’est du moins ce que suggère une récente étude de la banque néerlandaise Rabobank, intitulée « Les vraies raisons pour lesquelles la Génération Z boit moins d’alcool ». Dès les premières lignes, le rapport prend le contrepied des explications habituelles, écartant l’idée que la baisse de consommation serait principalement liée à des préoccupations de santé ou à la pression des réseaux sociaux. Jugées « très exagérées », ces hypothèses laissent place à une analyse plus profonde, fondée sur des facteurs structurels et économiques. L’étude porte sur la jeunesse américaine, mais dans un contexte mondialisé, plusieurs enseignements peuvent s’appliquer à d’autres pays.
L’importance des smartphones
L’analyste et auteur du rapport, Bourcard Nesin, plante d’abord le décor : « Si l’on regarde la part des revenus nets consacrée à l’alcool, la Génération Z se trouve très précisément dans la moyenne ». Soit 0,72% contre une part identique pour les « Millennials », 0,65% pour la Génération X et 0,83% pour les « Boomers », pour une moyenne générale de 0,73%. Pourtant, ce chiffre était plus élevé il y a dix ans : les moins de trente ans consacraient alors 1,1 % de leurs revenus à l’alcool. L’étude met également en lumière le rôle des téléphones portables dans l’évolution des comportements, mais pas seulement pour des raisons d’image liée aux réseaux sociaux — même si la crainte d’y apparaître ivre n’est pas négligeable. Pour la Rabobank, d’autres dynamiques, plus profondes, entrent en jeu, d’autant plus qu’aux USA du moins, quelque 90% des jeunes âgés de plus de 12 ans sont propriétaires d’un smartphone.
Contrôle parental et activités numériques
Tout d’abord, les parents sont de plus en plus nombreux à employer des outils - traceurs GPS, montres connectées, applications – qui leur permettent de géo-localiser leurs enfants en temps réel. La zone de liberté accordée aux jeunes s’est réduite comme peau de chagrin ces dernières décennies, aux Etats-Unis comme ailleurs. Or, traditionnellement, la première expérience avec l’alcool avait souvent lieu lors de fêtes impromptues ou en tout cas à l’abri du regard des parents. De même, l’importance prise par les activités connectées, en ligne, a porté atteinte aux interactions sociales physiques, faisant régresser mécaniquement la consommation d’alcool : « Etant donné que la vaste majorité des occasions de consommation des jeunes se font dans un contexte social, moins de rassemblements et moins de fêtes se traduisent par une consommation d’alcool moins importante », note Bourcard Nesin.
Budgets sous pression
Autre élément déterminant : le pouvoir d’achat en déclin. Bien sûr, les jeunes ont toujours disposé de revenus plus modestes que leurs aînés. Mais aujourd’hui, dans plusieurs pays, l’endettement lié aux études et une insertion professionnelle plus tardive — souvent dans des emplois moins bien rémunérés — grèvent lourdement leur budget. « Ils n’ont tout simplement pas l’argent nécessaire pour faire ce qu’ils aimeraient faire », résumait récemment le PDG de Brown-Forman, l’un des leaders américains du secteur des boissons alcoolisées. Les chiffres américains le confirment : en 2023, la Génération Z a dépensé 3,6 milliards de dollars en alcool, contre 25,5 milliards pour les Millennials, 27,5 milliards pour la Génération X et 25,5 milliards pour les Boomers. Pour toutes ces raisons, la première expérience avec l’alcool survient désormais bien plus tard qu’auparavant. Reste à savoir si ce décalage influencera durablement les habitudes de consommation à l’âge adulte : « L’alcool ne fait pas partie de leurs années les plus formatrices et impressionnables, ce qui signifie qu’à l’avenir, il est beaucoup moins probable qu’ils intègrent l’alcool dans leur conception de l’identité, de la socialisation et de leur perception d’un comportement acceptable. Autrement dit, au fur et à mesure qu’elle vieillit, la Génération Z boira vraisemblablement moins que ses aînés », prévient la Rabobank.
Influence des évolutions démographiques
Enfin, il ne faut pas négliger non plus deux grands facteurs démographiques : la montée en puissance des femmes parmi les consommateurs d’alcool – elles représentent désormais la majorité des consommateurs de plus de 25 ans outre-Atlantique – et l’augmentation de la diversité ethnique. « Ceux qui boivent de l’alcool évoluent de plus en plus vers des groupes démographiques qui, historiquement, consomment de façon plus modérée », explique le rapport. Qui va même jusqu’à dire que « La baisse du nombre de jeunes hommes consommant de l’alcool a été le principal moteur du recul de la consommation d’alcool chez les jeunes au cours des vingt dernières années ». De même, aux USA, les consommateurs noirs, asiatiques et latinos représentent désormais 50% de la Génération Z, contre 29% de la génération des Boomers. « Les hommes blancs boivent deux fois plus que l’homme noir moyen et quatre fois plus que la femme latino moyenne », souligne l’étude, qui affirme qu’il s’agit là « de la raison la plus claire pour laquelle la Génération Z boit moins que les générations précédentes ».
Adaptations stratégiques
Ces évolutions démographiques pourraient aussi éclairer certaines tendances de consommation, comme l’attrait croissant pour les vins blancs — souvent prisés par les femmes — ou la montée en puissance des spiritueux, préférés par certains groupes ethniques émergents. Face à ce paysage changeant, Rabobank recommande aux marques d’adapter leur stratégie : pour toucher la Génération Z, il faudra cibler plus précisément les femmes, en particulier les diplômées, ainsi que les personnes issues de la diversité. Mais l'effort ne doit pas se limiter au marketing : ces publics doivent aussi être représentés au sein même des entreprises, afin que l’innovation et la communication soient en phase avec les attentes de cette génération, lorsqu’elle accèdera à un pouvoir d’achat plus élevé, entre 25 et 30 ans, et « qu’elle pourra s’acheter ce qu’elle veut ».