l respire ! Après une saison éprouvante au cours de laquelle il a dû faire seize traitements antimildiou, Jean Pasquet a sauvé sa récolte. En ce début septembre, le propriétaire du domaine Pasquet, 16ha à Bellevigne, en Charente, ne déplore «qu’un peu de mildiou sur grappe dans quelques parcelles plantées à 3m d’écartement. Mais presque rien ailleurs. Sur l’ensemble de mon vignoble, cela ne représente pas 5% de perte de récolte».
Comme bon nombre d’autres vignerons bio, il doit ce résultat à son expérience de ce mode de conduite. Les connaissances qu’il a accumulées au cours de ses treize campagnes en bio et celles que ses parents lui ont transmises, eux qui se sont convertis en 1995, n’ont pas été de trop pour venir à bout de l’énorme pression de mildiou cette année.
Pour contrer cette maladie, Jean Pasquet le sait, il faut commencer les traitements tôt. Et cette année plus que jamais. « Au vu de la douceur de l’hiver, on savait que les attaques risquaient d’être précoces, se souvient-il. Fin mars, mon technicien m’a fait savoir que les œufs d’hiver étaient mûrs. Puis la chambre d’agriculture a confirmé. J’ai fait mon premier traitement le 15 avril car la vigne avait atteint le stade 2-3 feuilles étalées, le début de la sensibilité au mildiou. »
Par la suite, il n’a jamais perdu de vue la lutte contre la maladie. « Lorsque le risque est élevé, il ne faut pas hésiter à arrêter ce qu’on fait pour aller traiter, insiste-t-il. Jusqu’à la nouaison, la vigne est très sensible au mildiou. Durant toute cette période, priorité doit être faite aux traitements, même si l’herbe pousse et même si c’est le moment des relevages. »
Après la dure campagne 2023, qui fut déjà très pluvieuse, Jean Pasquet a aussi revu les réglages de son pulvé, un appareil à jet porté et à voûte droite (aéroconvection) qu’il passe tous les deux rangs. « Avant, j’avais tendance à monter à 10 bars, relate-t-il. Des collègues viticulteurs m’ont conseillé de baisser à 4-5 bars. J’ai également réduit la vitesse de la soufflerie. Cela a amélioré la qualité de la goutte. Avec mes anciens réglages, je produisais des petites gouttes qui pouvaient s’évaporer avant d’arriver sur le feuillage. »
Jean Pasquet, qui a repris le domaine familial en 2011, attribue aussi ses résultats à sa bonne connaissance des propriétés du cuivre et de l’intérêt des différentes formulations. Pour lui, chacune a son usage. «Avant une petite pluie ou pour protéger de la rosée, j’utilise de l’hydroxyde de cuivre qui se libère très facilement. Pour les pluviométries annoncées de 15 à 20mm, je choisis le sulfate de cuivre. Et après 20-25mm ou un gros orage, je rajoute de l’oxyde cuivreux à la bouillie bordelaise pour tenir dans le temps.»
Une protection qui a un prix. «Cette année, j’ai utilisé 5,4kg/ha de cuivre métal. Jusqu’à maintenant, j’ai réussi à respecter le plafond de 28 kg/ha en sept ans, même avec des années à forte pression. Mais si les campagnes comme celle-là deviennent la norme, il faut que la réglementation change, sinon on sera tous hors la loi», prévient-il.
En Bourgogne, Julien Palys a lui aussi commencé très tôt. «On a fait le premier traitement le 24 avril. En sept ans à mon poste, c’est la première fois que j’ai démarré si tôt», s’exclame le régisseur des Vignobles Ludovic Pierrot, 25ha certifiés en bio et biodynamie à Santenay, Morgon et dans les Hautes-Côtes-de-Beaune. Comme Jean Pasquet, il a été informé très tôt par sa chambre d’agriculture que les œufs de mildiou étaient mûrs, début avril dans son cas.
Partant de là, «dès que des feuilles sont sorties, le mildiou peut s’installer si les conditions lui sont clémentes. Or, le 24avril, c’était le cas : on était au stade deux-trois feuilles étalées et la météo annonçait des pluies et des températures autour de 15°C», souligne le régisseur, qui a réalisé treize traitements représentant 4kg de cuivre métal par hectare. Julien Palys en est persuadé : cette première intervention très précoce est une des clés de la réussite de son programme cette année car, par la suite, il a dû attendre le 9mai pour repasser, tellement les pluies se sont succédé.
