Avec cette aide exceptionnelle, je veux protéger la relève, cette jeune génération qui a fait le choix de consacrer sa vie au travail de la vigne dans toutes les régions où, comme ici, elle fait la richesse, la vie et les paysages du territoire » pose la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, lors de sa visite du château de l’Hurbe à Saint-Laurent-d'Arce (Gironde). Présentant les modalités du fonds de soutien en faveur des jeunes viticulteurs, la ministre précise que son enveloppe nationale sera de 9 millions d’euros (suite à un arbitrage fléchant 1 million € vers l’aide aux pépiniéristes)
et que sa mise en œuvre sera à la main des préfets départementaux* (comme le fonds d’urgence de 2024, les deux outils étant de plus soumis aux plafonds des minimis : récemment passés de 20 à 50 000 € sur trois exercices fiscaux).
Pour y avoir accès, les exploitants viticoles doivent avoir eu moins de 40 ans los de leur installation, qui doit avoi eu lieu il y a moins de 5 ans. Ils doivent ensuite remplir au moins au moins l’une de ces conditions : perte de chiffre d'affaires ou d’EBE de 20 % au moins en 2024, ou avoir des difficultés financières prévisionnelles de 20 % au moins dans la déclaration de récolte 2024, ou avoir des difficultés financières liées à des pertes de récolte sur les 5 années écoulées (dont une de 20 % au moins). Concrètement, « ces aides exceptionnelles vont être délivrées incessamment » précise à la presse Annie Genevard, ajoutant que « nous avions à cœur de travailler le dispositif avec les professionnels eux-mêmes. C'est eux qui nous qui nous donnent des indications sur ce qui leur semble utile. Donc le dispositif est maintenant calé, il va pouvoir être déployé. » Et répondre à l’urgence des trésoreries vigneronnes en difficulté.


Accueillant la ministre, Vincent Bousseau, le gérant du château de l’Hurbe (25 hectares en production, 1/3 en AOC Côtes de Bourg et 2/3 en Bordeaux) évoque pudiquement ses difficultés quotidiennes de trésorerie : « on tient bon an mal an en renégociant tous nos fermages ». Installé depuis trois ans, et ne se versant aucun salaire depuis, le vigneron de 35 ans a dans l’immédiat du mal à se projeter sur l’impact de cette aide, dont le montant individuel est inconnu, dépendant de l’enveloppe départementale et de la demande. Seule certitude, ce sera « encore une perfusion, comme an dernier avec le fonds d’urgence. On ne veut pas vivre d’aides, ça suffit d’être des cas sociaux dans l’agriculture » soupire le président des Jeunes Agriculteurs du canton de Bourg, qui fait état d’une « situation dramatique » avec « très peu d’installations ».
S’adaptant lui-même (par l’arrachage de 3 ha de vignes sans prime l’an passé, la production de crémant, de jus de raisin, de vinaigre… et la diversification par le maraîchage), le vigneron appelle à des évolutions structurelles pour la filière vin : « il faut une juste rémunération pour arrêter de trouver des bouteilles à moins de 2 € en rayon. On veut vivre de notre métier et ne pas se torturer l’esprit tous les jours pour savoir comment on va payer les factures et les salaires. » Participant au collectif Gabriel & Co (premier opérateur des vins français labélisés Fair for trade, ayant inspiré Mouton Cadet), Vincent Bousseau espère que la révision d’Egalim permettrait de revaloriser les vins au niveau de leurs coûts de production. Ce qui est loin d’être le cas avec des tonneaux de Bordeaux rouges à 861 € en moyenne ce mois de mars. Bien loin des coûts de production…
Egalim 4 à 4
« Clairement, ici dans la viticulture, il y a des choses qui ne fonctionnent pas par rapport à Egalim. Il faut le dire » reconnaît Annie Genevard, pointant que « quand on commercialise une bouteille de vin à 40 voire 60 % en dessous de son coût de production, comme cela m'a été par la filière viticole, ça n'est pas possible. Manifestement, sur la contractualisation, sur les indicateurs, il y a des choses à changer. » Alors que le dispositif de SRP +10 (seuil de revente à perte +10 %) est étudié par l’Assemblée Nationale, « si ce texte se passe bien, on verra dans quelles conditions légiférer pour la deuxième partie sur un texte Egalim 4 qui puisse prendre en compte les dysfonctionnements » indique Annie Genevard, qui reconnait qu’« ici à Bordeaux comme dans de nombreux bassins viticoles, notre viticulture va mal. Je viens d'en avoir de bouleversants témoignages. »
Parmi ces interpellations, celle du vigneron Nicolas Noailles : « dans 5 ans, il n’y aura plus rien ». Installé depuis 2018 à Tayauc sur 55 ha, le membre du bureau des Jeunes Agriculteurs de Gironde prédit que « des jeunes, il n’y en aura plus. Ça fait mal. » Lui répondant qu’elle va « tout faire pour éviter ce scénario catastrophe », la ministre indique comprendre et entendre « votre détresse. Le rôle des pouvoirs publics est d’apporter des solutions en construction avec vous. » Un soutien qui ne rassure pas Nicolas Noailles, qui a « l’impression que toute l’aide a été donnée. Les jeunes vont peut-être toucher 2 000 € d’aides. On nous propose des prêts, mais on ne fait que s’endetter. Il y a un vrai décalage entre ce que l’Etat dit et ce que l’on vit**. Il faut pouvoir gagner notre vie sans subventions. »
Lors de son échange avec la ministre, Nicolas Noailles alerte sur la situation critique que vivent les viticulteurs sur le terrain.
* : « Nous invitons les préfets à examiner les dossiers en commission départementale d'expertise réunissant, outre les services de l'État, les représentants de la profession agricole et des établissements bancaires » précise la ministre, indiquant qu’« il pourra émettre un avis préalablement à l'attribution de l'aide par le préfet département. Dans ce cadre, les préfets auront la liberté de fixer d'éventuels critères supplémentaires permettant une répartition plus fine. »
** : « Beaucoup de mesures ont été prises au cours de ces dernières années avec des mesures de distillation et d'aide exceptionnelle. Sans que leur mise en œuvre ne résolve les problèmes que chacun a décrit comme à la fois conjoncturelle et structurelle » relève Annie Genevard, indiquant 1 milliard € dédiés à la filière vin depuis 2020. Depuis sa prise de fonction en septembre 2024, l’ancienne députée du Doubs indique avoir validé un dispositif de prêt bonifié pour les entreprises viticoles confrontées à des difficultés de remboursement des PGE, l’arrachage définitif à 4 000 €/ha, un soutien à la trésorerie par des prêts exceptionnels de court terme et des prêts de consolidation garantis par l'État, l’augmentation à 50 millions € de la prise en charge exceptionnelle de cotisations par la MSA et désormais « le reliquat de 10 millions € non mobilisés par l'arrachage définitif au regard de l'enveloppe notifiée à Bruxelles par mon prédécesseur ».