27 novembre. Dans le courrier consulté par Vitisphere, la ministre indique avoir « appris avec une grande émotion le décès de M. Mayer et j'ai eu l'occasion d'exprimer à sa famille, par courrier, mes plus sincères condoléances. Après échange avec l'antenne locale de la MSA, je vous confirme que toutes les diligences avaient été faites pour accompagner au mieux, humainement et financièrement, M. Mayer. » Confirmant avoir reçu un courrier de condoléances de la ministre, la famille de Jonathan Mayer se demande « qu'est-ce qu'ils appellent l'humainement possible ? Ils n'ont pas enlevé ce qui était à payer et il n'a vu personne d'autre que le docteur de la MSA, qui a fait tout ce qu'il était en mesure de faire. Il a fallu qu'il décède pour avoir une assistante sociale » réagit Alain Mayer.

Attention ministérielle

Indiquant dans son courrier à la CR renforcer et simplifier les dispositifs actuels de soutien, Annie Genevard ajoute entendre « votre demande d'humanité et de bienveillance » et partager l'objectif d'améliorer la prise en charge du mal-être agricole : « la MSA doit poursuivre ses efforts pour garantir le recouvrement des cotisations tout en adaptant ses modalités pour tenir compte des situations spécifiques, dans un contexte social, économique, environnemental et technologique mouvant, qui peut fortement fragiliser les personnes. Je veillerai personnellement à ce que cet objectif soit rempli. » Rappelant ses actions*, la MSA 33 précise à Vitisphere ne pas communiquer sur des dossiers individuels et précise rester « attentive à la situation de ses assurés. »

 

* : Fin novembre, la MSA expliquait à Vitisphere qu’elle « assure une mission de service public dont celle de recouvrer les cotisations et de reverser des prestations ». Ce qui s’inscrit concrètement dans la procédure de recouvrement des cotisations sociales qui « définit les démarches qui sont à engager par l’organisme de recouvrement une fois la date limite de paiement franchie : la lettre de rappel, la mise en demeure, la lettre de contrainte puis la saisie par l’huissier » énumérait la caisse bordelaise, s'inscrivant pour elle dans la pure « procédure de recouvrement » tout « en ajoutant à cet aspect légal de la bienveillance » et « l’objectif d’accompagner au mieux l’exploitant pour éviter d’aller au contentieux et à un recouvrement forcé des cotisations ».Concrètement la MSA de Gironde indiquait prendre « contact avec l’adhérent pour l’entendre, écouter ses difficultés et voir avec lui, en fonction de ses possibilités, comment mettre en place une solution (échéancier de paiement…) ». Sachant qu'« une négociation pouvant prendre du temps, la MSA peut être amenée à retarder l’échéance d'une mise en demeure ou d'une contrainte de manière à permettre l'établissement d'un plan de paiement » poursuivait la caisse, précisant qu’« un adhérent qui est hélas contacté par un huissier a donc été sollicité préalablement par la MSA, à la fois par courrier et/ou par téléphone sans pour autant donner une issue favorable à cette prise de contact. » Pour l'administration, « si la MSA intervient sur le process du recouvrement c’est pour l’assouplir dans la limite de ce qui est naturellement autorisé par la loi » indiquait la caisse de Gironde, ajoutant que « les procédures légales nécessitent une modification de la loi et la MSA n’a pas de pouvoir en la matière, seuls les élus de la république peuvent agir ».

"Beaucoup d'autres créanciers, dont les banques, me semblent avoir des procédures beaucoup plus expéditives"

« Bien sûr, le contenu des rappels de la MSA est encore trop souvent rédigé sous une forme trop "juridique" difficile à décrypter. Mais beaucoup d'autres créanciers, dont les banques, me semblent avoir des procédures beaucoup plus "expéditives" » témoigne le viticulteur bio Marc Coussy. Accompagnant pour Solidarité Paysans d’Aquitaine, il rapporte qu’avec les animateurs de l’association il perçoit une volonté de flexibilité de la MSA de la Gironde : « ce service contentieux n'est activé qu'après que le service cotisations ait lui-même envoyé des rappels pour les cotisations récemment impayées. La MSA de la Gironde dispose également d'une équipe de travailleurs sociaux étoffé, qui propose la panoplie des aides à leur disposition (aide au répit, suivi par un psychologue, RSA ou Prime d'activité ...). » Et « alors que la quasi-totalité des créanciers privilégient le recours à la procédure civile d’exécution de droit commun (Code Civil article 1343-5 qui exige un paiement immédiat ou  limite à deux années maximum la durée de remboursement que le Juge peut ou non accorder ), la MSA opte pour les procédures collectives en déposant une demande de Règlement Agricole Judiciaire (RAJ, parcours rendu obligatoire par la loi au moins pour les créanciers) et si non-conciliation une Déclaration de Cessation de Paiement (DCP) en vue d’un redressement (échelonnement possible par un remboursement progressif d'au plus 15 ans) » détaille Marc Coussy.

 

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