xtension de la cotisation sécurité sociale à tous les alcools (et plus seulement à ceux titrant plus de 18°.alc), déplafonnement des taxes liées aux boissons alcooliques (dont l’augmentation est bloquée à un relèvement annuel de 1,75 %, qu’importe l’inflation), taxation à 3 % des frais d’achat de publicités (pour les entreprises de plus de 10 millions € de chiffre d’affaires) et prix minimum sur les boissons alcoolisées (à 0,50 € par unité d’alcool pur). La filière vin vendange plus de propositions fiscales à l’Assemblée Nationale que de raisin ce millésime 2024…
Samuel Montgermont : C’est une musique qui revient perpétuellement. Et notre position ne change pas là-dessus. Elle prend même davantage de fermeté face à la déconnexion des parlementaires qui portent ce type d’amendements. Ce sont probablement des députés qui vivent dans des zones où ils n’ont pas rencontré un vigneron depuis longtemps et qui ignorent totalement la réalité de la consommation des Français, et la réalité économique du vignoble. Moi, j’étais sur le terrain ce matin et je peux vous dire que la situation est dramatique. Il n’y a qu’un mot : de l’exaspération.
Les propositions de taxation semblent assez transpartisanes, se retrouvant portées par de nombreux députés de divers partis, tous inspirés par Addictions France. Rien de neuf, mais dans un contexte de réduction de la dette, ces propositions de recettes pourraient finir par peser… Le craignez-vous ?
On peut tout craindre dans ces périodes du point de vue budgétaire et politique. L’instabilité politique n’est pas simple à gérer lors de ces moments de négociation. Nous sommes très attentifs à ces questions car nous ne voulons pas être la victime collatérale d’une assemblée chahutée. Nous avons en plus nos propres problématiques à gérer : l’arrachage, le potentiel de production, la redynamisation de la perception de la filière, etc. Et voilà que l’on reparle à nouveau du prix minimum, alors que, partout où il a été mis en place, ça n’a pas permis de lutter contre les addictions. Le prix minimum n’est pas la réponse. Si l’on pense remplir les caisses de l’État grâce à des taxes comportementales, les exemples à l’étranger montrent que ça ne fonctionne pas : il y a une perte de revenus pour l’Etat à cause de la perte d’accès au produit. Toutes ces raisons rendent ces propositions incohérentes.
Vous évoquez une déconnexion des élus qui a été souvent décriée par la filière vin à Bruxelles, et qui se retrouve donc à l’Assemblée Nationale, dans la commission des affaires sociales notamment ?
Dans nos bassins viticoles, les députés que l’on rencontre ont une lecture atterrée de ce type d’amendements en se demandant si leurs collègues ont compris la situation, qui est catastrophique [voir encadré]. Ces députés ne prennent pas du tout conscience de la baisse de consommation des Français. Nous connaissons le toboggan spectaculaire sur lequel la filière est assise aujourd’hui. Le tout fiscal n’est pas un discours tenable dans une tendance extrêmement forte et lourde de baisse de la consommation et de crise économique. C’est une double incompréhension pour nous : une mauvaise prise en considération du panorama actuel de la consommation et en même temps l’exacerbation d'une tension économique qui est déjà maximale.
Parmi les arguments des députés, l’idée du risque sanitaire dès le premier verre reste fortement ancrée malgré les dénégations scientifiques. Ainsi que le chiffre que 10 % des 18-75 ans consomment à eux seuls 58 % de l’alcool en France.
Ce n’est un secret pour personne que le marché du vin est un marché générationnel où les plus âgés consomment davantage. Ce n’est pas pour autant que les consommations sont excessives. Quant à la question de la dangerosité dès le premier verre, les repères officiels de Santé Publique France sont de ne pas dépasser deux verres par jour, pas tous les jours, et de ne pas dépasser 10 unités d’alcool par semaine. Si des gens portent d’autres types de messages, cela me semble contradictoire avec ce que le gouvernement recommande. On l'a vu dans de nombreuses études, une consommation modérée reste le bon mode d'usage du produit.
Concernant le gouvernement, le plan stratégique de la filière vin a été présentée à la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, avec une demande de soutien plus marqué.
