ins sans alcool et vignerons avec le sourire : c’est l’état d’esprit du salon Degré Zéro ce dimanche 9 février dans le quinzième arrondissement de Paris. Parmi les 65 exposants de cette deuxième édition, les producteurs ne cachent pas leur satisfaction de s’être embarqué dans le mouvement du sans alcool. Comptant parmi les pionniers, le vigneron Vincent Pugibet, du domaine de la Colombette (270 hectares de vignes à Béziers, Hérault), est équipé depuis 2002 d’un outil de distillation sous vide à basse température (désalcoolisateur rénové fin 2024 pour fonctionner avec une pompe à chaleur). Être parmi les premiers vignerons désalcoolisant leurs vins ne l’a pas épargné : « on a pris des coups de fusil ». Comme le billet du défunt Jacques Berthomeau en 2008 : « désalcooliser totalement un vin pour moi c’est le castrer, le châtrer, l’émasculer ». Dédiant désormais un tiers de sa production au sans alcool, Vincent Pugibet imagine passer à 50 % dès l’an prochain.
Affichant son optimisme dans le développement de la niche du vin désalcoolisé, il s’appuie sur la réalisation de la cuvée rosée sans alcool pour la gamme "Della Vite Zero" de l’actrice et mannequin Cara Delevingne. « Ça ouvre une nouvelle clientèle d’avoir de telles figures ! Qui sont les jeunes ambassadeurs du vin ? Je n'en connais pas. Il y a Gérard Depardieu et Pierre Arditi... Le vin sans alcool a Cara Delevingne et Constance Jablonski (mannequin cofondatrice de French Bloom). C’est mieux pour rajeunir le vin et toucher de nouveaux consommateurs » souligne Vincent Pugibet. Face aux polémiques sur la production de vins sans alcool, notamment lors du Dry January, le vigneron languedocien est tranchant : « ceux qui critiquent sont profondément stupides… On ne dit pas d’arrêter de boire du vin, mais on élargit marché en s’adressant à une nouvelle clientèle. C’est un plus. De plus en plus de gens se désintéressent du vin. Je le vois avec mes trois garçons qui regardent leur père comme un dinosaure à boire son vin. Le sans alcool peut donner le goût de cette culture. »


La production de vins désalcoolisés permet de séduire de nouveaux clients, même si rien n’est figé indique Julien Meyre, à la tête des vignobles Alain Meyre à Listrac-Médoc (Gironde). Produisant depuis l’an dernier du sans alcool (en rouge et pétillant), le vigneron médocain pointe que toute la filière du vin à 0°.alc est en création : « naissante pour la production, la distribution… » mais déjà « en capacité de proposer une alternative aux sodas. Ça ne cannibalise pas le vin. Ce mouvement fait du bruit. C’est un phénomène sociétal, pas une mode. » Estimant que les critiques sur le vin désalcoolisé tiennent de l’incompréhension, Julien Meyre pointe que les consommateurs en achetant n’auraient pas acheté de vin à la place et qu’il faut saisir « cette super opportunité pour utiliser des hectares de vignes plutôt que les arracher ». Et ce quitte à changer les grands principes et les petites habitudes. « Janvier est normalement un mois de repos. J’ai enchaîné les animations pour le Dry January » rapporte-t-il. S’il est le premier vigneron désalcoolisant ses vins du Médoc, Julien Meyre s’attend à être rapidement rejoint par d’autres : « et tant mieux. Plus on sera nombreux à faire bon, mieux ce sera pour l’offre qui est encore petite. Il y a de la place. »
« Le discours des collègues sur le sans alcool a changé. Ils voient un intérêt pour gagner d’autres parts de marché. C’est complémentaire » analyse la vigneronne Mathilde Ollivier, cogérante du domaine de la Grenaudière (27 hectares de melon de Bourgogne à Maisdon-sur-Sèvre). Ayant démarré cette diversification en 2023, la propriété du Muscadet réalise actuellement 10 % de ses ventes en sans alcool (en tranquille et effervescent). « Ça porte ses fruits : le sans alcool dynamise l’économie de l’entreprise, ouvre des portes en termes de marché et renforce la notoriété du domaine. » De quoi éviter de mettre tous ses œufs dans le même panier, alors que les vins du Muscadet s’inscrivent dans un marché valorisé et soutenu. Sachant que « nos consommateurs de vins désalcoolisés ne sont pas ou peu consommateurs de vin. Ils prennent plutôt du coca ou du Perrier. L’intérêt pour nous est de proposer une alternative à base de vin » résume Mathilde Ollivier.


« Autant proposer quelque chose venant du monde du vin à ceux qui ne boivent pas d’alcool » renchérit Alexis Vialette, le responsable sans alcool pour l’union coopérative Rhonéa (300 viticulteurs pour le titre de premier producteur de villages et crus de la vallée du Rhône à Beaumes-de-Venise, Vaucluse). Si le sans alcool et le Dry January sont des sujets clivants dans le vignoble, l’œnologue se veut pragmatique : « s’il y a une demande, il faudrait être bête pour ne pas vouloir y répondre. Le sans alcool ne fait pas d’ombre au vin. Il propose une alternative. » Reconnaissant que « quand on aime le vin, le premier réflexe est de détruire que l’on détruit son âme et son histoire », Alexis Valette et ses équipes travaillent depuis quasiment trois ans sur la maîtrise d’un désalcoolisateur afin d’obtenir un résultat qualitatif : « nous avons pris le temps pour être sereins et autonomes. Nous n’avons pas honte de ce que nous produisons. » Sachant qu’« à la fin, c’est le business qui parlera. »