oup dur sur coup dur. Depuis son installation en 2022, Émile Faure, vigneron coopérateur à Eynesse (33) sur 36 ha en appellation Bordeaux, n’a pas connu une année normale. En 2022, il a subi la grêle et la sécheresse. En 2023, il a dû faire face à une énorme pression de mildiou. Et cette année a été encore plus éprouvante. « En juin, le froid a provoqué de la coulure et du millerandage sur le merlot et le malbec, nos principaux cépages en rouge, détaille-t-il. Par la suite, les précipitations constantes ont favorisé le mildiou. Même les vendanges, qui se sont achevées le 10 octobre, ont eu lieu sous la pluie. »
Bilan des courses, Émile Faure estime son rendement 2024 autour de 40-45 hl/ha, soit 30 % de moins que l’an passé. Parallèlement, son budget de protection phytosanitaire a explosé de 500 à 700 €/ha car il a dû resserrer les cadences pour contrer une pression phytosanitaire sans précédent. L’avenir ? Il est loin d’être radieux. « Je ne vis pas de mon métier, révèle-t-il. Les coûts de production augmentent et la rémunération ne suit pas. Je réfléchis à diviser par deux la superficie de mon exploitation ou à tout arracher. »
À Néac, à une quarantaine de kilomètres à l’ouest d’Eynesse, sa consœur Frédérique Burlot, propriétaire du domaine du Grand Ormeau, a aussi de plus en plus de difficultés à obtenir des rendements normaux. Cette année, elle a produit 37 hl/ha au lieu des 57 hl/ha qu’elle est censée réaliser sur ses 29 ha en appellation Lalande-de-Pomerol. « Il faut sans cesse anticiper, déclare-t-elle. Ce n’est pas toujours simple. En 2023, nous avons testé la taille tardive pour préserver nos vignes des gelées. Il n’y a pas eu de gel. Cette année, c’est la pluie qui nous a ennuyés. » Heureusement qu’elle a du stock pour alimenter ses marchés.
« Du jamais vu ! », déclare Xavier Fabre, propriétaire des 28 ha du domaine des Romarins, à Domazan (30), dans les Côtes-du-Rhône, au sujet du cru 2024. Il a plu entre 10 et 20 mm tous les trois à quatre jours, en mai et juin. Le mildiou, auquel il était peu habitué, a causé des dégâts importants sur ses grenaches et ses carignans. Sa récolte ne dépassera pas 600 hl, au lieu de 1 000 hl espérés. Le vigneron reconnaît s’être laissé déborder : « Nous sommes en bio. Le mildiou est sorti très tôt et nous aurions dû augmenter la fréquence des traitements. Avec la pluie, l’herbe a poussé vite. Il fallait être sur tous les fronts. Or, il n’y a qu’un tractoriste sur l’exploitation. Il ne pouvait pas être partout. » Et ce n’est pas la vendange 2024 qui va lui permettre d’embaucher du personnel supplémentaire. Xavier Fabre vend la moitié de sa production en vrac alors que les cours demeurent bas. « Il va falloir chercher la valorisation ailleurs, affirme-t-il. On va développer l’accueil au domaine. »
À Montfrin (30), le domaine Font Barrièle a subi les mêmes déconvenues. Alors qu’il vise une moyenne de 60 hl/ha, Christian Gourjon, propriétaire de 75 ha en appellation Côtes-du-Rhône et Costières-de-Nîmes et en IGP Gard, n’a rentré que 46 hl/ha : « C’est un millésime qui revient très cher à l’hectolitre. En plus des nombreux traitements, nous avons pratiqué un ébourgeonnage sévère pour aérer les grappes. Ce travail a représenté un surcoût de 20 000 € de main-d’œuvre. » Ce vigneron bio, qui vend 55 % de sa production au négoce, s’inquiète pour l’équilibre de ses comptes et cherche des pistes d’économie.
En Bourgogne, Hervé Santé, à la tête des 10,5 ha des Vignobles de Somméré, à La Roche-Vineuse, vient de récolter 512 hl, soit 49 hl/ha contre 65 hl/ha de moyenne. Le pinot noir, son principal cépage, a souffert de chlorose à cause des pluies à répétition et de la fraîcheur. « Puis le mildiou a attaqué les feuilles et les grappes, ce qui est rare, déclare-t-il. La météo nous prend de plus en plus de court. »
Ce n’est pas Mathilde Ollivier qui le contredira. « Nous n’avons rien pu faire contre le filage, indique la propriétaire du domaine de la Grenaudière, 26 ha à Maisdon-sur-Sèvre, dans le Muscadet. Un phénomène que nous n’avions jamais connu jusque-là et qui a occasionné des dégâts conséquents sur le melon de Bourgogne. » La vigneronne doit se contenter de 650 hl, soit 25 hl/ha contre 58 à 60 hl/ha habituellement. « Nous sommes sous la pluie presque en continu depuis octobre 2023, dépeint-elle. Le printemps et le début de l’été ont été froids et pluvieux. Et il a continué de pleuvoir cet automne. » Pour compenser son déficit, Mathilde Ollivier, qui a le statut de négociant, va tenter d’acheter des raisins chez des confrères plus chanceux. Avec ses stocks de 2022 et 2023, elle devrait approvisionner ses marchés jusqu’en 2026. Elle prie le ciel pour ne pas revivre le même scénario en 2025 car, aujourd’hui, le Muscadet se porte bien.
« Dans notre secteur, les rendements atteignent des niveaux historiquement bas quel que soit l’âge des vignes », se désole Charles Dornier, propriétaire du Clos des Vins d’Amour à Maury (66), dans le Roussillon, qui n’a récolté que 18 hl/ha sur ses 23 ha en production. C’est deux fois moins que les années précédentes. Depuis trois ans, les Pyrénées-Orientales souffrent de stress hydrique avec une pluviométrie de 200 mm par an contre 600 mm en moyenne. « Les vignes ont accusé le coup en 2024, elles ont produit du bois, du feuillage et presque pas de baies, relate Charles Dornier. Il y a eu beaucoup de coulure sur la plupart des cépages : grenache rouge, blanc, gris, carignan… » Chez ses confrères, le tableau est identique. « Quelle que soit la conduite ou la fertilisation des vignes, nous sommes tous logés à la même enseigne. Le manque d’eau produit partout les mêmes conséquences », résume-t-il.