Le plan démontre que la filière prend à bras le corps son destin. Nous avons rappelé qu’il fallait nous laisser nous réorganiser, trouver un nouveau rythme de commercialisation et de survie sur certains bassins, et que la fiscalité n’était pas du tout le sujet. Cela avait été clairement reçu et entendu. C’est ce que nous attendions. Mais en commission des affaires sociales, ces sujets sont ressortis sans grande surprise.
Quels sont les risques concrets pour une filière vin fragilisée de taxes supplémentaires ? Peut-on parler d’accélérateur de déconsommation ? En audition parlementaire, vous évoquiez récemment qu’il n’y aurait pas 100 000 ha à arracher mais le double voire le triple si la fiscalité augmentait…
Notre filière n’est pas industrielle. Je n’ai de cesse de rappeler que la taille moyenne d’une exploitation viticole est autour de 10 ha. Croire qu’un prix minimum va faire disparaitre les vins industriels, qui n’existent en fait pas, c’est faire s’effondrer l’outil coopératif, tout ce qui fait l’ADN de la viticulture française. Je l’ai déjà dit et redit : si l’on continue à appuyer sur cet accélérateur, on regardera la filière vin dans moins de dix ans comme on parle aujourd’hui de la désindustrialisation : qu’a-t-on fait de ce fleuron français ? C’est juste inconcevable, incohérent et incompréhensible.
Au niveau international, on perçoit une vague d’hygiénisme : en Irlande, en écosse, au Pays de Galles, aux États-Unis
C’est une tendance de fond qui s’internationalise. Travaillant beaucoup à l’export, cette tendance hygiéniste n’était pas aussi forte avant. Nous en avions déjà l’habitude en France, aujourd’hui, je la perçois également aux États-Unis, en Irlande, etc. Il faut que l’on réagisse, que l’on mette en avant les études où l’on constate les effets positifs de la consommation modérée de vin pendant les repas, notamment en termes de sociabilité. Il va falloir être très proactif, parce que l’on sent cette montée en puissance. Alors qu’il y a des modes de consommation qui sont tout à fait raisonnables, qui sont complètement en lien avec la convivialité et le plaisir du partage ou de faire société ensemble. Ce sont des combats nécessaires à muscler et à redynamiser.
Dans les amendements du PLFSS, on parle ouvertement de démarketing : vous vous battez donc contre une volonté de dénormalisation, pour que la consommation d’un verre de vin soit aussi mal vue qu’une cigarette.
Très clairement, c’est la trajectoire du tabac que l’on essaie de nous faire subir. Pour nous ce n’est pas entendable car il n’y a aucun repère de consommation pour le tabac. Ça n’a rien à voir. Il faut rester optimiste. Les Français ont un attachement très particulier au vin. Pour eux, ça fait pleinement partie de l'identité de notre pays. On a beaucoup d'arguments à faire valoir en ce sens.
Quel est votre message aux députés votant le PLFSS, qu’ils portent des amendements antialcool ou non ?
Il est totalement incompréhensible et incohérent dans la situation que nous avons à gérer aujourd’hui de parler de fiscalité comportementale. Cela génère une très forte exaspération et une grande colère. Nous avons remis, il y quelques semaines, un plan de filière pour affirmer nos ambitions et objectifs et non pour reparler de fiscalité. Nous avons besoin de transmettre nos exploitations viticoles et la culture du vin aux nouvelles générations, nous n’avons pas besoin d’appuyer sur une stratégie de dénormalisation qui est aujourd’hui à contresens de la consommation des Français.
Peu avant minuit, lors de la réunion nocturne du mercredi 23 octobre, des députés de la commission des affaires sociales de l’Assemblée Nationale ont évoqué les impacts sur la filière vin de leurs amendements. « Je me demande si chacun ici a conscience de ce que nous faisons » lance le député Nicolas Turquois (Vienne, les Démocrates), l’agriculteur soulignant que « la filière viticole est dans une situation impossible » (climatiquement, économiquement et commercialement), l’ingénieur agronome « déplore le message que nous envoyons, même si nous y reviendrons en séance publique [car] boire un verre de vin – un seul – à table fait partie d’une certaine culture qui présente des intérêts et pas uniquement des inconvénients. »
Même circonspection de la part du député Yannick Neuder (Isère, Droite Républicaine), rapporteur général du PLFSS, qui se déclare « globalement favorable à la hausse des taxes comportementales » et fait « la différence entre le tabac et l’alcool [car] le tabac provoque 73 000 décès précoces, l’alcool 41 000 ; son coût social est de 156 milliards d’euros, contre 102 milliards pour l’alcool. » Plus frontalement, le cardiologue souligne que l’expérience d’autres pays témoigne que « pour obtenir une dissuasion réellement efficace ayant des effets en matière de santé publique, il faut procéder à de fortes majorations des tarifs, qui de surcroît ne sont probablement pas compatibles avec le maintien de l’activité viticole ».