Pour optimiser la protection, Julien Palys et son équipe de quatre salariés ont mis l’accent sur les travaux en vert. «On a procédé au premier ébourgeonnage le 22 avril, détaille-t-il. On a rogné cinq fois en tout pour ne pas laisser se développer des feuilles non protégées. On a aussi effeuillé à la main après la floraison, du 20 au 25juin, pour aérer les grappes et empêcher le champignon de se développer.» Résultat : «Le feuillage est très touché. Mais les raisins sont intacts.»
À Sainte-Cécile-les-Vignes, dans le Vaucluse, François Pouizin a retenu la leçon de 2018. «Cette année-là, on a consacré trop de temps à gérer les mauvaises herbes au détriment de la lutte contre le mildiou», se souvient ce coopérateur en bio depuis quinze ans. Depuis, il donne la priorité aux traitements dès que la pression de mildiou monte. «Cette année, on s’est occupé de l’herbe quand on avait le temps», explique-t-il.
François Pouizin exploite 58ha qu’il veut pouvoir traiter en 12heures. «Dans la vallée du Rhône, entre le vent et la pluie, on ne dispose souvent que d’une journée pour traiter. Alors il faut faire vite», justifie-t-il. Pour cela, il dispose de deux pulvérisateurs, plus un de secours. «Jusqu’à la récolte de 2022, j’exploitais 65 ha. Nous étions trois tractoristes avec trois pulvérisateurs. J’ai réduit mon exploitation et l’un de mes tractoristes est parti à la retraite. Mais j’ai gardé le troisième pulvé pour pouvoir m’en servir si les autres tombaient en panne.» Bien lui en a pris : ce pulvérisateur lui a servi cette saison le temps de réparer une crevaison sur un autre.
À Gaillac, dans le Tarn, Bruno Duffau a dû faire un choix important au début de la saison. «Fin avril, j’avais déjà trop d’herbe et de couverts végétaux. Je savais que je n’aurai pas le temps de bien traiter et de bien désherber mes 15 ha car je suis seul à conduire le tracteur.» Bruno Duffau a donc réduit la protection sur 4ha dont 3 sévèrement touchés par le gel de printemps. «Quand le mildiou arrive, il vaut mieux laisser tomber une parcelle que s’acharner et perdre d’autres parcelles», assure le vigneron en bio depuis 2017 qui a déjà vécu une expérience similaire avec une parcelle touchée par le black-rot il y a quelques années.
Mi-juillet, Bruno Duffau ne déplorait aucune attaque sur grappes dans ses parcelles protégées, ce qu’il explique d’une autre manière. «Grâce à mon expérience, je connais les secteurs les plus sensibles au mildiou. Dans ces zones, soit je réduis la vitesse du tracteur pour augmenter la dose, soit je passe tous les deux rangs, alors qu’ailleurs je passe tous les quatre rangs.»
Entre les traitements, les travaux en vert et le désherbage mécanique, ces viticulteurs ont eu peu de repos. «Je n’ai pas dormi, j’ai traité. En mai, je n’avais pas de samedi, pas de dimanche, pas de jours fériés», scande François Pouizin. Jean Pasquet se souvient d’être allé traiter trois fois durant la semaine de la Pentecôte, la dernière fois le dimanche, alors qu’il organisait un événement au domaine. «Cette semaine-là, nous avons eu de fortes pluies tous les deux jours», rappelle-t-il. Impossible de lever le pied. Fin août, il avait déjà dépensé davantage en antimilidiou qu’en 2023. Malgré cela, il a tenu son budget de protection. «L’année dernière, j’avais encore des tisanes de plantes. Cette année, je n’en ai pas acheté.» À la guerre comme à la guerre !
À Montpon-Ménestérol, en Dordogne, Laurent Jou de Las Borjas, propriétaire du domaine de Jarrauty, pas encore certifié en bio, n’est qu’en troisième année de conversion de ses 12ha de vigne, mais il a déjà tiré les leçons du passé. «En 2023, j’ai perdu 90% de mes merlots (5ha) à cause du mildiou. C’est pourquoi, cette année, j’ai tout axé sur les traitements.» Le 19juillet, il réalisait son 19e passage et avait appliqué 5,95kg de cuivre métal par hectare. Le prix à payer pour cantonner le mildiou aux feuilles.