ans la fable de l’Ours et de l’amateur de jardin, La Fontaine pointe que « rien n'est si dangereux qu'un ignorant ami ;
Mieux vaudrait un sage ennemi. » Preuve en est faite ce jeudi 11 janvier sur France 2 avec l’émission Envoyé Spécial, qui ouvre une tribune, lors de la séquence "Campagne anti-alcool, mission impossible ?", au sénateur écologiste Bernard Jomier (Île de France). Ayant marqué l’actualité de la fin d’année avec le projet d’un prix minimum pour l’alcool, « une bouteille de vin c’est pas moins de 3,5 € », le médecin généraliste parisien distingue le bon du mauvais parlementaire sur le soutien à son amendement : « on peut faire la différence entre ceux qui veulent conjuguer respect de la consommation plaisir et de la santé publique et ceux qui défendent un système industriel producteur d’alcool à bas prix, je les appelle les dealeurs de l’alcool ». Une comparaison un tantinet outrancière dont le sénateur semble particulièrement fier, l’ayant déjà utilisé fin 2023, et ayant causé une tribune de réponse de la filière (par Bernard Farges, président du CNIV, et Samuel Montgermont, président de Vin & Société).
Toujours sous couvert d’aide à la filière, le sénateur maintient un discours dénormalisateur : « ceux qui défendent le système industriel se cachent derrière le terroir pour fourguer à bas coût des vins de très basse qualité à des personnes qui surconsomment. C’est ça le cœur du problème : le modèle économique d’une partie de la filière est fondé sur les consommateurs excessifs. C’est immoral pour moi. » Il semble surtout approximatif d’accuser une filière d’alimenter l’alcoolisme de masse quand sa consommation nationale fond comme neige au soleil depuis des décennies (-70 % en 60 ans rappelle pourtant Envoyé Spécial) et que ses discours portent toujours sur la modération (en témoigne la campagne des vins d’Alsace sur le sujet).


Mais le sénateur Bernard Jomier n’en démord pas : « dès que l’on veut parler d’alcool [au Sénat] c’est vécu comme une mise en cause d’une identité de territoires. C’est une question quasiment taboue [alors] qu’il y a un discours à avoir qui concilie la santé publique et puis le respect de traditions de notre pays. » Pourtant, à la culture française d’une consommation modérée de vin évitant les excès (sans même parler de French paradox), le médecin préfère clairement les modèles fiscaux anglosaxons sur l’alcool de l’Écosse (prix minimum depuis 2018) et de l’Irlande (depuis 2022), deux pays où les Alcoolisations Ponctuelles Importantes (API) font des ravages… Mais où le mois sans alcool se développe. Au problème du binge drinking, le remède du dry january ?
Pourtant, même Santé Publique France, qui ne peut être qualifiée comme Vitisphere d’« émanation de la filière viticole » par l’association Addictions France, reconnaît dans un rapport de 2020 que « si les pays européens conservent des caractéristiques culturelles spécifiques, en termes de préférences de consommation comme de pratiques d’alcoolisation (un modèle latin d’usage régulier d’alcool opposé à un modèle nordique et anglo-saxon de consommations moins fréquentes mais plus importantes), les comportements tendent à s’uniformiser depuis quelques décennies en population générale comme parmi les adolescents. Ainsi, en France, on note une consommation régulière plus faible et une augmentation des consommations ponctuelles importantes. »
Un changement de société inquiétant pour la santé des plus jeunes, mais qui ne pousse pas les partisans de l’hygiénisme à défendre la modération : bien au contraire. Face à la dernière campagne de sensibilisation des jeunes sur les excès d’alcool ("c’est la base"), Bernard Jomier la résume à « si vous buvez de l’alcool, buvez de l’eau avec. […] Il n’y a aucun message de réduction de la consommation [c’est] tout à fait révélateur de ce qui se passe depuis qu’Emmanuel Macron est le président de la République. »
Témoignant dans le reportage de France 2, l’ancienne ministre de la Santé de mai 2017 à février 2020, Agnès Buzyn, se rappelle du veto présidentiel de la fin 2019 pour le soutien gouvernemental au Dry January de janvier 2020. « J’ai perdu partiellement la bataille, il y a eu une campagne sur les réseaux sociaux, mais pas une campagne de l’ampleur souhaitée. C’est une bataille quasi impossible à mener dans notre pays. Vous avez trop de vents contraires » indique Agnès Buzyn, pour qui « l’alcool est un combat très difficile. Le président avait une conseillère à l’agriculture [NDLR : Audrey Bourolleau] qui venait du lobby des viticulteurs, Vin & Société. » Oubliant ses campagnes de 2017 (le tire-bouchon) et de 2018 (le verre de vin), l’ancienne ministre dit ne pas comprendre cette opposition de la filière : « moi je ne cherche à culpabiliser personne, je veux juste rendre les gens responsables de leur vie ».
Une liberté passant par la modération latine à l’année et pas des cycles anglo-saxons excès/abstinences prône Vin & Société. Sa délégué générale, Krystel Lepresle l’explique clairement sur France 2 : « si demain l’abstinence est la norme, nous y sommes défavorables. [C’est une] victoire pour la liberté de tout à chacun de consommer s’il le souhaite, ou de s’abstenir. » Mais le grand ami de la filière vin, que cette dernière le souhaite ou non, Bernard Jomier, reste branché sur la dénormalisation : « on ne touche pas au vin en France. On ne prend aucunes mesures qui pourraient limiter consommation de vin : ni campagne, ni les hausses de fiscalité, ni les autres dispositifs. […] Depuis 2019 aucun ministre Santé n’a eu droit mener stratégie cohérente. Sur le tabac il y en a une. » Comme l'écrit la Fontaine dans la fable des Deux amis : « qu'un ami véritable est une douce chose ! » Quant aux autres...