« L’argumentation de monsieur le rapporteur général me semble un peu légère et ne me convainc pas de ne pas voter ces excellents amendements » rétorque le député Louis Boyard (Val de Marne, La France Insoumise), le rapporteur pour la branche famille du PLFSS ajoutant une citation de l’Odeur de l’essence d’Orelsan sur « l'alcool est toujours à la racine du mal
Rien remplit plus l'hôpital et l'tribunal ». Allant plus loin, le député Hendrik Davi (Bouches-du-Rhône, les Écologistes) se dit « choqué par le raisonnement consistant à comparer des statistiques de décès : 40 000 décès prématurés provoqués par l’alcool, ce sont 40 000 décès de trop ! » Le chercheur en écologie se dit « également choqué par votre observation sur l’activité viticole. Je comprends bien le problème : soyons francs, nous avons moins d’amis chez Marlboro et chez Coca-Cola que parmi les viticulteurs ! On évite de taper les sympathiques viticulteurs, mais on accepte de taper Marlboro et Coca-Cola. »
De quoi faire réagir Nicolas Turquois, pour qui « ce sont des gens ! Ce sont des personnes ! Je ne supporte pas les propos de ce genre. Il y a des familles qui sont au bord de la crise de nerfs ! Avez-vous déjà vu un agriculteur au bord du suicide ? Sortez de votre bureau ! Sortez de votre ville ! Je suis outré ! » Pour Hendrik Davi : « j’ai vécu pendant des années dans le Vaucluse ; je connais très bien les Bouches-du-Rhône ; j’ai travaillé à l’Inrae. Je connais les viticulteurs. Là n’est pas le problème. Il y a aussi des salariés chez Marlboro. » Poursuivant, l’enseignant plaide pour « une politique de santé publique et comment réduire la consommation de produits dangereux. Il est inévitable que les viticulteurs en subissent les conséquences. Il va de soi qu’il faut les accompagner. La consommation de vin diminue, c’est un fait. Il faut accompagner l’arrachage des vignes, qui est dans certains cas un crève-cœur, et passer à d’autres productions. La baisse de la consommation de vin est culturelle ; il faut l’accompagner. On ne peut pas justifier l’insuffisance des politiques publiques de prévention par la nécessité de préserver la situation des viticulteurs. »
Entre deux altercations sur le lobby de l’alcool, le député Thibault Bazin (Meurthe-et-Moselle, Droite Républicaine) pointe qu’« il ne faut pas se raconter d’histoires : la sensibilité à la hausse du prix de l’alcool des consommateurs souffrant d’addiction est nulle. Ce n’est pas une hausse de son prix de quelques centimes d’euros qui les aidera à corriger le tir. Voter ces amendements me semble profondément malvenu. Nous n’atteindrons pas l’objectif visé et nous ferons subir des externalités négatives à ceux qui méritent tout notre soutien. »
Validant cette défense du vin, le député Yannick Neuder déclare qu’« on n’a jamais vu quiconque se présenter aux urgences pour un excès de consommation de côtes-du-rhône ou de bordeaux. Chacun sait qu’il s’agit d’autres alcools. Aucune alcoolisation n’est souhaitable, mais il faut veiller à ne pas s’en prendre à un art de vivre dont l’aspect culinaire et viticole n’a rien à voir avec les forts volumes de consommation constatés lors des soirées, dans la vraie vie. » Pas de quoi convaincre la députée Ségolène Amiot (Loire-Atlantique, La France Insoumise), pour qui « l’alcool reste de l’alcool, qu’il soit consommé occasionnellement ou en raison d’une addiction. On peut finir aux urgences en ayant bu trop de côtes‑du‑rhône. Il ne faut pas laisser croire que certaines boissons alcoolisées sont moins dangereuses que d’autres ! »