eu à somme nulle. Ayant vendu 60 bouteilles de Petrus, le grand vin de Pomerol, pour une plus-value de 72 780 euros en 2012, 2013 et 2015, un collectionneur de belles étiquettes a été ciblé par un redressement fiscal de 71 240 euros en 2020 pour « demande droits, majorations et intérêts, cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et rappels de taxe sur la valeur ajoutée » faute de déclaration de ces ventes à un négociant bordelais (souhaitant rester anonyme). Déchargé de ces pénalités par le tribunal administratif de Paris le 18 octobre 2022, le collectionneur a vu ce 17 octobre la septième chambre de la cour administrative d’appel de Paris rétablir cette amende salée après une requête du ministre de l'Économie. L’avocat du collectionneur, maître Matthieu Rouve, indique se porter devant le conseil d’État, son client réfutant d’être assimilé à un vendeur professionnel et récurrent.
Car le redressement de la direction des finances s’appuie sur le postulat que le collectionneur « avait exercé une activité occulte de négociant en vin, faute d'avoir déposé les déclarations fiscales qu'il était tenu de souscrire ni fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce » comme le rapporte le jugement d’appel, pointant que « pour retenir que [le collectionneur] n'avait pas exercé une activité commerciale de négociant en vin en 2012, 2013 et 2015, le tribunal administratif de Paris s'est fondé sur [le] fait que l'intéressé a acquis, en tant que collectionneur de vins, 698 bouteilles au cours des dix années vérifiées, que les ventes en litige n'ont porté que sur 60 bouteilles ». Soit moins de 9 % de sa cave.
Raisons de la condamnation
Un argument que la cour d’appel n’achète pas, préférant voir d’autres proportions : celles des rapides plus-values enregistrées par le prix de ces grands vins. Ayant acheté 60 bouteilles de Petrus pour 25 620 € HT en 2011, 2012 et 2013 auprès d’un grand négociant bordelais, le collectionneur les a revendues à un autre négoce girondin en 2012, 2013 et 2015 pour 98 400 €. Soit une confortable bonification de 72 780 € : un triplement de la mise qui s’ajoute pour la cour d’appel au fait que le collectionneur « n’a pas disposé physiquement [des bouteilles] dès lors que celles-ci, qui ont été achetées en primeur, c'est-à-dire avant que le vin ne fût mis en bouteille et commercialisé ». Un argument contredit par maître Matthieu Rouve, pointant que seule une partie des achats était réalisée en primeur.
Tranchant, la cour d’appel estime que « la chronologie des faits ne traduit pas que les bouteilles ont été achetées en vue d'une consommation personnelle, alors que le vin Petrus est mondialement réputé pour son potentiel de garde extrêmement important ». Pour la juridiction administrative, « les bouteilles de vin Pétrus revendues sont demeurées peu de temps dans le patrimoine du contribuable, le ministre est fondé à soutenir que [le prévenu ne s’est] pas comporté comme un simple collectionneur de vins mais comme ayant eu une activité commerciale de négociant en vin à titre individuel et dans un but lucratif, et qu'il était dès lors passible de l'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux ».
Mise en garde
Une affaire similaire a déjà défrayé la chronique en 2021, la cour d’appel de Bordeaux condamnant un couple pour avoir acheté 240 bouteilles de Petrus pour 165 000 euros en 2012 et 2013 avant de les revendre pour le double, 375 000 €. Ces arrêts permettent de connaître les faisceaux d’indice faisant basculer un acheteur/revendeur du statut d’occasionnel à celui d’activité occulte. Une qualification impliquant une majoration de 80 % sur la TVA indue, un délai de prescription passant de 3 à 10 ans et une dénonciation pour fraudes fiscales si les droits à recouvrer dépassent 100 000 € liste maître Matthieu Rouve, l’avocat bordelais prévenant que ces redressements ne sont pas nouveaux, mais restent peu connus des contribuables (que ce soit pour des achats/reventes de grands vins, mais aussi d'autres biens de collection : voitures, meubles, timbres…).
Souhaitant rester discret, le négociant ayant acheté les bouteilles de Petrus à ces particuliers pointe que la déclaration fiscale de ces transactions est de la responsabilité de chacun : « ce n’est pas moi qui fait leur déclaration d’impôt ». Plus diserte, la plateforme de vente aux enchères de vin IdealWine indique à Vitisphere que « de manière analogue à tous les secteurs d’activité, la qualification de vendeur professionnel par l’administration fiscale repose sur le caractère habituel et répété des ventes, ainsi que sur les montants relatifs dans les revenus du vendeur ; l’amateur ou collectionneur de vin faisant une vente occasionnelle n’est donc pas concerné à notre sens par les décisions de justice qui ont pu être rendues récemment sur ce sujet. Nous faisons cependant toujours attention d’indiquer à nos vendeurs de vérifier leur situation fiscale, notamment en ce qui concerne les déclarations fiscales de plus-values le cas échéant. »
Pour savoir si « les ventes pourront être exonérées, considérées comme des opérations commerciales ou des plus-values de cessions de biens meubles », la cellule presse de la Direction générale des Finances publiques (DGFIP) précise à Vitisphere que « plusieurs critères entrent en jeu : nombre et fréquence des ventes, provenance des biens vendus, délai entre l’achat et la revente, proportion des gains par rapport aux revenus ordinaires, etc… » Selon ces éléments, il peut y avoir qualification d’activité commerciale* et « le contrôle fiscal peut se conclure par une transaction permettant une réduction du taux de la majoration pour activité occulte et des intérêts de retard dans la limite des orientations ministérielles en la matière » indique la DGFIP, rappelant qu’« il existe des décisions de justice qui confortent l’analyse faite par l’administration fiscale en la matière ».
En témoigne l’arrêt de la cour administrative d’appel de Douai le 2 avril 2020, sanctionnant 34 ventes de vins entre 2010, et 2012 portant sur 300 bouteilles de grands crus pour 186 170 €, la juridiction estimant qu’« eu égard au nombre d'opérations de ventes par le contribuable de vins de grand crus, à leur fréquence sur la période de trois ans considérée et à leur montant (...), [l’intéressé] doit être regardé comme s'étant livré, habituellement, pour son propre compte, à une activité d'achat de vins en vue de leur revente, sans qu'il soit besoin de rechercher s'il a eu recours à des moyens commerciaux analogues à ceux qui caractérisent une activité exercée par un professionnel. »
* : La DGFIP indique que « la qualification d'une activité commerciale de négoce imposable comme telle relève en effet d'une appréciation circonstanciée fondée sur le caractère habituel des opérations et l’intention spéculative. Par exemple, la vente de plus de 5 000 bouteilles de vins, principalement des grands crus, réalisées à l'occasion d'une trentaine de ventes - ventes aux enchères ou ventes directes via des plateformes - pour des montants significatifs. »